Parallèlement

Paul Verlaine

Parallèlement


1889

Un texte du domaine public.
Une édition libre.

ISBN—978-2-8247-1176-8

BIBEBOOK
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Sources :


- B.N.F.
- Éfélé

Ont contribué à cette édition :


- Association de Promotion de l'Ecriture et de la Lecture

Fontes :

- David Rakowski's
- Manfred Klein
- Dan Sayers
- Justus Erich Walbaum - Khunrath

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DÉDICACE

Vous souvient-il, cocodette un peu mûre

Qui gobergez vos flemmes de bourgeoise,

Du temps joli quand, gamine un peu sûre,

Tu m’écoutais, blanc-bec fou qui dégoise ?

Gardâtes-vous fidèle la mémoire,

O grasse en des jerseys de poult-de-soie,

De t’être plu jadis à mon grimoire,

Cour par écrit, postale petite oye ?

Avez-vous oublié, Madame Mère,

Non, n’est-ce pas, même en vos bêtes fêtes,

Mais fautes de goût, mais non de grammaire,

Au rebours de tes chères lettres bêtes ?

Et quand sonna l’heure des justes noces,

Sorte d’Ariane qu’on me dit lourde,

Mes yeux gourmands et mes baisers féroces

A tes nennis faisant l’oreille sourde ?

Rappelez-vous aussi s’il est loisible

A votre cœur de veuve mal morose,

Ce moi toujours prêt, terrible, horrible,

Ce toi mignon prenant goût à la chose,

Et tout le train, tout l’entrain d’un manège

Qui par malheur devient notre ménage.

Que n’avez-vous en ces jours-là, que n’ai-je

Compris les torts de votre et de mon âge !

C’est bien fâcheux : me voici, lamentable

Épave éparse à tous les flots du vice,

Vous voici, toi, coquine détestable,

Et ceci fallait que je l’écrivisse !

ALLÉGORIE

Un très vieux temple antique s’écroulant

Sur le sommet indécis d’un mont jaune,

Ainsi qu’un roi déchu pleurant son trône ;

Se mire, pâle, au tain d’un fleuve lent ;

Grâce endormie et regard somnolent,

Une naïde âgée, auprès d’une aulne,

Avec un brin de saule agace un faune

Qui lui sourit, bucolique et galant.

Sujet naïf et fade qui m’attristes,

Dis, quel poète entre tous les artistes,

Quel ouvrier morose t’opéra,

Tapisserie usée et surannée,

Banale comme un décor d’opéra,

Factice, hélas ! comme ma destinée ?

LES AMIES

SUR LE BALCON

Toutes deux regardaient s’enfuir les hirondelles :

L’une pâle aux cheveux de jais, et l’autre blonde

Et rose, et leurs peignoirs légers de vieille blonde

Vaguement serpentaient, nuages, autour d’elles.

Et toutes deux, avec des langueurs d’asphodèles,

Tandis qu’au ciel montait la lune molle et ronde,

Savouraient à longs traits l’émotion profonde

Du soir et le bonheur triste des cœurs fidèles.

Telles, leurs bras pressant, moites, leurs tailles souples,

Couple étrange qui prend pitié des autres couples,

Telles, sur le balcon, rêvaient les jeunes femmes.

Derrière elles, au fond du retrait riche et sombre,

Emphatique comme un trône de mélodrame

Et plein d’odeurs, le Lit, défait, s’ouvrait dans l’ombre.

PENSIONNAIRES

L’une avait quinze ans, l’autre en avait seize ;

Toutes deux dormaient dans la même chambre

C’était par un soir très lourd de septembre :

Frêles, des yeux bleus, des rougeurs de fraises,

Chacune a quitté, pour se mettre à l’aise,

La fine chemise au frais parfum d’ambre.

La plus jeune étend les bras et se cambre,

Et sa sœur, les mains sur ses seins, la baise.

Puis tombe à genoux, puis devient farouche

Et tumultueuse et folle et sa bouche

Plonge sous l’or blond, dans les ombres grises ;

Et l’enfant, pendant ce temps-là, recense

Sur ses doigts mignons des valses promises,

Et, rose, sourit avec innocence.

PER AMIGA SILENTIA

Les longs rideaux de blanche mousseline

Que la lueur pâle de la veilleuse

Fait fluer comme une vague opaline

Dans l’ombre mollement mystérieuse,

Les grands rideaux du grand lit d’Adeline

Ont entendu, Claire, ta voix rieuse,

Ta douce voix argentine et câline

Qu’une autre voix enlace, furieuse.

« Aimons, aimons ! » disaient vos voix mêlées,

Claire, Adeline, adorables victimes

Du noble vœu de vos âmes sublimes.

Aimez, aimez ! ô chères Esseulées,

Puisqu’en ces jours de malheur, vous encore,

Le glorieux Stigmate vous décore.

PRINTEMPS

Tendre, la jeune femme rousse,

Que tant d’innocence émoustille,

Dit à la blonde jeune fille

Ces mots, tout bas, d’une voix douce :

« Sève qui monte et fleur qui pousse,

Ton enfance est une charmille :

Laisse errer mes doigts dans la mousse

Où le bouton de rose brille,

Laisse-moi, parmi l’herbe claire,

Boire les gouttes de rosée

Dont la fleur tendre est arrosée, —

« Afin que le plaisir, ma chère,

Illumine ton front candide

Comme l’aube l’azur timide. »

ÉTÉ

Et l’enfant répondit, pâmée

Sous la fourmillante caresse

De sa pantelante maîtresse :

« Je me meurs, ô ma bien-aimée !

« Je me meurs : ta gorge enflammée

Et lourde me soûle, m’oppresse ;

Ta forte chair d’où sort l’ivresse

Est étrangement parfumée :

« Elle a, ta chair, le charme sombre

Des maturités estivales, —

Elle en a l’ambre, elle en a l’ombre ;

« Ta voix tonne dans les rafales,

Et ta chevelure sanglante

Fuit brusquement dans la nuit lente. »

SAPHO

Furieuse, les yeux caves et les seins roides,

Sapho, que la langueur de son désir irrite,

Comme une louve court le long des grèves froides,

Elle songe à Phaon, oublieuse du Rite,

Et, voyant à ce point ses larmes dédaignées,

Arrache ses cheveux immenses par poignées ;

Puis elle évoque, en des remords sans accalmies,

Ces temps où rayonnait, pure, la jeune gloire

De ses amours chantés en vers que la mémoire

De l’âme va redire aux vierges endormies :

Et voilà qu’elle abat ses paupières blêmies

Et saute dans la mer où l’appelle la Moire, —

Tandis qu’au ciel éclate, incendiant l’eau noire,

La pâle Séléné qui venge les Amies.

FILLES

A LA PRINCESSE ROUKINE

« Capellos de Angelos. »

Friandise espagnole.

C’est une laide de Boucher

Sans poudre dans sa chevelure,

Follement blonde et d’une allure

Vénuste à tous nous débaucher.

Mais je la crois mienne entre tous,

Cette crinière tant baisée,

Cette cascatelle embrasée

Qui m’allume par tous les bouts,

Elle est à moi bien plus encor

Comme une flamboyante enceinte

Aux entours de la porte sainte,

L’alme, la dive toison d’or !

Et qui pourrait dire ce corps

Sinon moi, son chantre et son prêtre,

Et son esclave humble et son maître

Qui s’en damnerait sans remords.

Son cher corps rare, harmonieux,

Suave, blanc comme une rose

Blanche, blanc de lait pur, et rose

Comme un lis sous de pourpres cieux ?

Cuisses belles, seins redressants,

Le dos, les reins, le ventre, fête

Pour les yeux et les mains en quête

Et pour la bouche et tous les sens ?

Mignonne, allons voir si ton lit

A toujours sous le rideau rouge

L’oreiller sorcier qui tant bouge

Et les draps fous. O vers ton lit !

SÉGUIDILLE

Brune encore non eue,

Je te veux presque nue

Sur un canapé noir

Dans un jaune boudoir,

Comme en mil huit cent trente.

Presque nue et non nue

A travers une nue

De dentelles montrant

Ta chair où va courant

Ma bouche délirante.

Je te veux trop rieuse

Et très impérieuse,

Méchante et mauvaise et

Pire s’il te plaisait,

Mais si luxurieuse !

Ah ! ton corps noir et rose

Et clair de lune ! Ah ! pose

Ton coude sur mon cœur,

Et tout ton corps vainqueur,

Tout ton corps que j’adore !

Ah ! ton corps, qu’il repose

Sur mon âme morose

Et l’étouffe s’il peut,

Si ton caprice veut !

Encore, encore, encore !

Splendides, glorieuses,

Bellement furieuses

Dans leurs jeunes ébats,

Fous mon orgueil en bas

Sous tes fesses joyeuses !

CASTA PIANA

Tes cheveux bleus aux dessous roux,

Tes yeux très durs qui sont trop doux,

Ta beauté, qui n’en est pas une,

Tes seins que busqua, que musqua

Un diable cruel et jusqu’à

Ta pâleur volée à la lune,

Nous ont mis dans tous nos états,

Notre-dame du galetas

Que l’on vénère avec des cierges

Non bénits, les Avé non plus

Récités lors des Angélus

Que sonnent tant d’heures peu vierges.

Et vraiment tu sens le fagot :

Tu tournes un homme en nigaud,

En chiffe, en symbole, en un souffle,

Le temps de dire ou de faire oui,

Le temps d’un bonjour ébloui,

Le temps de baiser ta pantoufle.

Terrible lieu, ton galetas !

On t’y prend toujours sur le tas

A démolir quelque maroufle,

Et, décanillés, ces amants,

Munis de tous les sacrements,

T’y penses moins qu’à ta pantoufle !

T’as raison ! Aime-moi donc mieux

Que tous ces jeunes et ces vieux

Qui ne savent pas la manière,

Moi qui suis dans ton mouvement,

Moi qui connais le boniment

Et te voue une cour plénière !

Ne fronce plus ces sourcils-ci,

Casta, ni cette bouche-ci,

Laisse-moi puiser tous tes baumes,

Piana, sucrés, salés, poivrés,

Et laisse-moi boire, poivrés,

Salés, sucrés, tes sacrés baumes.

AUBURN

« Et des châtain’s aussi. »

(Chanson de Malbrouk.)

Tes yeux, tes cheveux indécis,

L’arc mal précis de tes sourcils,

La fleur pâlotte de ta bouche,

Ton corps vague et pourtant dodu,

Te donnent un air peu farouche

A qui tout mon hommage est dû.

Mon hommage, eh, parbleu ! tu l’as.

Tous les soirs, quels joie et soulas,

O ma très sortable châtaine,

Quand vers mon lit tu viens, les seins

Roides, et quelque peu hautaine,

Sûre de mes humbles desseins,

Les seins roides sous la chemise,

Fière de la fête promise

A tes sens partout et longtemps,

Heureuse de savoir ma lèvre,

Ma main, mon tout, impénitents

De ces péchés qu’un fol s’en sèvre !

Sûre de baisers savoureux

Dans le coin des yeux, dans le creux

Des bras et sur le bout des mammes,

Sûre de l’agenouillement

Vers ce buisson ardent des femmes

Follement, fanatiquement !

Et hautaine puisque tu sais

Que ma chaire adore à l’excès

Ta chair et que tel est ce culte

Qu’après chaque mort, — quelle mort ! —

Elle renaît, dans quel tumulte !

Pour mourir encore et plus fort.

Oui, ma vague, sois orgueilleuse

Car radieuse ou sourcilleuse,

Je suis ton vaincu, tu m’as tien :

Tu me roules comme la vague

Dans un délice bien païen,

Et tu n’es pas déjà si vague !

A MADEMOISELLE øøø

Rustique beauté

Qu’on a dans les coins,

Tu sens bon les foins,

La chair et l’été.

Tes trente-deux dents

De jeune animal

Ne vont point trop mal

A tes yeux ardents.

Ton corps dépravant

Sous tes habits courts,

Retroussés et lourds,

Tes seins en avant,

Tes mollets farauds,

Ton buste tentant,

— Gai, comme impudent,

Ton cul ferme et gros,

Nous boutent au sang

Un feu bête et doux

Qui nous rend tout fous,

Croupe, rein et flanc.

Le petit vacher

Tout fier de son cas,

Le maître et ses gas,

Les gas du berger

Je meurs si je mens,

Je les trouve heureux,

Tous ces cul-terreux,

D’être tes amants.

A MADAME øøø

Vos narines qui vont en l’air,

Non loin de deux beaux yeux quelconques,

Sont mignonnes comme ces conques

Du bord de mer de bains de mer ;

Un sourire moins franc qu’aimable

Découvre de petites dents,

Diminutifs outrecuidents

De celles d’un loup de la fable ;

Bien en chair, lente avec du chien,

On remarque votre personne,

Et votre voix fine raisonne

Non sans des agréments très bien.

De la grâce externe et légère

Et qui me laissait plutôt coi

Font de vous un morceau de roi,

O constitutionnel, chère !

Toujours est-il, regret ou non,

Que je ne sais pourquoi mon âme

Par ces froids pense à vous, Madame

De qui je ne sais plus le nom.

RÉVÉRENCE PARLER

PROLOGUE D’UN LIVRE DONT IL NE PARAITRA QUE LES EXTRAITS CI-APRÈS

Ce n’est pas de ces dieux foudroyés.

Ce n’est pas encore une infortune

Poétique autant qu’inopportune,

O lecteur de bon sens, ne fuyez !

On sait trop tout le prix du malheur

Pour le perdre en disert gaspillage.

Vous n’aurez ni mes traits ni mon âge,

Ni le vrai mal secret de mon cœur.

Et de ce que ces vers maladifs

Furent faits en prison, pour tout dire,

On ne va pas crier au martyre.

Que Dieu vous garde des expansifs !

On vous donne un livre fait ainsi.

Prenez-le pour ce qu’il vaut en somme.

C’est l’œgri somnium d’un brave homme

Étonné de se trouver ici.

On y met, avec la « bonne foy »,

L’orthographe à peu près qu’on possède

Regrettant de n’avoir à son aide

Que ce prestige d’être bien soi.

Vous lirez ce libelle tel quel,

Tout ainsi que vous feriez d’un autre.

Ce vœu bien modeste est le seul nôtre,

N’étant guère après tout criminel.