J’en ai seul la clef. Je vais vous la donner. Entresol porte à droite. On ne parle pas au concierge. Mais s’il vous questionnait, ce qui m’étonnerait bien de sa part, vous diriez que vous êtes envoyé par M. Van Housen, lequel vous a confié la clef. Vous voyez comme c’est simple !

– Après ?

– Après, vous raflerez dans l’appartement et dans les tiroirs ce que vous y trouverez, photos et papiers, vous glisserez le tout dans votre serviette et demain vous me l’apporterez ici. J’en ferai le tri et vous donnerai le paquet que vous devrez porter à Deauville.

– C’est tout ?

– Non ! »

Et il sortit de la doublure de son veston deux petites clefs qui tenaient dans le creux de sa main.

« Celle-ci est la clef de l’appartement, celle-là ouvre le divan du petit salon. Comprenez. Vous soulevez la frange du divan, tâtez jusqu’à ce que vous ayez senti l’emplacement d’une serrure. Ouvrez. À l’intérieur du divan, vous trouverez un sac de voyage assez coquet. C’est un cadeau auquel je tiens beaucoup.

– Décidément, vous êtes un don Juan, monsieur mon client !

– Vous ne croyez pas si bien dire. Ce sac est plein de souvenirs qu’il serait cruel, pour bien des familles, de gaspiller. Heureusement que j’ai le secret de sa fermeture et que j’ai pensé à vous pour me garder le précieux objet jusqu’au jour de ma sortie de prison.

– Ah ! par exemple ! Vous avez compté que je transporterais chez moi... Mais vous ne savez pas ce que vous me demandez là ? Vous voulez donc briser ma carrière ? Les règlements de l’Ordre sont formels. »

À ces mots, il éclata de rire.

« Elle est belle votre carrière ! »

Il avait une figure à gifles et regardait à nouveau mes chaussures.

« Elle vaut la vôtre ! m’écriai-je.

– Je ne me plains pas de la mienne ! Écoutez, faites ce que je vous dis. Personne ne le saura. Vous aurez rendu service à bien du monde... et vous aurez gagné deux mille francs... »

Oh ! ce Durin ! il avait encore une fois changé de physionomie... le Durin des deux mille n’était plus le Durin des mille... Il avait quelque chose de plus... comment dirais-je ? enfin de plus irrésistible.

« Cent louis ! ajouta-t-il très froidement, que vous toucherez ce soir. »

Il ne regardait plus mes chaussures. Il semblait déjà penser à autre chose.

« Eh bien ? fit-il tout à coup, comme s’il se ressouvenait que j’étais là.

– Eh bien, comment les toucherai-je ?

– Vous avez besoin de vous faire faire la barbe, mon cher maître ! Allez donc chez Gloria, au coin de la rue Vivienne. Vous demanderez Victor. Vous lui donnerez ce petit papier et deux francs de pourboire, et lui, il vous donnera deux mille francs. Et maintenant, à demain, à la même heure, et ne pensez plus à vos « règlements » que pour vous dire que si vous les avez violés, c’est pour l’honneur des dames ! »

Je suis sorti de là avec les clefs et un morceau de papier où étaient tracées quelques lignes dans lesquelles je ne démêlai bien que ces deux mots : « Cent louis. »

Pour le moment, ils me suffisent, je ne veux pas réfléchir. Joseph de Maistre a dit : « L’un se marie, l’autre donne une bataille, un troisième bâtit, sans penser le moins du monde qu’il ne verra pas ses enfants, qu’il n’entendra pas le Te Deum et qu’il ne logera jamais chez lui. N’importe ! tout marche et c’est assez ! » Moi aussi, je marche... je marche vers la rue Vivienne.

Magasin de coiffeur à la mode. Victor est très demandé.