Il est CRÉÉ mauvais si sa NATURE est mauvaise, et sa NATURE est mauvaise s’il agit mal, c’est-à-dire si les effets en sont mauvais. Aussi la CULPABILITÉ du monde – tout comme le MAL, aussi peu niable que celle-ci – retombe-t-elle toujours sur le créateur du monde, et comme St. Augustin avant lui, Scot Érigène s’efforce péniblement de la détourner de ce créateur.

Si d’autre part un être est moralement LIBRE, il ne peut avoir été créé. Il doit posséder son aséité, c’est-à-dire être sa propre source, exister en vertu de sa force, de son omnipotence propres, et non être subordonné à un autre. Par conséquent son existence est son acte propre de création, et cet acte se déploie, se développe dans le temps, révélant une fois pour toutes le caractère distinct de cet être, qui est son œuvre propre et dont la responsabilité des manifestations de sa nature pèse sur lui-même. Enfin, si un être est RESPONSABLE de ses actes, il en est aussi COMPTABLE ; par conséquent, il doit être LIBRE. Ainsi, de la responsabilité et de l’imputabilité [des actes] qu’affirme notre conscience, s’ensuit de façon certaine que la volonté est libre. Mais plus largement, de là s’ensuit aussi qu’elle constitue la source elle-même de cet être. Par conséquent, non seulement les actes mais l’existence et l’essence mêmes de l’homme sont son œuvre propre. Je renvoie sur tous ces points à mon traité La Liberté de la Volonté, où la question est examinée à fond d’une manière irréfutable. Voilà pourquoi les professeurs de philosophie ont cherché par le silence le plus complet à garder secret ce mémoire couronné. La faute du péché et du mal remonte nécessairement de la Nature à son auteur. Si l’auteur est la VOLONTÉ elle-même se manifestant à travers tous les phénomènes, la culpabilité a trouvé son homme. Si, au contraire, c’est un dieu, la création du péché et du mal contredit sa divinité.

En lisant DENYS L’ARÉOPAGITE, auquel Érigène se réfère si fréquemment, j’ai remarqué que celui-ci a été en tous points son modèle. Le panthéisme d’Érigène, comme sa théorie du péché et du mal, existent déjà avec leurs principales caractéristiques chez Denys. Toutefois ce dernier n’a fait qu’indiquer ce qu’Érigène a développé, exprimé avec hardiesse, exposé avec feu. Érigène a infiniment plus d’esprit que Denys, mais la matière et la direction de ses réflexions lui ont été données par Denys, qui lui a ainsi laissé un immense travail préparatoire. Que Denys ne soit pas authentique, cela ne fait rien à l’affaire : peu importe le nom de l’auteur du livre De Divinis nominibus. Comme il vivait probablement à Alexandrie, je crois qu’à travers des voies qui nous sont inconnues, il fut le canal par lequel une petite goutte de sagesse hindoue a pu parvenir jusqu’à Érigène. Ainsi [Henry Thomas] COLEBROOKE a remarqué dans son traité Sur la philosophie des Hindous (Miscellaneous Essays, tome I, p. 244), que l’on peut trouver chez Érigène la proposition III de la Karika de Kapila.

 

§. 10.

La Scolastique

Pour moi le caractère distinctif de la SCOLASTIQUE, c’est que son critère suprême de la vérité est l’Écriture sainte, à laquelle on peut donc toujours en appeler de chaque conclusion rationnelle. Une de ses particularités, c’est que son ton est toujours polémique. Chaque recherche est immédiatement transformée en une controverse, où le pro et contra engendrent un nouveau pro et contra, fournissant ainsi la matière sans laquelle cette controverse cesserait bientôt. Cependant l’ultime racine secrète de cette particularité, c’est l’antagonisme entre la raison et la révélation.

La justification réciproque du RÉALISME et du NOMINALISME, et donc la possibilité d’une lutte si longue et si acharnée à ce sujet, peuvent être clairement expliquées de la façon suivante :

Je qualifie de ROUGES les choses les plus dissemblables si elles sont de couleur rouge. Rouge est un simple mot par lequel je désigne le phénomène, où qu’il se produise. De la même façon, toutes les notions communes sont de simples mots pour désigner des propriétés existant en différentes choses. Ces choses représentent ce qui existe, le réel. Le NOMINALISME est donc dans le vrai. Mais d’autre part, si nous observons que toutes ces choses réelles auxquelles seules la réalité est prêtée sont temporelles et passent donc vite, alors que ces propriétés – rouge, dur mou, vivant, plante, cheval, homme, que ces noms désignent – continuent à être indépendantes, et en conséquence existent toujours, nous trouvons que les propriétés que ces noms désignent par des notions communes sont conçues en tant que leur existence est indestructible, comme ayant beaucoup plus de réalité. Par suite, cette réalité est imputable aux CONCEPTS, non aux êtres particuliers.