De ces deux points sont nés des paroles, un corps, une âme. Mon cœur s'est arrêté de battre. J'ai voulu parler, j'ai bégayé. Le trottoir s'était ouvert pour que jaillît une fleur humaine. Plus uni que l'eau innocente, allait-il me lancer un poison de vérité?
J'attendais le miracle.
Le dieu des rencontres une fois encore m'avait trompé.
VI. PROMENADES
Promeneurs sollicités, promeneurs qui ne me répondiez pas ou choisissiez, pour répondre, ce mot, ce clin d'œil dont précisément je n'eusse pas voulu, vous ne m'offriez point ma certitude. Il est vrai que dans mon orgueil solitaire je n'avais eu cure de la vôtre.
Chacun pour soi, fallait-il se répéter encore, chacun pour soi, et c'était cette sorte d'onanisme dont nous avions cru qu'il était le signe un peu honteux de l'enfance mais qui continuait, quoique la première jeunesse déjà fût passée, à ne chercher que prétextes dans d'autres corps, d'autres pensées. D'où certaines farces dérisoires et macabres à la fois. J'étais bien contraint d'accuser un peu les autres corps, les autres pensées, mais parce que je jouais à cache-cache avec moi-même en toute occasion, comment aurais-je eu l'audace d'exiger de mes partenaires qu'ils renonçassent aux masques, aux fards.
Alors je continuais mes essais, un peu moins sûr, il est vrai, chaque jour, car, à vouloir préciser, j'avais dû finir par comprendre que jamais je ne parviendrais à quelque point comparable dans l'espace au présent dans le temps. L'un de mes pieds s'appelle passé, l'autre futur. Il y a toujours un escalier à monter.
Je frappe à la porte qu'il faut et me voilà bien sage sur un pouf de peluche rouge. Une voix grêle et sans timbre essaie de me tenter.
" L'amour, tu vois, c'est encore ce qu'il y a de mieux pour passer le temps. "
Accroupie dans un coin de sa loge, cette petite femme qui sert de danseuse à l'homme le mieux fait du monde additionne des vérités premières et s'applique à préciser d'un bâton de rouge les contours de son nombril.
Elle répète : " Oui, l'amour, c'est encore ce qu'il y a de mieux pour passer le temps.
— Si tu veux, chérie.
— Alors ne bâille plus.
— Je m'ennuie.
— Donc tu ne m'aimes pas.
— Mais si, chérie.
— C'est bien vrai? "
Je cherche — quelle conscience — les raisons qui pourraient bien valoir à cette bonne femme d'être aimée ou, tout au moins, à leur défaut, celles qu'il suffirait d'énoncer pour qu'elle se crût aimée. à haute voix j'affirme : " Lorsque tu danses, tes pieds tournent si vite que je les prends pour des petits cercles. " Mais dès cette première tentative d'altruisme, j'oublie la danseuse et, pour moi seul, quoique à haute voix, déclare : oui des petits cercles. Géométrie éclatante et lilliputienne. Des pieds qui tournent, des pieds de satin blanc et c'est tout le mystère des nacres. Je ne suis pas le fils d'un mandarin, hélas! Des perles ne boutonnèrent point les devants de mes chemises. Tes pieds, danseuse, parce qu'ils sont deux points de corozo blanc, me rappellent mon enfance, l'attente, la toile des blouses sur un corps qui commence à se douter et déjà prend difficilement patience.
" Imbécile. "
Et la danseuse de s'empêtrer dans ses rubans et un imparfait du subjonctif. L'imparfait du subjonctif est encore plus rebelle que les rubans et ne se laisse pas apprivoiser.
La partenaire de l'homme le mieux fait du monde rage. Bien entendu je souris. Conclusion : il paraît que je ne dis que des bêtises. Pas même. En vérité je n'ai jamais su ce que je disais. Encore moins d'intelligence que de savoir vivre. Et trois fois de suite on me répète que je suis un gosse.
" Et toi, chérie, une petite vierge.
— Insolent, tu peux te moquer. D'abord je ne suis pas une prostituée, moi. Monsieur se moque : " Tu es une petite vierge "; eh bien! sache mon cher, sache pour ta gouverne, que pas une femme ne l'est ici autant que moi. Frisoline par exemple, Frisoline qui a seize ans...
— Si Frisoline m'intéressait, je ne serais pas ici.
— Mufle.
— Bavarde.
— Sale caractère.
— Bonne femme, tu es trop drôle.
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