En dehors du trapèze que nous venons d’indiquer, les barricades montaient, nous l’avons dit, jusque dans le faubourg Saint-Martin et aux alentours du canal. Le quartier des Écoles, où le comité de résistance avait envoyé le représentant de Flotte, était plus soulevé encore que la veille ; la banlieue prenait feu ; on battait le rappel aux Batignolles ; Madier de Montjau agitait Belleville ; trois barricades énormes se construisaient à la Chapelle-Saint-Denis. Dans les rues marchandes les bourgeois livraient leurs fusils, les femmes faisaient de la charpie. – Cela marche ! Paris est parti ! nous criait B*** entrant tout radieux au comité de résistance{38}. – D’instant en instant les nouvelles nous arrivaient ; toutes les permanences des divers quartiers se mettaient en communication avec nous. Les membres du comité délibéraient et lançaient les ordres et les instructions de combat de tout côté. La victoire semblait certaine. Il y eut un moment d’enthousiasme et de joie où ces hommes, encore placés entre la vie et la mort, s’embrassèrent. – Maintenant, s’écriait Jules Favre, qu’un régiment tourne ou qu’une légion sorte, Louis Bonaparte est perdu ! – Demain la République sera à l’Hôtel de Ville, disait Michel (de Bourges). Tout fermentait, tout bouillonnait ; dans les quartiers les plus paisibles, on déchirait les affiches, on démontait les ordonnances. Rue Beaubourg, pendant qu’on construisait une barricade, les femmes aux fenêtres criaient : courage ! L’agitation gagnait même le faubourg Saint-Germain. À l’hôtel de la rue de Jérusalem, centre de cette grande toile d’araignée que la police étend sur Paris, tout tremblait ; l’anxiété était profonde, on entrevoyait la République victorieuse ; dans les cours, dans les bureaux, dans les couloirs, entre commis et sergents de ville, on commençait à parler avec attendrissement de Caussidière.

« S’il faut en croire ce qui a transpiré de cette caverne, le préfet Maupas, si ardent la veille et si odieusement lancé en avant, commençait à reculer et à défaillir. Il semblait prêter l’oreille avec terreur à ce bruit de marée montante que faisait l’insurrection, – la sainte et légitime insurrection du droit ; – il bégayait, il balbutiait, le commandement s’évanouissait dans sa bouche. – Ce petit jeune homme a la colique, disait l’ancien préfet Carlier en le quittant. Dans cet effarement, Maupas se pendait à Morny. Le télégraphe électrique était en perpétuel dialogue de la préfecture de police au ministère de l’intérieur et du ministère de l’intérieur à la préfecture de police. Toutes les nouvelles les plus inquiétantes, tous les signes de panique et de désarroi arrivaient coup sur coup du préfet au ministre. Morny, moins effrayé, et homme d’esprit du moins, recevait toutes ces secousses dans son cabinet. On a raconté qu’à la première il avait dit : Maupas est malade, et à cette demande : que faut-il faire ? avait répondu par le télégraphe : couchez-vous ! – à la seconde il répondit encore : couchez-vous ! – à la troisième, la patience lui échappant, il répondit : couchez-vous, j… f… !

« Le zèle des agents lâchait prise et commençait à tourner casaque. Un homme intrépide, envoyé par le comité de résistance pour soulever le faubourg Saint-Marceau, est arrêté rue des Fossés-Saint-Victor, les poches pleines des proclamations et des décrets de la gauche. On le dirige vers la préfecture de police ; il s’attendait à être fusillé. Comme l’escouade qui l’emmenait passait devant la Morgue, quai Saint-Michel, des coups de fusil éclatent dans la Cité ; le sergent de ville qui conduisait l’escouade dit aux soldats : Regagnez votre poste, je me charge du prisonnier. Les soldats éloignés, il coupe les cordes qui liaient les poignets du prisonnier et lui dit : – Allez-vous-en, je vous sauve la vie, n’oubliez pas que c’est moi qui vous ai mis en liberté ! Regardez-moi bien pour me reconnaître.

« Les principaux complices militaires tenaient conseil ; on agitait la question de savoir s’il ne serait pas nécessaire que Louis Bonaparte quittât immédiatement le faubourg Saint-Honoré et se transportât soit aux Invalides, soit au palais du Luxembourg, deux points stratégiques plus faciles à défendre d’un coup de main que l’Élysée. Les uns opinaient pour les Invalides, les autres pour le Luxembourg. Une altercation éclata à ce sujet entre deux généraux.

« C’est dans ce moment-là que l’ancien roi de Westphalie, Jérôme Bonaparte, voyant le coup d’État chanceler et prenant quelque souci du lendemain, écrivit à son neveu cette lettre significative :

« Mon cher neveu,

« Le sang français a coulé ; arrêtez-en l’effusion par un sérieux appel au peuple. Vos sentiments sont mal compris. La seconde proclamation, dans laquelle vous parlez du plébiscite, est mal reçue du peuple, qui ne le considère pas comme le rétablissement du droit de suffrage. La liberté est sans garantie si une assemblée ne contribue pas à la constitution de la République. L’armée a la haute main. C’est le moment de compléter la victoire matérielle par une victoire morale, et ce qu’un gouvernement ne peut faire quand il est battu, il doit le faire quand il est victorieux.