Il ne pleure plus. Je ne le reconnais plus. Il a l’air intelligent. Il me prie de m’asseoir. Que dis-je ? il m’ordonne de prendre place devant lui. Et c’est moi qui ai l’air de recevoir mon avocat dans sa prison. Il met au net ma petite affaire : ça n’est pas long. « Monsieur, j’ai eu tort de ne pas vous parler d’honoraires tout de suite. Vous seriez venu plus tôt à mon appel. » J’interromps, très intimidé : « Je suis désigné d’office. Il ne saurait être question d’honoraires.
– Tu blagues, Charles ! Mettons qu’il ne soit question que de ma reconnaissance pour le petit service que je vais vous demander.
– De quoi s’agit-il donc, monsieur ?
– J’ai lu dans vos yeux que vous vous ennuyiez à Paris et que vous ne seriez pas autrement fâché d’aller faire un petit tour à Deauville ! »
Je sursaute. Il sourit. Il ne sait pas combien il tombe juste. C’en est accablant. Il regarde mes chaussures et il cesse de sourire. Le voilà attendri de pitié. Connaissant sa facilité pour les larmes, je coupe court, rouge jusqu’aux oreilles :
« Monsieur, j’adore Paris, l’été ! »
Il hausse les épaules :
« Alors, ne parlons-plus de rien. »
Je sue à grosses gouttes. Je sens que j’ai perdu tout droit à sa reconnaissance, je sens aussi que si la conversation ne s’arrête pas là, elle va aller très loin, la conversation. Plus loin, beaucoup plus loin que les règlements de l’Ordre ne le permettent. Cet homme a un service à me demander, un service que moi, son avocat, je n’ai pas le droit de lui rendre. Je n’ai plus qu’à me sauver...
« Mille francs ! » dit l’homme.
Je râle : mille francs, pour quoi faire ?
« Pour aller à Deauville.
– Décidément, vous y tenez !
– Oui ! j’ai là-bas, en ce moment, une amie... une amie très bien... une femme du monde ! Mon Dieu, monsieur, vous êtes mon avocat, c’est-à-dire mon confesseur, je peux tout vous dire.
– Tout !
– Cette femme du monde a eu des faiblesses pour moi...
– Mes compliments !
– Depuis qu’elle me sait arrêté, elle doit être dans les transes.
– Dame ! si elle vous aime.
– Je ne doute pas de son amour, mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit. J’ai des lettres d’elle, des lettres assez compromettantes, des photos, quelques-unes assez intimes, car je suis photographe à mes heures et j’ai le sentiment de l’art. Si ces documents tombent entre des mains étrangères ou, plus simplement, dans le dossier de l’enquête, cette femme est perdue... Dans ma détresse, je ne pense qu’à elle. Il s’agit de lui reporter tout cela, monsieur, dans le plus grand mystère. Le voulez-vous ? »
Je regardais mon homme en dessous.
« Savez-vous que vous agissez là comme un vrai gentleman ?
– Mon cher maître, si j’avais voulu la faire « chanter », je ne me serais pas adressé à vous !
– Merci. »
Nous nous sommes compris.
« Quand partez-vous ?
– Quand j’aurai les lettres et les photos.
– Naturellement, je n’ai pas besoin de vous dire que je n’ai pas tout cela dans ma poche... Cette personne et moi, nous nous rencontrions dans un petit entresol de la rue Chalgrin, près de l’avenue du Bois.
– Je connais, quartier chic. Cette dame faisait bien les choses...
– Pour qui me prenez-vous ? répond Durin. Je suis là-bas chez moi.
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