Il ne vous a jamais vu avec votre barbe et vous n’êtes venu qu’une fois chez moi pour en sortir avec ce damné sac ! Telle est la vérité !... Mais le malheur est que personne ne croirait plus à cette vérité-là ! Votre transformation vous accuse et votre petite moustache à la Charlot vous accable ! Vous voyez bien que vous ne pouvez plus retourner chez cet abominable Van Housen !
– Ni chez moi ! Ni nulle part !... On peut m’arrêter en sortant d’ici !
– Taratata ! quelle imagination ! Le concierge de la prison vous a-t-il reconnu ?...Le greffier ? pas davantage ! Il timbre les laissez-passer sans se préoccuper de la figure des stagiaires. Un stagiaire désigné d’office, cela a si peu d’importance !... Est-ce à moi de vous l’apprendre ?...
– Ah ! je voudrais être loin !...
– À Deauville !...
– Bandit !
– Vous en trouverez souvent des bandits qui vous donnent deux mille francs, pour vous offrir un petit voyage au bord de la mer, qui vous nippent de pied en cap et qui vous procurent, par-dessus le marché, l’occasion de sauver l’honneur des dames... Quoi qu’il en soit, je ne vous demande pas une reconnaissance éperdue, mais simplement de tenir vos engagements en échange de mes bienfaits. J’admets que vous éprouviez quelque répugnance, à cause de cette maudite petite moustache, à vous montrer à votre concierge et à vos amis, et même à des indifférents qui auraient pu lire le petit filet de ce matin. Rassurez-vous. J’y ai pensé. Vous allez revoir Victor. Il vous attend, non chez Gloria, mais chez lui, cette fois. Vous avez un taxi ? Profitez-en ! 5 bis, rue Notre-Dame-des-Victoires. Au troisième, première porte à droite. Ah ! encore une question. Savez-vous l’anglais...
– Comme ma langue maternelle.
– Parfait ! cela nous facilite bien des choses. Quand vous sortirez de chez lui, vous ne vous reconnaîtrez plus vous-même. Et, en route pour Deauville ! Vous ferez ma commission. Puis vous irez villégiaturer trois semaines dans un coin des environs, le temps de laisser repousser votre barbe... Vous revenez de vacances, vous plaidez pour moi, je reprends la clef des champs. Et vous ne me revoyez plus !... Ça vous fera plaisir ? Ingrat !
– Mais votre sac ! m’écriai-je. Que voulez-vous que je fasse de votre sac ? Tant que je le traînerai avec moi...
– Mon cher, je vais mettre fin à vos tourments. Partez avec lui. Je vais vous donner la clef qui le ferme. Lady Helena, en remerciement du grand service que nous lui rendons, ne verra aucun inconvénient à le garder par devers elle, jusqu’à ma libération.
– Je lui dirai qu’il est à vous ?...
– Je n’en doute pas ! et je ne m’y oppose point.
– Je vous rapporterai la clef ?
– Je l’espère... quand votre barbe aura repoussé.
– Tout cela peut être terminé ce soir même, soupirai-je. L’adresse de cette dame ?
– Lady Helena est la vertueuse épouse de Sir Archibald Skarlett, baronnet. Un beau nom, Lady Helena Skarlett... « Scarlet », la femme fatale !... comme disent les Américains : la femme vamp !...
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