Un mot encor, car je vous dois
Quelque lueur en définitive
Concernant la chose qui m’arrive :
Je compte parmi les maladroits.
J’ai perdu ma vie, et je sais bien
Que tout blâme sur moi s’en va fondre ;
A cela je ne puis que répondre
Que je suis vraiment né Saturnien.
IMPRESSION FAUSSE
Dame souris trotte
Noire dans le gris du soir,
Dame souris trotte
Grise dans le noir.
On sonne la cloche :
Dormez, les bons prisonniers
On sonne la cloche :
Faut que vous dormiez.
Pas de mauvais rêves,
Ne pensez qu’à vos amours.
Pas de mauvais rêves :
Les belles toujours !
Le grand clair de lune !
On ronfle ferme à côté.
Le grand clair de lune
En réalité !
Un nuage passe,
Il fait noir comme en un four.
Un nuage passe.
Tiens, le petit jour !
Dame souris trotte,
Rose dans les rayons bleus.
Dame souris trotte :
Debout, paresseux !
AUTRE
La cour se fleurit de souci
Comme le front
De tous ceux-ci
Qui vont en rond
En flageolant sur leur fémur
Débilité
Le long du mur
Fou de clarté.
Tournez, Samsons sans Dalila,
Sans Philistin,
Tournez bien la
Meule au destin.
Vaincu risible de la loi,
Mouds tour à tour
Ton cœur, ta foi
Et ton amour !
Ils vont ! et leurs pauvres souliers
Font un bruit sec,
Humiliés,
La pipe au bec.
Pas un mot ou bien le cachot,
Pas un soupir.
Il fait si chaud
Qu’on croit mourir.
J’en suis de ce cirque effaré,
Soumis d’ailleurs
Et préparé
A tous malheurs
Et pourquoi si j’ai contristé
Ton vœu têtu,
Société,
Me choierais-tu ?
Allons, frères, bons vieux voleurs,
Doux vagabonds,
Filous en fleurs,
Mes chers, mes bons,
Fumons philosophiquement,
Promenons-nous
Paisiblement :
Rien faire est doux.
RÉVERSIBILITÉS
Totus in maligno positus
.
Entends les pompes qui font
Le cri des chats.
Des sifflets viennent et vont
Comme en pourchas.
Ah ! dans ces tristes décors
Les Déjà sont les Encors !
O les vagues Angélus !
(Qui viennent d’où ?)
Vois s’allumer les Saluts
Du fond d’un trou.
Ah ! dans ces mornes séjours
Les Jamais sont les Toujours !
Quels rêves épouvantés,
Vous, grands murs blancs !
Que de sanglots répétés,
Fous ou dolents !
Ah ! dans ces piteux retraits
Les Toujours sont les Jamais !
Tu meurs doucereusement,
Obscurément,
Sans qu’on veille, ô cœur aimant.
Sans testament !
Ah ! dans ces deuils sans rachats
Les Encors sont les Déjàs !
TANTALIZED
L’aile où je suis donnant juste sur une gare,
J’entends de nuit (mes nuits sont blanches) la bagarre
Des machines qu’on chauffe et des trains ajustés,
Et vraiment c’est des bruits de nids répercutés
A des cieux de fonte et de verre et gras de houille.
Vous n’imaginez pas comme cela gazouille
Et comme l’on dirait des efforts d’oiselets
Vers des vols tout prochains à des cieux violets
Encore et que le point du jour éclaire à peine,
O ces wagons qui vont dévaler dans la plaine !
INVRAISEMBLABLE MAIS VRAI
Las ! je suis à l’Index et dans les dédicaces
Me voici Paul V… pur et simple. Les audaces
De mes amis, tant les éditeurs sont des saints,
Doivent éliminer mon nom de leurs desseins,
Extraordinaire et saponaire tonnerre
D’une excommunication que je vénère
Au point d’en faire des fautes de quantité !
Vrai, si je n’étais pas (forcément) désisté
Des choses, j’aimerais, surtout m’étant contraire,
Cette pudeur du moins si rare de libraire.
LE DERNIER DIZAIN
O Belgique qui m’as valu ce dur loisir,
Merci ! J’ai pu du moins réfléchir et saisir
Dans le silence doux et blanc de tes cellules
Les raisons qui fuyaient comme des libellules
A travers les roseaux bavards d’un monde vain,
Les raisons de mon être éternel et divin,
Et les étiqueter comme en un beau musée
Dans les cases en fin cristal de ma pensée.
Mais, ô Belgique, assez de ce huis clos têtu !
Ouvre enfin, car c’est bon pour une fois, sais-tu !
Bruxelles, août 1873. — Mons, janvier 1875.
LUNES
1
Je veux, pour te tuer, ô temps qui me dévastes,
Remonter jusqu’aux jours bleuis des amours chastes
Et bercer ma luxure et ma honte au bruit doux
D’un baiser sur Sa main et non plus dans Leurs cous
Le Tibère effrayant que je suis à cette heure,
Quoi que j’en aie, et que je rie ou que je pleure,
Qu’il dorme ! pour rêver, loin d’un cruel bonheur,
Aux tendrons pâlots dont on ménageait l’honneur
Ès fêtes, dans, après le bal sur la pelouse,
Le clair de lune quand le clocher sonnait douze.
A LA MANIÈRE DE PAUL VERLAINE
C’est à cause du clair de lune
Que j’assume ce masque nocturne
Et de Saturne penchant son urne
Et de ces lunes l’une après l’une.
Des romances sans paroles ont,
D’un accord discord ensemble et frais,
Agacé ce cœur fadasse exprès.
O le son, le frisson qu’elles ont !
Il n’est pas que vous n’ayez fait grâce
A quelqu’un qui vous jetait l’offense :
Or, moi, je pardonne à mon enfance
Revenant fardée et non sans grâce.
Je pardonne à ce mensonge-là
En faveur en somme du plaisir
Très banal drôlement qu’un loisir
Douloureux un peu m’inocula.
EXPLICATION
Je vous dis que ce n’est pas ce que l’on pensa.
P. V.
Le bonheur de saigner sur le cœur d’un ami,
Le besoin de pleurer bien longtemps sur son sein,
Le désir de parler à lui, bas à demi,
Le rêve de rester ensemble sans dessein !
Le malheur d’avoir tant de belles ennemies,
La satiété d’être une machine obscène,
L’horreur des cris impurs de toutes ces lamies,
Le cauchemar d’une incessante mise en scène !
Mourir pour sa Patrie ou pour son Dieu, gaîment,
Ou pour l’autre, en ses bras, et baisant chastement
La main qui ne trahit, la bouche qui ne ment !
Vivre loin des devoirs et des saintes tourmentes
Pour les seins clairs et pour les yeux luisant d’amantes,
Et pour le… reste ! vers telles morts infamantes !
AUTRE EXPLICATION
Amour qui ruisselais de flammes et de lait,
Qu’est devenu ce temps, et comme est-ce qu’elle est,
La constance sacrée au chrême des promesses ?
Elle ressemble une putain dont les prouesses
Empliraient cent bidets de futurs fœtus froids ;
Et le temps a crû mais pire, tels les effrois
D’un polype grossi d’heure en heure et qui pète.
Lâches, nous ! de nous être ainsi lâchés !
« Arrête !
Dit quelqu’un de dedans le sein. C’est bien la loi.
On peut mourir pour telle ou tel, on vit pour soi,
Même quand on voudrait vivre pour tel ou telle !
Et puis l’heure sévère, ombre de la mortelle,
S’en vient déjà couvrir les trois quarts du cadran.
Il faut, dès ce jourd’hui, renier le tyran
Plaisir, et se complaire aux prudents hyménées,
Quittant le souvenir des heures entraînées
Et des gens. Et voilà la norme et le flambeau.
Ce sera bien. »
L’Amour :
« Ce ne serait pas beau. »
LIMBES
L’imagination, reine,
Tient ses ailes étendues,
Mais la robe qu’elle traîne
A des lourdeurs éperdues.
Cependant que la Pensée,
Papillon, s’envole et vole,
Rose et noir clair, élancée
Hors de la tête frivole.
L’imagination, sise
En son trône, ce fier siège !
Assiste, comme indécise,
A tout ce preste manège,
Et le papillon fait rage,
Monte et descend, plane et vire :
On dirait dans un naufrage
Des culbutes du navire.
La reine pleure de joie
Et de peine encore, à cause
De son cœur qu’un chaud pleur noie,
Et n’entend goutte à la chose.
Psyché Deux pourtant se lasse.
Son vol est la main plus lente
Que cent tours de passe-passe
Ont fait toute tremblante.
Hélas, voici l’agonie !
Qui s’en fût formé l’idée ?
Et tandis que, bon génie
Plein d’une douceur lactée,
La bestiole céleste
S’envient palpiter à terre,
La Folle-du-Logis reste
Dans sa gloire solitaire !
LOMBES
Deux femmes des mieux m’ont apparu cette nuit.
Mon rêve était au bal, je vous demande un peu !
L’une d’entre elles maigre assez, blonde, un œil bleu,
Un noir et ce regard mécréant qui poursuit.
L’autre, brune au regard sournois qui flatte et nuit,
Seins joyeux d’être vus, digne d’un demi-dieu !
Et toutes deux avaient, pour rappeler le jeu
De la main chaude, sous la traîne qui bruit,
Des bas de dos très beaux et d’une gaité folle
Auxquels il ne manquait vraiment que la parole,
Royale arrière-garde aux combats du plaisir.
Et ces dames, — scrutez l’armorial de France, —
S’efforcaient d’entamer l’orgueil de mon désir
Et n’en revenaient pas de mon indifférence.
Vouziers (Ardennes), 13 avril — 13 mai 1885
LA DERNIÈRE FÊTE GALANTE
Pour une bonne fois, séparons-nous,
Très chers messieurs et si belles mesdames.
Assez comme cela d’épithalames,
Et puis là, nos plaisirs furent trop doux.
Nul remords, nul regret vrai, nul désastre ;
C’est effrayant ce que nous sentons
D’affinités avecque les moutons
Enrubannés du pire poétastre.
Nous fûmes trop ridicules un peu
Avec nos airs de n’y toucher qu’à peine.
Le Dieu d’amour veut qu’on ait de l’haleine.
Il a raison ! Et c’est un jeune Dieu.
Séparons-nous, je vous le dis encore.
O que nos cœurs qui furent trop bêlants,
Dès ce jourd’hui réclament trop hurlants
L’embarquement pour Sodome et Gomorrhe !
POÈME SATURNIN
Ce fut bizarre et Satan dut rire.
Ce jour d’été m’avait tout soûlé.
Quelle chanteuse impossible à dire
Et tout ce qu’elle a débagoulé !
Ce piano dans trop de fumée
Sous des suspensions à pétrole !
Je crois, j’avais la bile enflammée,
J’entendais de travers ma parole.
Je crois, mes sens étaient à l’envers,
Ma bile avait fait des bouillons fantasques.
O les refrains de cafés-concerts.
Faussés par le plus plâtré des masques !
Dans des troquets comme en ces bourgades,
J’avais rôdé, suçant peu de glace.
Trois galopins aux yeux de tribades
Dévisageaient sans fin ma grimace.
Je fus hué manifestement
Par ces voyous, non loin de la gare,
Et les engueulai si goulûment
Que j’en faillis gober mon cigare.
Je rentre : une voix à mon oreille,
Un pas fantôme. Aucun ou personne ?
On m’a frôlé. — La nuit sans pareille !
Ah ! l’heure d’un réveil drôle sonne.
Attigny (Ardennes), 31 mai — 1er juillet 1885.
L’IMPRUDENT
La misère et le mauvais œil,
Soit dit sans le calomnier,
Ont fait à ce monstre d’orgueil
Une âme de vieux prisonnier.
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