À son aspect, Rézia pousse un cri de frayeur et de joie : une crainte involontaire et une timide confiance agitent également ses esprits. Les bras croisés sur son sein et la figure animée, elle se tient auprès du jeune homme auquel elle a donné son cœur ; et, malgré le doux sentiment de son innocence, elle ose à peine lever les yeux sur son sauveur.
“C'en est assez, Huon, dit le génie ; tu as acquitté ta parole, et je suis content de toi. Cette beauté doit être ta récompense ; mais, avant de quitter ces lieux, que Rézia songe au parti qu'elle doit prendre ; qu'abusée par ses yeux elle ne s'expose pas à un tardif et vain repentir, ni aux regrets qu'entraîne souvent un choix précipité. Le destin la laisse libre de demeurer ou de partir. Renoncer à tant de magnificence, abandonner et la cour et le trône pour lequel elle était née, s'embarquer avec un homme sur cette vaste mer du monde, sans savoir quel sera le terme et l'issue du voyage, vivre pour lui seul, souffrir avec lui les caprices de la fortune, en supporter les coups… Ah ! souvent ces coups partent de la main la plus chère !… Avant de braver ces dangers, il doit être permis, sans doute, de bien consulter son cœur. Rézia, il en est temps encore, si ces hasards t'effraient, tu peux tromper les vœux de l'amour. Ils ne font que sommeiller, ces hommes que tu crois enveloppés des ombres de la mort. Un coup de ma baguette suffit pour les rendre à la vie. Le sultan te pardonnera sans peine le passé, quelque amer qu'il soit pour lui, et Rézia se verra de nouveau l'idole de l'univers.”
Ainsi parla le beau nain. Huon, plus pâle que la mort, attend l'arrêt dont le menace Obéron, le cruel Obéron ! Le brillant coloris de ses joues est entièrement éteint ; trop généreux ou trop fier peut-être pour chercher à séduire par de tendres discours un cœur incertain ; plongé dans un chagrin profond qu'il contient à peine, il tient ses yeux fixés sur la terre, et ne permet pas à un seul de ses regards de parler en sa faveur. Mais Rézia, brûlante encore du premier baiser qu'elle a reçu, n'a pas besoin d'aliments nouveaux pour ranimer sa flamme. Oh ! que ce qu'elle doit quitter lui semble peu de chose ! Tout ce qu'elle aime au monde, elle va le posséder en possédant Huon ! Elle cache dans ses bras, qu'elle baigne de ses larmes, son visage coloré par l'amour et la pudeur. Tandis que son cœur, vivement ému par la tendresse et le ravissement, cherche à se presser contre le cœur de son amant, Obéron agite doucement sur eux sa baquette de lis, comme s'il voulait bénir l'union de leurs âmes ; et une larme qu'il laisse échapper roule sur leurs fronts.
“Couple chéri, dit-il, volez sur les ailes de l'amour ; mon char vous attend ; allez, il vous aura transporté sur les rives d'Ascalon, avant que la nuit ait développé ses ombres.”
À peine il a prononcé ces mots, qu'il disparaît. La belle fiancée de Huon semble quitter un rêve agréable : elle respire avidemment le doux parfum qu'il laisse après lui ; puis, jetant un regard craintif sur son père, elle soupire ; une douleur cruelle se mêle à la félicité dont son cœur est rempli. Elle s'enveloppe dans ses vêtements. Le chevalier, éclairé par l'amour, n'a pas plus tôt vu les larmes qui obscurcissent les beaux yeux de Rézia et deviné le trouble qui l'agite, qu'il l'entraîne hors de la salle avec une douce violence.
“Partons, dit-il, avant que la nuit nous surprenne, et que le temps ait éveillé les bras que notre bon génie tient encore enchaînés. Quittons ces lieux avant qu'un nouvel ennemi, peut-être, ne mette obstacle à notre fuite. Chère Rézia ! n'en doutez pas, sitôt que nous serons hors d'atteinte, notre bienfaiteur jettera un regard de compassion sur ces êtres assoupis.”
Il dit et l'emporte dans ses bras le long des degrés de marbre qui conduisent au char qu'Obéron a préparé pour eux. Jamais mortel n'a porté un plus doux fardeau ! Un silence effrayant règne dans tout le palais ; c'est celui des tombeaux. Les gardes, couchés çà et là tels que des cadavres, sont ensevelis dans un profond sommeil. Rien ne s'oppose à la fuite des amants. Mais la princesse ne veut pas se confier seule au chevalier, et sa nourrice monte à la hâte dans le char avec Schérasmin. À la vue de tant de prodiges, la pauvre Fatmé ne sait où elle en est. Quelle surprise fut la sienne, alors qu'en se retournant elle vit pour attelage quatre cygnes gouvernés par un enfant ! Jugez de son effroi quand elle se sentit transportée dans les airs. Elle ose à peine respirer ; elle ne peut comprendre comment ce char, si pesamment chargé, peut s'élever et se soutenir sur ce vaste élément, et rouler sur les nuages aussi facilement qu'un esquif léger vogue sur la surface de l'onde. Mais, quand la nuit vint, la peur enfin l'emporta sur la honte, et Fatmé se serra contre Schérasmin aussi ferme que celui qui veut dormir se serre contre son oreiller. Sans doute le bonhomme s'y prêtait de bonne grâce ; en pareil cas le cœur se met volontiers de la partie ; mais il faut dire, pour l'honneur de ce brave vieillard, qu'il sut maintenir dans toute sa pureté la flamme qui l'animait.
Il n'en était pas ainsi du jeune couple que l'amour semblait conduire avec les cygnes de sa mère. Que leur char enchanté traverse des routes frayées, qu'il roule ou qu'il nage, que sa course soit lente ou rapide, qu'il soit conduit par des chevaux ou des cygnes, qu'il mette ou non leurs jours en danger, peu importe ; ils n'y prennent seulement pas garde ; leur félicité présente est pour eux un beau rêve, un enchantement. Ils gardent un silence involontaire ; mais ils ne se lassent pas de se regarder, ils pressent leurs mains brûlantes contre leurs cœurs ivres d'amour ; et, dès que le ciel et la terre ont disparu à leurs yeux, les seuls qui soient encore ouverts dans la nature, ils se demandent alors :
“Est-ce ou n'est-ce pas un songe ? Sommes-nous en effet dans un char ?
– Non ! s'écrient-ils à la fois, ce n'était pas une vaine illusion lorsque je te vis dans mon sommeil. C'était Rézia elle-même…
– C'était Huon !
– Un dieu l'a permis sans doute !
– Tu es à moi !…
– Je suis à toi ! qui eût osé l'espérer ! réunis si miraculeusement !
– Jamais, non, jamais nous ne nous séparerons !”
Après ces mots, ils se regardent de nouveau, et pressent encore leurs mains contre leurs cœurs et sur leurs lèvres.
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