D’ailleurs on ne peut pas sortir ; mais c’est parce qu’on ne sort pas. » – Non ! pas cela ! Recommençons. Je déchirai. – Ce qu’il faut indiquer c’est que chacun, quoique enfermé, se croit dehors. Misère de ma vie ! Un exemple. – À ce moment quelqu’un monta ; c’était Martin. Il dit :
« Tiens ! tu travailles ! »
Je répondis :
« Mon cher, bonsoir. Je suis en train de t’écrire ; ne me dérange pas. Tu m’attendras là-haut sur la banquette. »
Il monta.
J’écrivis :
« On ne sort pas ; – c’est un tort. D’ailleurs on ne peut pas sortir ; – mais c’est parce que l’on ne sort pas. – On ne sort pas parce que l’on se croit déjà dehors. Si l’on se savait enfermé, on aurait du moins l’envie de sortir.
« Non ! pas cela ! pas cela ! Recommençons. Je déchirai. – Ce qu’il faut indiquer, c’est que chacun se croit dehors parce qu’il ne regarde pas. – D’ailleurs il ne regarde pas parce qu’il est aveugle. Misère de ma vie ! Je n’y comprends plus rien… Mais aussi l’on est horriblement mal ici pour produire. » Je pris un autre feuillet. À ce moment quelqu’un monta ; c’était le philosophe Alexandre. Il dit :
« Tiens ! Vous travaillez ? »
Je répondis, absorbé :
« Bonsoir ; j’écris à Martin ; il est là-haut sur la banquette. – Asseyez-vous ; j’ai bientôt fini… Ah ! il n’y a plus de place ?…
– Ça ne fait rien, dit Alexandre, car j’ai ma canne à reposoir. » Et dépliant son instrument, il attendit.
« À présent, j’ai fini », repris-je. Et me penchant sur la rampe : « Martin ! criai-je, es-tu là-haut ?
– Oui ! cria-t-il. J’attends. Apporte ta banquette. »
Or, comme chez Angèle je suis presque chez moi, je trimbalai mon siège ; et là-haut, tous trois installés, Martin et moi nous échangeâmes nos feuilles, tandis qu’Alexandre attendait.
Sur ma feuille on lisait :
Être aveugle pour se croire heureux. Croire qu’on y voit clair pour ne pas chercher à y voir puisque :
L’on ne peut se voir que malheureux.
Sur sa feuille on lisait :
Être heureux de sa cécité. Croire qu’on y voit clair pour ne pas chercher à y voir puisque :
L’on ne peut être que malheureux de se voir.
« Mais, m’écriai-je, c’est précisément ce qui te réjouit que je déplore ; – et il faut bien que j’aie raison puisque je déplore que tu t’en réjouisses, tandis que toi tu ne peux pas te réjouir de ce que je le déplore. – Recommençons. »
Alexandre attendait.
« C’est bientôt fini, lui dis-je – on vous expliquera. »
Nous reprîmes nos feuilles.
J’écrivis :
« Tu me rappelles ceux qui traduisent Numero Deus impare gaudet par : “Le numéro Deux se réjouit d’être impair” et qui trouvent qu’il a bien raison. – Or s’il était vrai que l’imparité porte en elle quelque promesse de bonheur – je dis de liberté, on devrait dire au nombre Deux : “Mais, pauvre ami, vous ne l’êtes pas, impair ; pour vous satisfaire de l’être tâchez au moins de le devenir.” »
Il écrivit :
« Tu me rappelles ceux qui traduisent : Et dona ferentes par : “Je crains les Grecs.” – Et qui ne s’aperçoivent plus des présents. – Or, s’il était vrai que chaque présent cache un Grec qui tout aussitôt nous captive ; – je dirais au Grec : “Gentil Grec, donne et prends ; nous serons quittes. Je suis ton homme, il est vrai, mais sinon tu ne m’auras rien donné.” Où je dis Grec, entends Nécessité. Elle ne prend qu’autant qu’elle donne. »
Nous échangeâmes. Un peu de temps passa.
Au-dessous de mon feuillet, il écrivit :
« Plus j’y réfléchis, plus je trouve ton exemple stupide, car enfin…
Au-dessous de son feuillet j’écrivis :
« Plus j’y réfléchis, plus je trouve ton exemple stupide, car enfin…
–… Ici la feuille étant remplie, chacun de nous la tourna – mais au verso de la sienne on lisait déjà :
– Du bonheur dans la règle. Être joyeux.
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