Le monde marche! Pourquoi ne tournerait-il pas?

C'est la vision des nombres. Nous allons à l'Esprit. C'est très certain, c'est oracle, ce que je dis. Je

comprends, et ne sachant m'expliquer sans paroles païennes, je voudrais me taire.

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Le sang païen revient! L'esprit est proche, pourquoi Christ ne m'aide-t-il pas, en donnant à mon

âme noblesse et liberté. Hélas! l'Evangile a passé! l'Evangile! l'Evangile.

J'attends Dieu avec gourmandise. Je suis de race inférieure de toute éternité.

Me voici sur la plage armoricaine. Que les villes s'allument dans le soir. Ma journée est faite; je

quitte l'Europe. L'air marin brûlera mes poumons; les climats perdus me tanneront. Nager, broyer

l'herbe, chasser, fumer surtout; boire des liqueurs fortes comme du métal bouillant, - comme

faisaient ces chers ancêtres autour des feux.

Je reviendrai, avec des membres de fer, la peau sombre, l'oeil furieux: sur mon masque, on me

jugera d'une race forte. J'aurai de l'or: je serai oisif et brutal. Les femmes soignent ces féroces

infirmes retour des pays chauds. Je serai mêlé aux affaires politiques. Sauvé.

Maintenant je suis maudit, j'ai horreur de la patrie. Le meilleur, c'est un sommeil bien ivre, sur la

grève.

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On ne part pas. - Reprenons les chemins d'ici, chargé de mon vice, le vice qui a poussé ses racines

de souffrance à mon côté, dès l'âge de raison - qui monte au ciel, me bat, me renverse, me traîne.

La dernière innocence et la dernière timidité. C'est dit. Ne pas porter au monde mes dégoûts et mes

trahisons.

Allons! La marche, le fardeau, le désert, l'ennui et la colère.

A qui me louer? Quelle bête faut-il adorer? Quelle sainte image attaque-t-on? Quels coeurs briseraije?

Quel mensonge dois-je tenir? - Dans quel sans marcher?

Plutôt, se garder de la justice. - La vie dure, l'abrutissement simple, - soulever, le poing desséché, le

couvercle du cercueil, s'asseoir, s'étouffer. Ainsi point de vieillesse, ni de dangers: la terreur n'est

pas française.

- Ah! je suis tellement délaissé que j'offre à n'importe quelle divine image des élans vers la

perfection.

O mon abnégation, ô ma charité merveilleuse! ici-bas, pourtant!

De profundis Domine, suis-je bête!

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Encore tout enfant, j'admirais le forçat intraitable sur qui se referme toujours le bagne; je visitais les

auberges et les garnis qu'il aurait sacrés par son séjour; je voyais avec son idée le ciel bleu et le

travail fleuri de la campagne; je flairais sa fatalité dans les villes. Il avait plus de force qu'un saint,

plus de bon sens qu'un voyageur - et lui, lui seul! pour témoin de sa gloire et de sa raison.

Sur les routes, par des nuits d'hiver, sans gîte, sans habits, sans pain, une voix étreignait mon coeur

gelé:

"Faiblesse ou force: te voilà, c'est la force. Tu ne sais ni où tu vas ni pourquoi tu vas, entre partout,

réponds à tout. On ne te tuera pas plus que si tu étais cadavre."

Au matin j'avais le regard si perdu et la contenance si morte, que ceux que j'ai rencontrés ne m'ont

peut-être pas vu.

Dans les villes la boue m'apparaissait soudainement rouge et noire, comme une glace quand la

lampe circule dans la chambre voisine, comme un trésor dans la forêt! Bonne chance, criais-je, et je

voyais une mer de flammes et de fumées au ciel; et, à gauche, à droite, toutes les richesses flambant

comme un milliard de tonnerres.

Mais l'orgie et la camaraderie des femmes m'étaient interdites. Pas même un compagnon. Je me

voyais devant une foule exaspérée, en face du peloton d'exécution, pleurant du malheur qu'ils

n'aient pu comprendre, et pardonnant! - Comme Jeanne d'Arc! -

"Prêtres, professeurs, maîtres, vous trompez en me livrant à la justice. Je n'ai jamais été de ce

peuple-ci; je n'ai jamais été chrétien; je suis de la race qui chantait dans le supplice; je ne

comprends pas les lois; je n'ai pas le sens moral, je suis une brute: vous trompez..."

Oui, j'ai les yeux fermés à votre lumière. Je suis une bête, un nègre. Mais je puis être sauvé. Vous

êtes de faux nègres, vous maniaques, féroces, avares. Marchand, tu es nègre; magistrat, tu es nègre;

général, tu es nègre; empereur, vieille démangeaison, tu es nègre: tu as bu d'une liqueur non taxée,

de la fabrique de Satan.