Allons !
FIANCÉE
Non, j’ai dit non !
SERVANTE
C’est bon, mon Dieu. On dirait que tu n’as pas envie de te marier.
FIANCÉE, se mordant rageusement la main.
Ah, laisse tomber !
SERVANTE
Ma petite, ma fille, qu’est-ce qui t’arrive ? Ça te fait peine de renoncer à ta vie de reine ? Ne sois pas aigrie. Tu as des raisons de l’être ? Aucune. Voyons voir tes cadeaux.
Elle saisit la boîte.
FIANCÉE, la saisissant aux poignets.
Lâche ça.
SERVANTE
Ah, bon Dieu !
FIANCÉE
Lâche ça, je t’ai dit.
SERVANTE
Tu as plus de force qu’un homme19.
FIANCÉE
Est-ce que je n’ai pas travaillé comme un homme ? J’aurais aimé être un garçon.
SERVANTE
Ne parle pas comme ça.
FIANCÉE
Tais-toi, j’ai dit. Parlons d’autre chose.
La lumière disparaît de la scène. Long silence.
SERVANTE
Tu as entendu cette nuit un cheval ?
FIANCÉE
À quelle heure ?
SERVANTE
À trois heures.
FIANCÉE
Sans doute un cheval échappé du troupeau.
SERVANTE
Non. Il y avait un cavalier dessus.
FIANCÉE
Comment le sais-tu ?
SERVANTE
Parce que je l’ai vu. Il s’est arrêté à ta fenêtre. Ça m’a beaucoup choquée.
FIANCÉE
Est-ce que ce n’était pas mon fiancé ? Il est parfois passé à ces heures.
SERVANTE
Non.
FIANCÉE
Tu l’as vu ?
SERVANTE
Oui.
FIANCÉE
Qui était-ce ?
SERVANTE
C’était Leonardo.
FIANCÉE, criant.
Menteuse ! Menteuse ! Que viendrait-il faire ici ?
SERVANTE
Il est venu.
FIANCÉE
Tais-toi ! Langue de vipère !
On entend le bruit d’un cheval.
SERVANTE, à la fenêtre.
Regarde, penche-toi. C’était lui ?
FIANCÉE
Oui, c’était lui !
Rideau rapide.
FIN DU PREMIER ACTE
DEUXIÈME ACTE
PREMIER TABLEAU
Vestibule de la maison de la Fiancée. Porte d’entrée au fond. Il fait nuit. La Fiancée sort en jupon blanc amidonné, tout en dentelles et en broderies, un bustier blanc, les bras nus. La Servante vêtue de même.
SERVANTE
Je vais finir de te coiffer ici.
FIANCÉE
Dedans c’est intenable, quelle chaleur20 !
SERVANTE
Pas un souffle de fraîcheur sur ces terres, même au petit matin.
La Fiancée s’assied sur une chaise basse et se regarde dans un petit miroir à main. La Servante la coiffe.
FIANCÉE
Ma mère était d’un endroit où il y avait beaucoup d’arbres. Une terre riche.
SERVANTE
Voilà pourquoi elle était si gaie !
FIANCÉE
Mais ici elle s’est pourri la vie.
SERVANTE
Le destin.
FIANCÉE
Comme nous, nous pourrissons sur pied, toutes. Les murs crachent le feu. Ouille ! ne tire pas trop fort.
SERVANTE
C’est pour mieux te peigner cette mèche. Je vais te faire un toupet. (La Fiancée se regarde dans son miroir.) Que tu es belle, ah là là !
Elle l’embrasse passionnément.
FIANCÉE, sérieuse.
Finis de me coiffer.
SERVANTE, la coiffant.
Tu vas serrer un homme dans tes bras, la chance que tu as ! Tu vas l’embrasser, tu vas sentir son poids !
FIANCÉE
Tais-toi.
SERVANTE
Et le meilleur c’est le réveil, quand tu le sens contre toi et que son souffle effleure tes épaules, comme une petite plume de rossignol.
FIANCÉE, criant.
Veux-tu te taire ?
SERVANTE
Mais enfin, c’est quoi une noce ? Se marier c’est ça, rien d’autre. Les gâteaux ? Les bouquets de fleurs ? Non. C’est un lit resplendissant et dedans un homme et une femme21.
FIANCÉE
Il ne faut pas le dire.
SERVANTE
Bon, d’accord, mais qu’est-ce que c’est agréable !
FIANCÉE
Ou bien amer.
SERVANTE
La fleur d’oranger22 je vais la placer sur le côté, pour qu’elle ressorte mieux sur ta coiffure.
Elle lui essaie un bouquet de fleurs d’oranger.
FIANCÉE, se regarde dans le miroir.
Donne.
Elle prend les fleurs d’oranger, les regarde et laisse tomber sa tête, abattue.
SERVANTE
Qu’est-ce qui se passe ?
FIANCÉE
Laisse-moi.
SERVANTE
Ce n’est pas le moment d’être triste. (Avec entrain.) Donne-moi ces fleurs d’oranger.
La Fiancée jette au sol les fleurs d’oranger.
Ma petite ! Tu veux te punir en jetant par terre ta couronne ? Lève-moi cette tête ! Tu ne veux plus te marier, c’est ça ? Tu peux encore faire marche arrière.
Elle se lève.
FIANCÉE
De gros nuages noirs et un vent mauvais, voilà ce que je sens. Ça t’étonne ?
SERVANTE
Tu aimes ton fiancé, dis-moi ?
FIANCÉE
Oui, je l’aime.
SERVANTE
Bon, bon, je le savais.
FIANCÉE
Mais c’est un grand pas.
SERVANTE
Il faut le franchir.
FIANCÉE
Je me suis engagée.
SERVANTE
Je vais t’accrocher ta fleur d’oranger.
FIANCÉE, elle s’assied.
Dépêche-toi, ils doivent déjà arriver.
SERVANTE
Ils sont sûrement en route depuis au moins deux heures.
FIANCÉE
Combien y a-t-il d’ici à l’église ?
SERVANTE
Cinq lieues par le ruisseau, le double par le chemin.
La Fiancée se lève et la Servante est toute joyeuse de la voir.
Éveille-toi, la fiancée,
au matin de tes noces !
Que les fleuves du monde
viennent te couronner23 !
FIANCÉE, souriante.
Allons-y.
SERVANTE, elle l’embrasse, toute joyeuse, et danse autour d’elle.
Éveille-toi, la fiancée,
avec le vert bouquet
du laurier en fleur.
Éveille-toi, la fiancée,
par le tronc et la branche
des lauriers !
On entend frapper à la porte d’entrée.
Ce doivent être les premiers invités.
Elle rentre. La Servante ouvre la porte, surprise.
SERVANTE
C’est toi ?
LEONARDO
C’est moi. Bonjour.
SERVANTE
Tu es le premier !
LEONARDO
Ne m’a-t-on pas invité ?
SERVANTE
En effet.
LEONARDO
Eh bien, me voilà.
SERVANTE
Et ta femme ?
LEONARDO
Je suis venu à cheval. Elle arrive par le chemin.
SERVANTE
Tu n’as rencontré personne ?
LEONARDO
Je les ai tous dépassés avec le cheval.
SERVANTE
Tu vas crever ta bête à tant courir.
LEONARDO
Quand elle mourra, elle sera morte !
Silence.
SERVANTE
Assieds-toi. Personne n’est encore levé.
LEONARDO
Et la fiancée ?
SERVANTE
Je dois l’habiller tout de suite.
LEONARDO
La fiancée ! Elle doit être contente !
SERVANTE, détournant la conversation.
Et l’enfant ?
LEONARDO
Quel enfant ?
SERVANTE
Ton fils.
LEONARDO, se souvenant,
comme endormi.
Ah oui !
SERVANTE
Vous l’amenez ?
LEONARDO
Non.
Silence. Des Voix chantant au loin.
VOIX
Éveille-toi, la fiancée,
au matin de tes noces !
LEONARDO
Éveille-toi, la fiancée,
au matin de tes noces !
SERVANTE
Voilà nos invités. Ils sont encore loin.
LEONARDO, se levant.
La fiancée portera une grande couronne, hein ? Elle ne devrait pas être si grande.
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