A du penchant pour Harry. L’autre, une ancienne artiste, une danseuse annamite que Lady Helena a connue aux Indes et qui a fait un beau mariage avec un directeur d’assurances de Bombay. C’est une très jolie petite chose qui ne boit que de l’eau, qui semble ne rien entendre, ne rien comprendre, ne rien voir, d’étranges yeux de verre vert et des ongles d’or. Je suis à la droite de Lady Helena. Elle fait un très grand honneur au champagne extra-dry. Elle tient tête à Mrs. Burlington.

Harry nous raconte le dernier scandale de la plage : une terrible prise de bec entre Miss Lillian Burk et Mrs. Merril, à propos d’un maillot d’écailles d’argent de vingt mille francs offert par cette honorable présidente de la Ligue des femmes tatouées à la petite Nikita, une danseuse cambodgienne, venue de Whitechapel. Le maillot avait été commandé par Miss Burk qui l’avait trouvé trop cher. Mrs. Merril, mise au courant, avait fait l’affaire tout de suite. Fureur de Miss Burk qui avait rencontré sa rivale dans la cabine de Nikita. La querelle continuait sur la plage, jusque dans la lame où elles arrachaient le maillot sur la peau nue de Nikita qui ne prononçait pas un mot et qui, dégagée de tout atour, brassait sur le large. On l’attendait à la sortie, comme vous pensez bien. On fut volé. Elle eut deux peignoirs apportés décemment par ces dames. Sur les planches, le gros Mr. Merril fumait sa pipe, jovial, racontant que sa femme voulait lui tatouer sur les poignets des versets de la Bible.

Pendant ce récit, j’imaginai que Lady Helena regardait avec une singulière insistance l’ex-petite danseuse annamite qui était assise en face de moi et qui avait tourné vers l’amphitryonne sa petite tête précieuse et énigmatique. Mais on ne sait jamais avec Helena, cette magicienne. Elle est le centre rayonnant d’une volupté latente. Ses yeux immenses fixent n’importe quoi et n’importe qui avec la même inquiétante tranquillité dans le bonheur, dans le bonheur de tout.

J’ai à peine dit quelques mots, soudain passif dans sa présence, dans son parfum, dans l’air qu’elle expire et que je respire. Mon cœur et mon sang obéissent au rythme qui soulève, près de moi, ses deux seins cuivrés, qui font trembler d’impatience les paumes de mes mains recourbées comme des coupes avides. Et je sens soudain sur mon pied la pointe de son soulier d’argent. Est-ce un hasard ? Je veux savoir, je déplace mon pied, mais on insiste.

Je dois rougir sous mon rouge. J’éclate d’orgueil et Helena éclate de rire en me regardant. Se moque-t-elle de moi ? Après tout, c’est bien possible ! Non ! elle a reconquis son Lawrence et elle souligne sa victoire. Il semble que le jazz n’attendait que l’entrée des Dolly Sisters pour que le battery-man devienne subitement fou. Un jazz déchaîné. Les nègres glapissent au-dessus de leurs banjos. Un peu de charleston dégarnit les tables.