Des romances sans paroles ont,
D’un accord discord ensemble et frais,
Agacé ce cœur fadasse exprès.
O le son, le frisson qu’elles ont !
Il n’est pas que vous n’ayez fait grâce
A quelqu’un qui vous jetait l’offense :
Or, moi, je pardonne à mon enfance
Revenant fardée et non sans grâce.
Je pardonne à ce mensonge-là
En faveur en somme du plaisir
Très banal drôlement qu’un loisir
Douloureux un peu m’inocula.
EXPLICATION
Je vous dis que ce n’est pas ce que l’on pensa.
P. V.
Le bonheur de saigner sur le cœur d’un ami,
Le besoin de pleurer bien longtemps sur son sein,
Le désir de parler à lui, bas à demi,
Le rêve de rester ensemble sans dessein !
Le malheur d’avoir tant de belles ennemies,
La satiété d’être une machine obscène,
L’horreur des cris impurs de toutes ces lamies,
Le cauchemar d’une incessante mise en scène !
Mourir pour sa Patrie ou pour son Dieu, gaîment,
Ou pour l’autre, en ses bras, et baisant chastement
La main qui ne trahit, la bouche qui ne ment !
Vivre loin des devoirs et des saintes tourmentes
Pour les seins clairs et pour les yeux luisant d’amantes,
Et pour le… reste ! vers telles morts infamantes !
AUTRE EXPLICATION
Amour qui ruisselais de flammes et de lait,
Qu’est devenu ce temps, et comme est-ce qu’elle est,
La constance sacrée au chrême des promesses ?
Elle ressemble une putain dont les prouesses
Empliraient cent bidets de futurs fœtus froids ;
Et le temps a crû mais pire, tels les effrois
D’un polype grossi d’heure en heure et qui pète.
Lâches, nous ! de nous être ainsi lâchés !
« Arrête !
Dit quelqu’un de dedans le sein. C’est bien la loi.
On peut mourir pour telle ou tel, on vit pour soi,
Même quand on voudrait vivre pour tel ou telle !
Et puis l’heure sévère, ombre de la mortelle,
S’en vient déjà couvrir les trois quarts du cadran.
Il faut, dès ce jourd’hui, renier le tyran
Plaisir, et se complaire aux prudents hyménées,
Quittant le souvenir des heures entraînées
Et des gens. Et voilà la norme et le flambeau.
Ce sera bien. »
L’Amour :
« Ce ne serait pas beau. »
LIMBES
L’imagination, reine,
Tient ses ailes étendues,
Mais la robe qu’elle traîne
A des lourdeurs éperdues.
Cependant que la Pensée,
Papillon, s’envole et vole,
Rose et noir clair, élancée
Hors de la tête frivole.
L’imagination, sise
En son trône, ce fier siège !
Assiste, comme indécise,
A tout ce preste manège,
Et le papillon fait rage,
Monte et descend, plane et vire :
On dirait dans un naufrage
Des culbutes du navire.
La reine pleure de joie
Et de peine encore, à cause
De son cœur qu’un chaud pleur noie,
Et n’entend goutte à la chose.
Psyché Deux pourtant se lasse.
Son vol est la main plus lente
Que cent tours de passe-passe
Ont fait toute tremblante.
Hélas, voici l’agonie !
Qui s’en fût formé l’idée ?
Et tandis que, bon génie
Plein d’une douceur lactée,
La bestiole céleste
S’envient palpiter à terre,
La Folle-du-Logis reste
Dans sa gloire solitaire !
LOMBES
Deux femmes des mieux m’ont apparu cette nuit.
Mon rêve était au bal, je vous demande un peu !
L’une d’entre elles maigre assez, blonde, un œil bleu,
Un noir et ce regard mécréant qui poursuit.
L’autre, brune au regard sournois qui flatte et nuit,
Seins joyeux d’être vus, digne d’un demi-dieu !
Et toutes deux avaient, pour rappeler le jeu
De la main chaude, sous la traîne qui bruit,
Des bas de dos très beaux et d’une gaité folle
Auxquels il ne manquait vraiment que la parole,
Royale arrière-garde aux combats du plaisir.
Et ces dames, — scrutez l’armorial de France, —
S’efforcaient d’entamer l’orgueil de mon désir
Et n’en revenaient pas de mon indifférence.
Vouziers (Ardennes), 13 avril — 13 mai 1885
LA DERNIÈRE FÊTE GALANTE
Pour une bonne fois, séparons-nous,
Très chers messieurs et si belles mesdames.
Assez comme cela d’épithalames,
Et puis là, nos plaisirs furent trop doux.
Nul remords, nul regret vrai, nul désastre ;
C’est effrayant ce que nous sentons
D’affinités avecque les moutons
Enrubannés du pire poétastre.
Nous fûmes trop ridicules un peu
Avec nos airs de n’y toucher qu’à peine.
Le Dieu d’amour veut qu’on ait de l’haleine.
Il a raison ! Et c’est un jeune Dieu.
Séparons-nous, je vous le dis encore.
O que nos cœurs qui furent trop bêlants,
Dès ce jourd’hui réclament trop hurlants
L’embarquement pour Sodome et Gomorrhe !
POÈME SATURNIN
Ce fut bizarre et Satan dut rire.
Ce jour d’été m’avait tout soûlé.
Quelle chanteuse impossible à dire
Et tout ce qu’elle a débagoulé !
Ce piano dans trop de fumée
Sous des suspensions à pétrole !
Je crois, j’avais la bile enflammée,
J’entendais de travers ma parole.
Je crois, mes sens étaient à l’envers,
Ma bile avait fait des bouillons fantasques.
O les refrains de cafés-concerts.
Faussés par le plus plâtré des masques !
Dans des troquets comme en ces bourgades,
J’avais rôdé, suçant peu de glace.
Trois galopins aux yeux de tribades
Dévisageaient sans fin ma grimace.
Je fus hué manifestement
Par ces voyous, non loin de la gare,
Et les engueulai si goulûment
Que j’en faillis gober mon cigare.
Je rentre : une voix à mon oreille,
Un pas fantôme. Aucun ou personne ?
On m’a frôlé. — La nuit sans pareille !
Ah ! l’heure d’un réveil drôle sonne.
Attigny (Ardennes), 31 mai — 1er juillet 1885.
L’IMPRUDENT
La misère et le mauvais œil,
Soit dit sans le calomnier,
Ont fait à ce monstre d’orgueil
Une âme de vieux prisonnier.
Oui, jettatore, oui, le dernier
Et le premier des gueux en deuil
De l’ombre même d’un denier
Qu’ils poursuivront jusqu’au cercueil.
Son regard mûrit les enfants.
Il a des refus triomphants.
Même il est bête à sa façon.
Beautés passant, au lieu de sous,
Faites à ce mauvais garçon
L’aumône seulement… de vous.
L’IMPÉNITENT
Rôdeur vanné, ton œil fané
Tout plein d’un désir satané
Mais qui n’est pas l’œil d’un bélître.
Quand passe quelqu’un de gentil
Lance un éclair comme une vitre.
Ton blaire flaire, âpre et subtil,
Et l’étamine et le pistil,
Toute fleur, tout fruit, toute viande,
Et la langue d’homme entendu
Pourlèche ta lèvre friande.
Vieux faune en l’air guettant ton dû,
As-tu vraiment bandé, tendu
L’arme assez de tes paillardises ?
L’as-tu, drôle, braquée assez ?
Ce n’est rien que tu nous le dises.
Quoi, malgré ces reins fricassés,
Ce cœur éreinté, tu ne sais
Que dévouer à la luxure
Ton cœur, tes reins, ta poche à fiel,
Ta rate et toute ta fressure !
Sucrés et doux comme le miel,
Damnants comme le feu du ciel,
Bleus comme fleur, noirs comme poudre,
Tu raffoles beaucoup des yeux
De tout genre en dépit du Foudre.
Les nez te plaisent, gracieux
Ou simplement malicieux
Étant la force des visages,
Étant aussi, suivant des gens,
Des indices et des présages.
Longs baisers plus clairs que des chants,
Tout petits baisers astringents
Qu’on dirait qui vous sucent l’âme,
Bons gros baisers d’enfants, légers
Baisers danseurs, telle une flamme.
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