La porte à droite. Ma main tremble sur la clef. Deux tours. C’est fait. J’entre et je m’enferme. Je halète. Plein noir. Quelques secondes de repos où je n’entends que mon cœur qui bat à gros coups sourds. Je frotte une allumette. Je n’ose pas tourner le commutateur. Dans la première pièce, sur une petite table-bureau, j’aperçois dans un plumier un bout de bougie à côté d’un bâton de cire à cacheter. C’est tout ce qu’il me faut. Et je m’abats sur un fauteuil, les membres ballants.
Pourtant je ne suis ni un voleur ni un cambrioleur. Je suis ici sur la prière du locataire. En toute conscience on n’a rien à me dire. Même devant le bâtonnier, je pourrais encore plastronner : « Entendu, monsieur le bâtonnier, il y a les règlements ; mais à côté de l’avocat, il y a l’homme, l’honnête homme qui est venu ici pour sauver l’honneur d’une mère de famille ! »... Gratuitement, j’accorde à cette femme des enfants. Enfin, elle pourrait en avoir. Mon rôle en devient plus attendrissant, plus héroïque. Au fond, quand on songe à ce que je risque, c’est sublime ce que je fais là ! Alors, redresse-toi, maître Rose (ce nom de fleur m’appartient), et achève les gestes nécessaires.
Vingt minutes après, j’étais paré. Photos et papiers dans ma serviette, le sac de voyage à la main (un peu lourd le coquet petit sac de voyage), je refermais la porte et je filais, non certes comme un héros fier du devoir accompli, mais comme quelqu’un qui eût donné vingt-cinq louis sur les cinquante qui lui restaient pour n’être aperçu de personne et surtout pour faire taire cette insupportable voix qui lui sonnait aux oreilles cet affreux carillon : « Tu en es ! Tu en es ! Tu en es ! de la bande de van Housen ! Si, après cela, le patron n’est pas content de toi ! »
Mais la Providence veille, la Divine. Et je réintègre mon taudis de la rue des Bernardins sans que personne puisse se vanter de m’avoir rencontré ; à bout de forces, hissant à mon quatrième étage le damné petit sac de voyage. Et je me suis endormi d’un sommeil de plomb.
Le lendemain matin, les petits oiseaux chantaient dans les arbres devant Saint-Nicolas-du-Chardonnet. Je poussai ma fenêtre. Un franc soleil éclairait les morceaux de ma mascarade. Je me plongeai la tête dans la cuvette et je me mis à réfléchir. Il était temps.
Hier, mon garçon, je crois que tu as fait l’imbécile. À la suite de cette petite histoire tu vas être accablé sous des calamités sans nombre ; déchiré par mille ennemis, privé de ta liberté, accusé de rapine et peut-être de complicité de chantage. Pour sortir honorablement de tout ceci, va donc bravement te jeter aux genoux de ton bâtonnier !
On ne devrait jamais réfléchir dans la vie, parce que cela ne sert à rien. Je pense, maintenant, que c’est seulement au moment où j’irai me jeter aux genoux de mon bâtonnier que mes ennuis commenceraient, car, à cette heure, il n’en est point question.
1 comment