Son intelligence étant fort médiocre, ses affaires n'ayant point prospéré, il fut obligé de mettre en vente un lot de ses esclaves.

Précisément, à cette époque, Zermah, très maltraitée comme tout le personnel de la plantation Tickborn, venait de mettre au monde un pauvre petit être, dont elle fut presque aussitôt séparée. Pendant qu'elle expiait en prison une faute dont elle n'était même pas coupable, son enfant mourut entre ses bras. On juge ce que fut la douleur de Zermah, ce que fut la colère de Mars. Mais que pouvaient ces malheureux contre un maître auquel leur chair appartenait, morte ou vivante, puisqu'il l'avait achetée ?

Or, à ce chagrin allait s'en joindre un autre non moins terrible. En effet, le lendemain du jour où leur enfant était mort, Mars et Zermah, ayant été mis à l'encan, étaient menacés d'être séparés l'un de l'autre. Oui ! cette consolation de se retrouver ensemble sous un nouveau maître, ils ne devaient même pas l'avoir. Un homme s'était présenté, qui offrait d'acheter Zermah, mais Zermah seule, bien qu'il ne possédât pas de plantation. Un caprice, sans doute ! Et cet homme, c'était Texar. Son ami Tickborn allait donc passer contrat avec lui, quand, au dernier moment, il se produisit une surenchère de la part d'un nouvel acheteur.

C'était James Burbank qui assistait à cette vente publique des esclaves de Tickborn et s'était senti très touché du sort de la malheureuse métisse, suppliant en vain qu'on ne la séparât pas de son mari. Précisément, James Burbank avait besoin d'une nourrice pour sa petite fille. Ayant appris qu'une des esclaves de Tickborn, dont l'enfant venait de mourir, se trouvait dans les conditions voulues, il ne songeait qu'à acheter la nourrice ; mais, ému des pleurs de Zermah, il n'hésita pas à proposer de son mari et d'elle un prix supérieur à tous ceux qu'on avait offerts jusqu'alors.

Texar connaissait James Burbank, qui l'avait plusieurs fois déjà chassé de son domaine, comme un homme d'une réputation suspecte. C'est même de là que datait la haine que Texar avait vouée à toute la famille de Camdless-Bay.

Texar voulut donc lutter contre son riche concurrent : ce fut en vain. Il s'entêta. Il fit monter au double le prix que Tickborn demandait de la métisse et de son mari. Cela ne servit qu'à les faire payer très cher à James Burbank. Finalement, le couple lui fut adjugé.

Ainsi, non seulement Mars et Zermah ne seraient pas séparés l'un de l'autre, mais ils allaient entrer au service du plus généreux des colons de toute la Floride. Quel adoucissement ce fut à leur malheur, et avec quelle assurance ils pouvaient maintenant envisager l'avenir !

Zermah, six ans après, était encore dans toute la maturité de sa beauté de métisse. Nature énergique, cœur dévoué à ses maîtres, elle avait eu plus d'une fois l'occasion – elle devait l'avoir dans la suite – de leur prouver son dévouement. Mars était digne de la femme à laquelle l'acte charitable de James Burbank l'avait pour jamais rattaché. C'était un type remarquable de ces Africains, auxquels s'est largement mêlé le sang créole. Grand, robuste, d'un courage à toute épreuve, il devait rendre de véritables services à son nouveau maître.

D'ailleurs, ces deux nouveaux serviteurs, adjoints au personnel de la plantation, ne furent pas traités en esclaves. Ils avaient été vite appréciés pour leur bonté et leur intelligence. Mars fut spécialement affecté au service du jeune Gilbert. Zermah devint la nourrice de Diana. Cette situation ne pouvait que les introduire plus profondément dans l'intimité de la famille.

Zermah ressentit d'ailleurs pour la petite fille un amour de mère, cet amour qu'elle ne pouvait plus reporter sur l'enfant qu'elle avait perdu. Dy le lui rendit bien, et l'affection de l'une avait toujours répondu aux soins maternels de l'autre. Aussi, Mme Burbank éprouvait-elle pour Zermah autant d'amitié que de reconnaissance.

Mêmes sentiments entre Gilbert et Mars. Adroit et vigoureux, le métis avait heureusement contribué à rendre son jeune maître habile à tous les exercices du corps. James Burbank ne pouvait que s'applaudir de l'avoir attaché à son fils.

Ainsi, en aucun temps, la situation de Zermah et de Mars n'avait été si heureuse, et cela, au sortir des mains d'un Tickborn, après avoir risqué de tomber dans celles d'un Texar. – Ils ne devaient jamais l'oublier.

V – La Crique-Noire

Le lendemain, aux premières lueurs de l'aube, un homme se promenait sur la berge de l'un des îlots perdus au fond de cette lagune de la Crique-Noire.