On t’aurait prise pour… pour une…

 

Il chercha longtemps le mot, ne le trouva pas, acheva la phrase en sifflotant. Son visage était soudain devenu de pierre.

 

– Je crois que j’ai tué un homme, dit-il. Ou il n’en vaut maintenant guère mieux, sûr !

 

Elle n’a pas bougé. Elle a poussé un profond soupir, puis un autre. On croirait qu’elle bâille. Il pense qu’elle n’a pas entendu.

 

– C’est le garde Mathieu, fait-elle après un silence.

 

– Juste ! Pourquoi que tu le nommes ?

 

– Parce que je l’ai vu passer devant chez nous ce matin. Père a remarqué qu’il avait sa couverture de caoutchouc en bandoulière. « Mathieu va rester la nuit dehors, qu’il a dit, faudra bien que le gars Arsène ouvre l’œil. »

 

– C’était une mauvaise parole. Il en court de pareilles depuis des semaines. Mathieu ne peut pas seulement mettre son nez à la fenêtre qu’on ne dise : « Cette fois, Arsène ne s’en tirera pas, Mathieu va l’avoir. » Hé bien, quoi, c’est moi qui l’ai eu.

 

Il prononce les derniers mots avec un accent de regret. L’aveu qu’il vient de faire a détendu son visage dur, et le regard semble chercher dans le vide d’anciennes images, presque oubliées.

 

– Faut croire que ce sacré cyclone m’avait retourné les nerfs. Je le sentais venir. C’est comme si l’air devenait visqueux, il vous colle à la peau. Et lourd ! J’étais en train de déterrer un de mes pièges, tout près de l’enclos Camille, un beau piège à ressort que j’ai payé trente pistoles. Avec des fortes pluies, on ne sait jamais. Mon piège aurait pu être entraîné jusqu’à Saint-Vaast, d’autant que je ne l’enchaîne plus. « Qu’est-ce que tu fais donc là, gars Arsène ? qu’il me demande. Ça te plairait de faire un tour de l’autre côté de la mare aux harengs ? T’es relégable. » Il disait ça parce que j’avais, en me retournant, mis la main à la poche de mon pantalon. J’ai retourné ma poche. Il y avait dedans ma blague et ma pipe. « Écoutez, que je lui dis, je ne suis pas un idiot. À quoi que ça me servirait de vous faire du mal. Je devrais avoir votre peau, et ça n’est pas la Guyane que je risquerais, mais Deibler. Enfin, si ce bibelot vous plaît, vous pouvez le prendre. » Je voyais que, depuis un moment, il louchait dessus. « Bon ! » qu’il me répond sans se faire trop prier. Je lui tourne le dos, il me rappelle. « Ne te crois pas quitte pour si peu, Arsène mon gars. Voilà trop longtemps que tu nous empêches de dormir. T’es bien fier parce que t’as derrière toi les gros entrepreneurs de braconne d’Arras ou de Boulogne, des malins, des vrais gangsters. Mais il ne manque pas de débrouillards dans ton genre : un de perdu, pour eux, dix de retrouvés.