(vampire)... Cela ne vous fait pas rêver ?

– La femme de votre patron.

–  ... Vous l’avez dit ! Elle est descendue au Royal.

– Mais quand je voudrai être reçu, qui ferai-je annoncer ?

– Mister Prim, s’il vous plaît ! (J.A.L. Prim), John, Arthur, Lawrence, pour la servir. Un joli nom aussi, en vérité, et tout à fait honorable. Vous trouverez dans le dossier 25, tout au fond de mon sac, des cartes qui vous ouvriront toutes les portes. Et maintenant, passez-moi, je vous prie, les petits papiers que vous avez cambriolés hier chez cet affreux Van Housen ! »

Docile, j’ouvris ma serviette. Je n’avais même pas l’idée de lui résister. Et puis le pouvais-je ? Ce Durin me tenait mieux qu’avec des menottes. Je ne pensais qu’à une chose : ce soir même, j’en aurais fini avec cette horrible aventure !

Durin eut vite fait de trier dans le tas de photos et de lettres. Il en conserva quelques-unes qu’il enfouit dans sa poche, fit un paquet du reste qu’il ficela solidement et qu’il cacheta d’un sceau bizarre, large comme un ancien décime, qu’il dissimulait dans le creux de sa main. Un bout de cire, deux allumettes ; le tout fut fait avec une décision, une rapidité surprenantes, après un coup d’œil jeté au judas de la porte, où l’on ne vient jamais du reste, tant que l’avocat n’appelle pas.

Pendant qu’il procédait à cette ultime opération, je le regardais. Il me semblait que je le voyais pour la première fois. Il ne jouait plus la comédie. Il ne « composait » plus. Le véritable Mister Flow apparaissait soudain à mon regard effaré. Où était-il le niais Durin ? Son front semblait s’être élargi, ses yeux brûlaient d’intelligence. Un sourire redoutable plissait sa lèvre désabusée et sèche. Une denture solide, féroce. Avec cela, un ovale du visage allongé, quasi aristocratique, une mâchoire inquiétante qui se terminait par un menton trop fin. Un nez spirituel aux narines fragiles. Rien de bestial. C’était pire. Cette figure tenait du drame et de la farce, appartenait à un pitre distingué ou à un assassin rigolo, et peut-être à un sadique.

Le secret de la vie de cet homme pouvait tenir, tout entier, dans la volupté de se savoir redouté, avec admiration, et de ne rien négliger pour ajouter à sa gloire, car enfin, depuis longtemps, il devait être riche, et, s’il ne l’était pas, quelle admirable confiance en lui-même, sûr qu’il était du trésor public !

Je le quittai, avec humilité, comme un pauvre homme qui garde pour lui toute la honte de son impuissante fureur.

En vérité, j’aurais fait pitié à un condamné à mort ! J’avais retrouvé toute ma vertu, pour la regretter !... Je pensais à mon bouge de la rue des Bernardins comme au paradis perdu, et le taxi au fond duquel je m’étais jeté, me conduisait chez Victor !...

J’avais le damné sac entre les jambes... La vue d’un agent qui fit stopper ma voiture au coin de la rue de Rivoli me chavira. Enfin, voilà la rue Notre-Dame-des-Victoires. Je règle mon taxi. La rapidité avec laquelle je grimpe les trois étages en traînant mon encombrant fardeau n’a d’égale que celle avec laquelle j’ai quitté, la veille, la rue Chalgrin.

Victor m’attend. Cette communication directe entre un détenu et ses amis du dehors n’est point pour m’étonner.