Je suis habillé de neuf. J’ai encore mille francs dans ma poche qui ne doivent rien à personne, je me conduis en galant homme et je vais faire un petit voyage à Deauville pendant lequel je me promets bien d’oublier toutes les misères du Quartier latin !

Et je devrais renoncer à tout cela, parce qu’en dépit des règlements j’ai transporté chez moi un sac que personne ne verra jamais ! Durin avait raison ; ce n’est pas chez son avocat que l’on ira chercher ses affaires ! Allons, habillons-nous !... Redevenons homme du monde.

Et maintenant, je vais enfermer le sac au fond de ma malle, et il n’en sera plus question !

Je le soulève : il me paraît encore plus lourd que la veille du fait que la peur ne m’aide plus.

Tout de même, il doit y avoir là-dedans, autre chose que des objets de toilette et des lettres de femmes ! Je voudrais bien savoir. Pourquoi ?... Mais pour mon malheur ! L’homme n’est décidément satisfait que lorsqu’il se consume de tristesse et d’amertume. Le destin, qui n’est pas méchant, mais taquin, lui ouvre une voie joyeuse. Il n’a qu’à la suivre. Mais une petite boîte se trouve sur son chemin. Et il quittera tout pour ouvrir la petite boîte. Nous savons ce qu’il en sort. C’est ainsi depuis Épiméthée. Imaginez que je n’aie pas ouvert le petit sac défendu ; il ne me serait peut-être rien arrivé d’autre qu’une aventure amusante, du moins je me plais à le croire. Une partie de plaisir en marge de mes devoirs d’avocat, tels que les a rédigés maître Cresson. Tandis que maintenant... oh ! maintenant !...

C’est trop bête aussi, pourquoi Durin avait-il oublié de faire jouer la fermeture secrète ? Je n’ai eu qu’à faire sauter les petites pattes retenant la toile kaki, autour de ce lourd sac carré, dont elle garantissait le riche maroquin. Là, j’eus affaire à une fermeture ordinaire. J’appuyai sur le bouton central en tirant les charnières de cuivre. Je fus tout étonné de voir que cela s’ouvrait, mais plus stupéfait encore d’apercevoir une admirable trousse de cambrioleur !...

Peste, ma chère ! quel luxe ! Du nickel, de l’argent et un travail ! De vrais objets d’art. Des pinces de toutes les grandeurs, des scies, des poinçons, des espèces de tire-bouchons dont je pressentais l’usage dans le forage des portes, des leviers, des pieds-de-biche, différents mécanismes inconnus, les uns fins comme des ressorts de montre et enfermés dans des vases de  cristal. Et puis tout un attirail pharmaceutique, de l’ouate hydrophile, du chloroforme et autres parfumeries. Ah ! l’animal ! Et voilà ce qu’il me faisait garder chez moi !

Maintenant je riais de son audace, car cette plaisanterie avait assez duré, et j’allais y mettre fin.

Ayant soulevé un dernier compartiment, je trouvai un dossier assez épais que je jetai sur mon bureau ! Enfin, je vais tout savoir !

Tout ! Tu sais tout ! Les photographies que tu as trouvées, là-dedans, ne sont point des images de femmes, mais sous tous ses profils, dans tous ses rôles, dans ses multiples transformations, tu viens de voir l’homme qui fait courir toutes les polices du monde depuis dix ans ! dont les aventures incroyables ont défrayé les chroniques des deux hémisphères et que l’on a enterré solennellement dans « les dernières heures » relatant le naufrage du Britannic en face d’Halifax ! C’est l’Homme aux cent visages ! dont le dernier est Durin... Durin arrêté comme domestique pour avoir volé une épingle de cravate à son maître... Sir Archibald Skarlett, baronnet ex-gouverneur des provinces du Tibet, Durin, client de maître Rose, avocat à la cour d’appel de Paris !...

J’étais foudroyé de joie. Depuis vingt-quatre heures, je passe par des émotions ! D’abord, courons à la Conciergerie. Il faut que je voie Durin... Dans tout cela, je ne sais pas quel est son vrai nom ! Mais il va me dire, il faut qu’il me dise tout maintenant ! Il faut que l’on s’explique. Son affaire est très grave !... S’il s’imagine, ce garçon, qu’il va longtemps tromper la police, la justice. Déjà le juge d’instruction s’est douté de quelque chose en laissant traîner l’affaire ! La presse va s’émouvoir, certainement. J’y veillerai, je connais le petit Ruskin, du « Réveil des Gaules ».