Aimez, aimez ! ô chères Esseulées,
Puisqu’en ces jours de malheur, vous encore,
Le glorieux Stigmate vous décore.
PRINTEMPS
Tendre, la jeune femme rousse,
Que tant d’innocence émoustille,
Dit à la blonde jeune fille
Ces mots, tout bas, d’une voix douce :
« Sève qui monte et fleur qui pousse,
Ton enfance est une charmille :
Laisse errer mes doigts dans la mousse
Où le bouton de rose brille,
Laisse-moi, parmi l’herbe claire,
Boire les gouttes de rosée
Dont la fleur tendre est arrosée, —
« Afin que le plaisir, ma chère,
Illumine ton front candide
Comme l’aube l’azur timide. »
ÉTÉ
Et l’enfant répondit, pâmée
Sous la fourmillante caresse
De sa pantelante maîtresse :
« Je me meurs, ô ma bien-aimée !
« Je me meurs : ta gorge enflammée
Et lourde me soûle, m’oppresse ;
Ta forte chair d’où sort l’ivresse
Est étrangement parfumée :
« Elle a, ta chair, le charme sombre
Des maturités estivales, —
Elle en a l’ambre, elle en a l’ombre ;
« Ta voix tonne dans les rafales,
Et ta chevelure sanglante
Fuit brusquement dans la nuit lente. »
SAPHO
Furieuse, les yeux caves et les seins roides,
Sapho, que la langueur de son désir irrite,
Comme une louve court le long des grèves froides,
Elle songe à Phaon, oublieuse du Rite,
Et, voyant à ce point ses larmes dédaignées,
Arrache ses cheveux immenses par poignées ;
Puis elle évoque, en des remords sans accalmies,
Ces temps où rayonnait, pure, la jeune gloire
De ses amours chantés en vers que la mémoire
De l’âme va redire aux vierges endormies :
Et voilà qu’elle abat ses paupières blêmies
Et saute dans la mer où l’appelle la Moire, —
Tandis qu’au ciel éclate, incendiant l’eau noire,
La pâle Séléné qui venge les Amies.
FILLES
A LA PRINCESSE ROUKINE
« Capellos de Angelos. »
Friandise espagnole.
C’est une laide de Boucher
Sans poudre dans sa chevelure,
Follement blonde et d’une allure
Vénuste à tous nous débaucher.
Mais je la crois mienne entre tous,
Cette crinière tant baisée,
Cette cascatelle embrasée
Qui m’allume par tous les bouts,
Elle est à moi bien plus encor
Comme une flamboyante enceinte
Aux entours de la porte sainte,
L’alme, la dive toison d’or !
Et qui pourrait dire ce corps
Sinon moi, son chantre et son prêtre,
Et son esclave humble et son maître
Qui s’en damnerait sans remords.
Son cher corps rare, harmonieux,
Suave, blanc comme une rose
Blanche, blanc de lait pur, et rose
Comme un lis sous de pourpres cieux ?
Cuisses belles, seins redressants,
Le dos, les reins, le ventre, fête
Pour les yeux et les mains en quête
Et pour la bouche et tous les sens ?
Mignonne, allons voir si ton lit
A toujours sous le rideau rouge
L’oreiller sorcier qui tant bouge
Et les draps fous. O vers ton lit !
SÉGUIDILLE
Brune encore non eue,
Je te veux presque nue
Sur un canapé noir
Dans un jaune boudoir,
Comme en mil huit cent trente.
Presque nue et non nue
A travers une nue
De dentelles montrant
Ta chair où va courant
Ma bouche délirante.
Je te veux trop rieuse
Et très impérieuse,
Méchante et mauvaise et
Pire s’il te plaisait,
Mais si luxurieuse !
Ah ! ton corps noir et rose
Et clair de lune ! Ah ! pose
Ton coude sur mon cœur,
Et tout ton corps vainqueur,
Tout ton corps que j’adore !
Ah ! ton corps, qu’il repose
Sur mon âme morose
Et l’étouffe s’il peut,
Si ton caprice veut !
Encore, encore, encore !
Splendides, glorieuses,
Bellement furieuses
Dans leurs jeunes ébats,
Fous mon orgueil en bas
Sous tes fesses joyeuses !
CASTA PIANA
Tes cheveux bleus aux dessous roux,
Tes yeux très durs qui sont trop doux,
Ta beauté, qui n’en est pas une,
Tes seins que busqua, que musqua
Un diable cruel et jusqu’à
Ta pâleur volée à la lune,
Nous ont mis dans tous nos états,
Notre-dame du galetas
Que l’on vénère avec des cierges
Non bénits, les Avé non plus
Récités lors des Angélus
Que sonnent tant d’heures peu vierges.
Et vraiment tu sens le fagot :
Tu tournes un homme en nigaud,
En chiffe, en symbole, en un souffle,
Le temps de dire ou de faire oui,
Le temps d’un bonjour ébloui,
Le temps de baiser ta pantoufle.
Terrible lieu, ton galetas !
On t’y prend toujours sur le tas
A démolir quelque maroufle,
Et, décanillés, ces amants,
Munis de tous les sacrements,
T’y penses moins qu’à ta pantoufle !
T’as raison ! Aime-moi donc mieux
Que tous ces jeunes et ces vieux
Qui ne savent pas la manière,
Moi qui suis dans ton mouvement,
Moi qui connais le boniment
Et te voue une cour plénière !
Ne fronce plus ces sourcils-ci,
Casta, ni cette bouche-ci,
Laisse-moi puiser tous tes baumes,
Piana, sucrés, salés, poivrés,
Et laisse-moi boire, poivrés,
Salés, sucrés, tes sacrés baumes.
AUBURN
« Et des châtain’s aussi. »
(Chanson de Malbrouk.)
Tes yeux, tes cheveux indécis,
L’arc mal précis de tes sourcils,
La fleur pâlotte de ta bouche,
Ton corps vague et pourtant dodu,
Te donnent un air peu farouche
A qui tout mon hommage est dû.
Mon hommage, eh, parbleu ! tu l’as.
Tous les soirs, quels joie et soulas,
O ma très sortable châtaine,
Quand vers mon lit tu viens, les seins
Roides, et quelque peu hautaine,
Sûre de mes humbles desseins,
Les seins roides sous la chemise,
Fière de la fête promise
A tes sens partout et longtemps,
Heureuse de savoir ma lèvre,
Ma main, mon tout, impénitents
De ces péchés qu’un fol s’en sèvre !
Sûre de baisers savoureux
Dans le coin des yeux, dans le creux
Des bras et sur le bout des mammes,
Sûre de l’agenouillement
Vers ce buisson ardent des femmes
Follement, fanatiquement !
Et hautaine puisque tu sais
Que ma chaire adore à l’excès
Ta chair et que tel est ce culte
Qu’après chaque mort, — quelle mort ! —
Elle renaît, dans quel tumulte !
Pour mourir encore et plus fort.
Oui, ma vague, sois orgueilleuse
Car radieuse ou sourcilleuse,
Je suis ton vaincu, tu m’as tien :
Tu me roules comme la vague
Dans un délice bien païen,
Et tu n’es pas déjà si vague !
A MADEMOISELLE øøø
Rustique beauté
Qu’on a dans les coins,
Tu sens bon les foins,
La chair et l’été.
Tes trente-deux dents
De jeune animal
Ne vont point trop mal
A tes yeux ardents.
Ton corps dépravant
Sous tes habits courts,
Retroussés et lourds,
Tes seins en avant,
Tes mollets farauds,
Ton buste tentant,
— Gai, comme impudent,
Ton cul ferme et gros,
Nous boutent au sang
Un feu bête et doux
Qui nous rend tout fous,
Croupe, rein et flanc.
Le petit vacher
Tout fier de son cas,
Le maître et ses gas,
Les gas du berger
Je meurs si je mens,
Je les trouve heureux,
Tous ces cul-terreux,
D’être tes amants.
A MADAME øøø
Vos narines qui vont en l’air,
Non loin de deux beaux yeux quelconques,
Sont mignonnes comme ces conques
Du bord de mer de bains de mer ;
Un sourire moins franc qu’aimable
Découvre de petites dents,
Diminutifs outrecuidents
De celles d’un loup de la fable ;
Bien en chair, lente avec du chien,
On remarque votre personne,
Et votre voix fine raisonne
Non sans des agréments très bien.
De la grâce externe et légère
Et qui me laissait plutôt coi
Font de vous un morceau de roi,
O constitutionnel, chère !
Toujours est-il, regret ou non,
Que je ne sais pourquoi mon âme
Par ces froids pense à vous, Madame
De qui je ne sais plus le nom.
RÉVÉRENCE PARLER
PROLOGUE D’UN LIVRE DONT IL NE PARAITRA QUE LES EXTRAITS CI-APRÈS
Ce n’est pas de ces dieux foudroyés.
Ce n’est pas encore une infortune
Poétique autant qu’inopportune,
O lecteur de bon sens, ne fuyez !
On sait trop tout le prix du malheur
Pour le perdre en disert gaspillage.
Vous n’aurez ni mes traits ni mon âge,
Ni le vrai mal secret de mon cœur.
Et de ce que ces vers maladifs
Furent faits en prison, pour tout dire,
On ne va pas crier au martyre.
Que Dieu vous garde des expansifs !
On vous donne un livre fait ainsi.
Prenez-le pour ce qu’il vaut en somme.
C’est l’œgri somnium d’un brave homme
Étonné de se trouver ici.
On y met, avec la « bonne foy »,
L’orthographe à peu près qu’on possède
Regrettant de n’avoir à son aide
Que ce prestige d’être bien soi.
Vous lirez ce libelle tel quel,
Tout ainsi que vous feriez d’un autre.
Ce vœu bien modeste est le seul nôtre,
N’étant guère après tout criminel.
Un mot encor, car je vous dois
Quelque lueur en définitive
Concernant la chose qui m’arrive :
Je compte parmi les maladroits.
J’ai perdu ma vie, et je sais bien
Que tout blâme sur moi s’en va fondre ;
A cela je ne puis que répondre
Que je suis vraiment né Saturnien.
IMPRESSION FAUSSE
Dame souris trotte
Noire dans le gris du soir,
Dame souris trotte
Grise dans le noir.
On sonne la cloche :
Dormez, les bons prisonniers
On sonne la cloche :
Faut que vous dormiez.
Pas de mauvais rêves,
Ne pensez qu’à vos amours.
Pas de mauvais rêves :
Les belles toujours !
Le grand clair de lune !
On ronfle ferme à côté.
Le grand clair de lune
En réalité !
Un nuage passe,
Il fait noir comme en un four.
Un nuage passe.
Tiens, le petit jour !
Dame souris trotte,
Rose dans les rayons bleus.
Dame souris trotte :
Debout, paresseux !
AUTRE
La cour se fleurit de souci
Comme le front
De tous ceux-ci
Qui vont en rond
En flageolant sur leur fémur
Débilité
Le long du mur
Fou de clarté.
Tournez, Samsons sans Dalila,
Sans Philistin,
Tournez bien la
Meule au destin.
Vaincu risible de la loi,
Mouds tour à tour
Ton cœur, ta foi
Et ton amour !
Ils vont ! et leurs pauvres souliers
Font un bruit sec,
Humiliés,
La pipe au bec.
Pas un mot ou bien le cachot,
Pas un soupir.
Il fait si chaud
Qu’on croit mourir.
J’en suis de ce cirque effaré,
Soumis d’ailleurs
Et préparé
A tous malheurs
Et pourquoi si j’ai contristé
Ton vœu têtu,
Société,
Me choierais-tu ?
Allons, frères, bons vieux voleurs,
Doux vagabonds,
Filous en fleurs,
Mes chers, mes bons,
Fumons philosophiquement,
Promenons-nous
Paisiblement :
Rien faire est doux.
RÉVERSIBILITÉS
Totus in maligno positus
.
Entends les pompes qui font
Le cri des chats.
Des sifflets viennent et vont
Comme en pourchas.
Ah ! dans ces tristes décors
Les Déjà sont les Encors !
O les vagues Angélus !
(Qui viennent d’où ?)
Vois s’allumer les Saluts
Du fond d’un trou.
Ah ! dans ces mornes séjours
Les Jamais sont les Toujours !
Quels rêves épouvantés,
Vous, grands murs blancs !
Que de sanglots répétés,
Fous ou dolents !
Ah ! dans ces piteux retraits
Les Toujours sont les Jamais !
Tu meurs doucereusement,
Obscurément,
Sans qu’on veille, ô cœur aimant.
Sans testament !
Ah ! dans ces deuils sans rachats
Les Encors sont les Déjàs !
TANTALIZED
L’aile où je suis donnant juste sur une gare,
J’entends de nuit (mes nuits sont blanches) la bagarre
Des machines qu’on chauffe et des trains ajustés,
Et vraiment c’est des bruits de nids répercutés
A des cieux de fonte et de verre et gras de houille.
Vous n’imaginez pas comme cela gazouille
Et comme l’on dirait des efforts d’oiselets
Vers des vols tout prochains à des cieux violets
Encore et que le point du jour éclaire à peine,
O ces wagons qui vont dévaler dans la plaine !
INVRAISEMBLABLE MAIS VRAI
Las ! je suis à l’Index et dans les dédicaces
Me voici Paul V… pur et simple. Les audaces
De mes amis, tant les éditeurs sont des saints,
Doivent éliminer mon nom de leurs desseins,
Extraordinaire et saponaire tonnerre
D’une excommunication que je vénère
Au point d’en faire des fautes de quantité !
Vrai, si je n’étais pas (forcément) désisté
Des choses, j’aimerais, surtout m’étant contraire,
Cette pudeur du moins si rare de libraire.
LE DERNIER DIZAIN
O Belgique qui m’as valu ce dur loisir,
Merci ! J’ai pu du moins réfléchir et saisir
Dans le silence doux et blanc de tes cellules
Les raisons qui fuyaient comme des libellules
A travers les roseaux bavards d’un monde vain,
Les raisons de mon être éternel et divin,
Et les étiqueter comme en un beau musée
Dans les cases en fin cristal de ma pensée.
Mais, ô Belgique, assez de ce huis clos têtu !
Ouvre enfin, car c’est bon pour une fois, sais-tu !
Bruxelles, août 1873. — Mons, janvier 1875.
LUNES
1
Je veux, pour te tuer, ô temps qui me dévastes,
Remonter jusqu’aux jours bleuis des amours chastes
Et bercer ma luxure et ma honte au bruit doux
D’un baiser sur Sa main et non plus dans Leurs cous
Le Tibère effrayant que je suis à cette heure,
Quoi que j’en aie, et que je rie ou que je pleure,
Qu’il dorme ! pour rêver, loin d’un cruel bonheur,
Aux tendrons pâlots dont on ménageait l’honneur
Ès fêtes, dans, après le bal sur la pelouse,
Le clair de lune quand le clocher sonnait douze.
A LA MANIÈRE DE PAUL VERLAINE
C’est à cause du clair de lune
Que j’assume ce masque nocturne
Et de Saturne penchant son urne
Et de ces lunes l’une après l’une.
Des romances sans paroles ont,
D’un accord discord ensemble et frais,
Agacé ce cœur fadasse exprès.
O le son, le frisson qu’elles ont !
Il n’est pas que vous n’ayez fait grâce
A quelqu’un qui vous jetait l’offense :
Or, moi, je pardonne à mon enfance
Revenant fardée et non sans grâce.
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