Mine de rien

PETER CHEYNEY

MINE DE RIEN

ROMAN

LES PRESSES DE LA CITÉ

116, Rue du Bac PARIS

1951

 

Le titre anglais est

ONE OF THOSE THINGS

Traduit par

Henri THIES

 

Copyright by 1949, Presses de la Cité, Paris.

CHAPITRE PREMIER
 - 
MERYS

I

LA CLOCHE SONNA.

O’Day, dans le brouhaha de la foule, la rumeur de la pelouse et les cris des books, sortit de l’étroit passage qui mène des baraques et du fond du paddock au pesage et s’arrêta pour voir les chevaux franchir le premier obstacle. Une course d’obstacles, ça dégote, ça passionne, ça vous secoue les tripes. Lui, il s’en foutait.

Les gens du pesage se pressaient aux barrières. Après le virage, la ligne droite. Et, comme les chevaux passaient le poteau, O’Day vit le sien avant-dernier. Cette poisse ! Il haussa les épaules. Pour s’embêter, ça oui, il en était sûr ! Et puis, ça suffisait comme ça !

Il se prit à penser à Vanner. Un de ces jours, faudrait faire quelque chose, évidemment, mais quoi ? En tout cas, ça ne pouvait pas durer. Ça n’était bon pour personne.

O’Day était grand et mince, large d’épaules. Son genre languissant et sa démarche paresseuse cachaient une force dure. Depuis les pommettes, très hautes, le visage était presque triangulaire. Il semblait que la mâchoire eût voulu s’allonger en pointe et que, changeant brusquement d’idée, elle se fût arrêtée en carré. Des yeux très bleus qui fixaient sans ciller. Des cheveux foncés, coupés ras sur les côtés, joliment ondulés sur le sommet de la tête. Il savait s’habiller. Des chaussures brunes et polies avec soin, un costume de tweed, un pantalon au pli impeccable le prouvaient. Malgré le froid, il ne portait pas de pardessus. Au pesage, la plupart des femmes s’engonçaient dans leurs fourrures.

Jetant sa cigarette, il alla prendre un café au bar. Ses doigts, à la recherche de six pence, prix de la consommation, rencontrèrent les quatre billets d’une livre, toute sa fortune ! Tout allait mal, décidément. Il était temps de regagner Londres et de se magner un peu le train.

Planté devant la cheminée, il buvait à petits coups, les yeux fixés sur les charbons rouges. Vanner le préoccupait. Vanner… Sale affaire !

— Bonjour ! dit quelqu’un. Comment allez-vous ?

O’Day posa sa tasse sur la cheminée et se tourna lentement.

— Bonjour, Jennings. Cela pourrait aller plus mal.

Il sourit et sa figure s’éclaira toute.

— J’ai parié cinq chevaux dans cinq courses. Tous sont arrivés dans les deux derniers. Je dois être rudement veinard en amour !

— Ça, c’est sûr, dit Jennings, cynique. À votre place, même, je me méfierais.

— De quoi ?

— Vous pensez bien que je n’ai pas travaillé dix ans dans les assurances sans connaître quelque chose au cochon humain. Il y a deux sortes d’individus – je veux parler des hommes. Ceux qui excitent les femmes et ceux qui les laissent froides.

O’Day sortit un mince étui d’argent et en tira une cigarette.

— Je ne comprends pas.

D’autre haussa les épaules.

— La première catégorie se subdivise en deux classes : il y a ceux qui en tiennent compte et ceux qui s’en foutent. Je n’ai jamais su dans laquelle on devait vous mettre.

— Qu’est-ce que cela peut vous faire ? fit O’Day d’un air dégagé.