Et le jour n’est peut-être pas loin où l’on ne se demandera plus, quand je passerai avec Helena à mon bras : « Qui donc est ce monsieur ? » On dira : « Comment ! vous ne le connaissez pas ?... C’est le célèbre X... (oui, mettons X...) qui brasse tant d’affaires avec l’Amérique, ou avec le Japon, ou avec la Chine, ou même avec les Soviets (ça commence à être bien porté). Il a perdu trois millions, hier, au « Privé » ! Ô rêve ! rêve ! c’est ton parfum qui me grise, exaltante Helena !

À la sortie, dans la galerie qui nous sépare des Ambassadeurs, un géant hindou tout enturbanné, ceinturé de soie écarlate retenant les armes les plus singulières, s’incline, comme devant un temple, et nous emboîte le pas.

« Oh ! hang it ! La barbe ! fait Helena. C’est mon domestique. Le baronnet a toujours peur qu’on me vole mon collier.

– Et il ne vous quitte pas ?

– Quand j’ai mes bijoux !

– Il vous fait peut-être aussi surveiller. Est-il jaloux ?

– Très ! Il m’aime tant, le très cher ! Il faut pardonner, mais j’ai fait arrangement avec Mary pour Fathi. Elle m’en débarrasse. Oui ! Il est en amour avec... »

Miousic !... le restaurant est à peu près plein. Toutes les têtes se tournent vers nous. Des saluts, des gentlemen qui se lèvent au passage. Baisemains. Sept couverts à notre table. Les convives sont déjà là et nous attendent en vidant une bouteille de porto ou en buvant des cocktails. Joyeux accueil. Présentations : quatre hommes, deux femmes. Un Canadien, qui possède une province et des mines d’or au Klondyke, Sa Grâce le duc de Wister, un Aga-Khan quelconque qui se prétend Dieu chez les Hindous, un sportsman dont le nom m’échappe, un journaliste américain que tout le monde appelle Harry, qui connaît tout le monde et qui, entre deux plats et entre deux danses, va bavarder à toutes les tables.

Citroën ni Hennessy ne lui échappent, pas plus que Lord Roth qui a une concession de terrains diamantifères à quelques journées du Cap, ni le maharajah de Kapurthala, ni Marthe Chenal, ni Maria Lévy, si drôle avec son smoking bleu sur une robe de pétales de roses. À toutes les tables, il semble avoir son verre... Et il ne cesse de prendre des notes. Il boit comme un trou ; il travaille comme un nègre et s’amuse comme un dieu. Il gagne un argent fou avec ses correspondances pleines des inventions les plus extravagantes, des potins les plus stupides. Aucun esprit, mais il est un peu là ! Quand il parle français, il tutoie Helena. Et il peut tout dire. Cette reine a son fou.

J’ai dit : deux femmes. Elles sont décolletées jusqu’aux lombes. Et jolies ! Mrs. Burlington (la trentaine ou la quarantaine, on ne saura jamais même dans dix ans) et l’air d’un bébé qui ne boirait que du lait. C’est effrayant ce qu’elle absorbe ! Et mince, et délicate, et fragile ! Et des yeux d’une clarté ! Une vraie sentimentale. La femme du plus grand quincaillier du Massachusetts.