"
Je vois un bonhomme tout blond, tout rose, sous une veste militaire d'où jaillissent un cou lourd, des doigts trop gros, et pour qu'on oublie le cou et les doigts, des jambes.
J'interroge mon voisin, bien informé. Le jeune homme qui a le bonheur de posséder ces cuisses, ces genoux, ces mollets fait-il son service militaire?
On se récrie : mais non. Voilà belle lurette que Jojo n'est plus soldat. Mais il a gardé sa veste du régiment et il la prend chaque fois qu'il vient boxer, parce que ça vous a un petit air. Il est raffiné Jojo. C'est un dandy, un artisse :
" Quoi! encore de la coquetterie, de l'art comme chez la danseuse de l'homme le mieux fait du monde, moi qui espérais des garçons vrais jusqu'au sang. "
Le faux pioupiou a quitté sa veste.
Sur son caleçon une ceinture verte s'épanouit en nœud papillon. Et au-dessus triomphent un ventre et une poitrine blancs, si blancs que je les crois fardés. J'aimerais, avec la pointe d'un couteau, combiner des dessins sur tout son corps. Ainsi dans les foires les pâtissiers qui ont du goût décorent leurs gâteaux.
Bonbon fondant, bébé fondu, le soi-disant athlète mérite de vigoureux coups de poing. Pourvu que le nègre sache bien le torturer et même le martyrise un peu. Au reste le nègre est un gaillard à faire jaillir des chairs qui lui sont livrées des bouquets d'expressions, ce qui d'ailleurs ne l'empêche point de mériter lui aussi quelques reproches. Sa figure est trop fine. Quant au corps il semble d'un bois précieux et verni. Il est très beau et pourtant je n'ai pas envie de le toucher. Il ne doit être ni chaud ni froid. Je ne saisis pas les moments de sa respiration. Végétal ou minéral. Pas animal. Ses muscles habitent une peau insensible. Protégé de la douleur, il ne doit rien connaître de la volupté. Je le préférerais mafflu, le visage orné de lèvres au grain rugueux, et un museau, non, un groin en guise de nez.
Pour sa couleur, je la voudrais celle même de la boue, dans le voisinage des usines à gaz, en plein été, immédiatement après l'orage.
C'est toujours la même histoire : sous prétexte de civilisation il faut vivre au milieu des ersatz. Et déjà s'édifie un système qui explique notre perpétuelle solitude : si nous demeurons sans compagnons parmi ceux qu'on nous a dits être nos semblables, c'est que nous ne trouvons aucune créature spontanée. Personne qui sache nous valoir des états premiers et en étoffer notre existence pour une féerie magnifique et brutale à la fois.
Ainsi je suis seul dans un promenoir.
Du cuir frotte sur du bois, crisse dans la poussière. Deux hommes mélangent pour la joie des yeux du brun et du blanc. Ils prennent vie. Des raies roses embellissent dans tous les sens le dos trop clair. Ces éraflures me vengent du talc, des poudres. J'applaudis. Les ecchymoses vont bien au petit boxeur des faubourgs, mais pourquoi sourit-il? J'ai envie de me fâcher.
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