– Je vais la refermer derrière moi ; – je vais voleter désolément jusqu’au balcon de sur la rue. – Tiens ! c’est un corridor ! Ah ! les voilà : – Mon Dieu, mon Dieu ! Je deviens fou… J’étouffe ! »
Je m’éveillai trempé de sueur ; les couvertures trop bordées me sanglaient comme des ligatures ; leur tension me semblait un poids horrible sur la poitrine ; je fis un grand effort, les soulevai, puis d’un coup les rejetai toutes. L’air de la chambre m’entoura ; je respirai avec méthode. – Fraîcheur – petit matin – vitres pâles… il faudra noter tout cela ; – aquarium, – il se confond avec le reste de la chambre… À cet instant je frissonnai ; – je vais me refroidir, pensai-je ; – certainement je me refroidis. – Et grelottant, je me levai pour rattraper les couvertures, et les ramenant sur le lit je me rebordai docilement pour dormir.
HUBERT OU LA CHASSE AU CANARD
Vendredi.
Sur l’agenda, sitôt levé je pus lire : tâcher de se lever à six heures. Il était huit heures ; je pris ma plume ; je biffai ; j’écrivis au lieu : Se lever à onze heures. – Et je me recouchai, sans lire le reste.
Après la nuit horrible, me sentant souffrant, je pris au lieu de lait, pour varier, un peu de tisane ; et même je la pris dans mon lit, où me l’apporta mon domestique. Mon agenda m’exaspérant, ce fut sur une feuille vraiment volante que j’écrivis :
« Ce soir, acheter une bonbonne d’eau d’Évian » – puis j’épinglai cette feuille au mur.
– Pour goûter cette eau, je resterai chez moi, je n’irai point dîner avec Angèle, Hubert y va d’ailleurs ; peut-être que je les gênerais, – mais j’irai sitôt après dans la soirée pour voir si je les aurais gênés.
Je pris ma plume et j’écrivis :
« Chère amie ; j’ai la migraine ; je ne viendrai pas pour souper ; d’ailleurs Hubert viendra, et je ne voudrais pas vous gêner ; mais je viendrai sitôt après dans la soirée. J’ai fait un cauchemar assez curieux que je vous raconterai. »
J’enveloppai la lettre ; pris une autre feuille et tout doucement j’écrivis :
Tityre au bord des étangs va cueillir les plantes utiles. Il trouve des bourraches, des guimauves efficaces et des centaurées très amères. Il revient avec une gerbe de simples. À cause de la vertu des plantes, il cherche des gens à soigner. Autour des étangs, personne. Il pense : c’est dommage. – Alors il va vers les salines où sont fièvres et ouvriers. Il va vers eux, leur parle, les exhorte et leur prouve leur maladie ; – mais un dit qu’il n’est pas malade ; un autre, à qui Tityre donne une fleur médicinale, la plante dans un vase et va la regarder pousser ; un autre enfin sait bien qu’il a la fièvre, mais croit qu’elle est utile à sa santé.
Et comme aucun enfin ne souhaitait guérir et que les fleurs s’en fussent fanées, Tityre prend lui-même la fièvre pour pouvoir au moins se soigner…
À dix heures on sonna ; c’était Alcide. Il dit : « Couché ! – Malade ? »
Je dis : « Non. Bonjour, mon ami. – Mais je ne peux me lever qu’à onze heures. – C’est une décision que j’ai prise. – Tu voulais ?
– Te dire adieu ; on m’a dit que tu partais en voyage… C’est pour longtemps ?
– Pas pour très très longtemps… Tu comprends qu’avec les moyens dont je dispose… Mais l’important c’est de partir.– Hein ? Je ne dis pas ça pour te renvoyer ; – mais j’ai beaucoup à écrire avant de… enfin, tu es bien gentil d’être venu ; – au revoir. » Il partit.
Je pris un nouveau feuillet et j’écrivis :
Tityre semper recubans
puis je me rendormis jusqu’à midi.
C’est une chose curieuse à noter, cela, combien une résolution importante, la décision d’un grand changement dans l’existence, fait paraître futiles les petites obligations du jour, les besognes, et donne donc de force pour les envoyer au diable.
C’est ainsi que j’eus contre Alcide, dont la visite m’importunait, le courage d’une impolitesse que je n’eusse pas osé sans cela. – De même, ayant vu, par hasard sur l’agenda, que malgré moi je regardai, l’indication :
« Dix heures. Aller expliquer à Magloire pourquoi je le trouve si bête. J’eus la force de me réjouir de n’y avoir pas été.
– L’agenda a du bon, pensai-je, car si je n’eusse pas marqué pour ce matin ce que j’eusse dû faire, j’aurais pu l’oublier, et je n’aurais pu me réjouir de ne l’avoir point fait. C’est toujours là le charme qu’a pour moi ce que j’appelai si joliment l’imprévu négatif, je l’aime assez car il nécessite peu d’apport, de sorte qu’il me sert pour les jours ordinaires.
Le soir, après le dîner, donc je me rendis chez Angèle. Elle était assise au piano ; elle aidait Hubert à chanter le grand duo de Lohengrin, que je fus heureux d’interrompre.
« Angèle, chère amie, dis-je en entrant, je n’apporte pas de valise ; pourtant je reste ici toute la nuit, selon votre gracieuse invite, attendant avec vous, n’est-ce pas, l’heure du matinal départ. – J’ai dû laisser ici depuis longtemps divers objets que vous aurez mis dans ma chambre : chaussures rustiques, tricot, ceinture, toque imperméable… Nous trouverons tout ce qu’il faut. Je ne retourne plus chez moi. – Il faut, ce dernier soir, s’ingénier, songer au départ de demain, ne rien faire qui ne le prépare ; il faut le motiver, l’amener, le rendre en tous points désirable.
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