Mes yeux, aveuglés un moment, se sont bien vite dessillés. Quand j'entendis la vraie éloquence du cœur, quand je vis briller la flamme céleste dans un regard sincère, je compris aussitôt que j'avais été la proie et le jouet d'un démon, et j'aimai M. de Volmerange autant que je vous hais; je l'estimai autant que je vous méprise; oui, je l'aime éperdûment, de toutes les puissances de mon corps et de mon âme, ajouta miss Édith Harley avec une insistance cruelle en voyant verdir le visage blême de Xavier, et je voulais lui épargner cette honte d'épouser une fille souillée par vous. Mais je lui dirai tout, il me pardonnera et me vengera. Maintenant, monsieur, sortez, ou je sonne et je vous fais jeter par la fenêtre! s'écria-t-elle d'un ton où éclatait la révolte de son sang aristocratique.
En disant chaque mot, elle avançait un pas, et Xavier, comme foudroyé par les effluves d'indignation qui sortaient des yeux d'Édith, reculait en chancelant vers la porte, qu'elle referma violemment sur lui. Le dernier regard du misérable fut celui d'un serpent qui sent entrer dans son dos la griffe d'un lion.
Elle repoussa les verrous et remit le meuble en place, et le dernier pas de Xavier résonnait encore sur l'escalier que lord et lady Harley entrèrent dans la chambre.
La colère avait ramené les couleurs de la vie sur les joues d'Édith, et le feu de l'indignation, caché toute trace de pleurs dans ses yeux brûlants; le calme des résolutions suprêmes rassérénait son front.
Aussi, lady Harley, en attirant sa fille sur son cœur, lui dit-elle d'une voix caressante:
—Édith, mon enfant, je suis charmée de te voir sortie de l'abattement où tu étais plongée. Je craignais que ce mariage ne te déplût et qu'une vaine crainte de revenir sur ta résolution au dernier moment ne t'engageât seule à l'accomplir. Je n'aurais pas voulu qu'une considération mondaine compromît le bonheur de ta vie. Lord Harley, bien qu'il trouve dans M. de Volmerange toutes les qualités qu'on peut souhaiter d'un gendre, était venu avec moi dans l'idée de t'engager à ne pas former une union qui te trouble et t'agite à ce point. Au moment de serrer avec ton respectable père le lien qui nous rassemble, je n'éprouvai rien de pareil: une confiance inaltérable, une sérénité céleste, une joie calme et pénétrante emplissaient mon âme. Tel doit être le sentiment qui anime une jeune fille quand elle va s'unir à celui qu'elle accompagnera jusqu'au tombeau et qu'elle retrouvera dans l'éternité.
—Ma mère, répondit Édith en embrassant lady Harley, et vous, très cher et très honoré père, je vous remercie avec une gratitude profonde de ce que vous venez de dire, et je ne puis exprimer à quel point ces marques d'intérêt me touchent, mais vos inquiétudes ne sont point fondées. Rassurez-vous. Votre choix est le mien. Je trouve, comme vous, M. de Volmerange parfaitement né, plein de sentiments nobles et généreux, d'une élégance accomplie et d'une grâce parfaite. Je crois fermement que, si un homme peut sur terre rendre une femme heureuse, c'est lui...
Ici, Édith ne put tout à fait comprimer un soupir en désaccord avec le sens des paroles qu'elle proférait, et qui indiquait plutôt un regret qu'une espérance.
—J'aime M. de Volmerange..., continua Édith; je puis le dire devant vous, chers parents, et, au moment de marcher à l'autel, les larmes que j'ai pu verser, les tristesses auxquelles je me suis laissée aller n'étaient que des mélancolies de petite fille nerveuse, où il n'y avait de véritable que le chagrin de vous quitter.
—Tant mieux s'il en est ainsi, chère Édith; j'avais craint qu'une aversion secrète ne se cachât sous cette déférence à nos volontés.
—Donnez-moi un baiser, mon père, dit la jeune fille en présentant son front aux lèvres du lord Harley, qui l'attira sur sa poitrine.
Puis elle saisit la main de se mère et se pencha dessus avec effusion. Quelques sanglots étouffés firent tressaillir son corps; mais, lorsqu'elle se releva, sa figure avait repris son expression de calme.
On annonça M. de Volmerange.
C'était un jeune homme de vingt-cinq à vingt-six ans, dont la physionomie charmante saisissait d'abord par un charme étrange. Il était né à Chandernagor, d'un père français et d'une mère indienne, et mélangeait en lui les qualités des deux races. Ses yeux, du bleu le plus pur, étaient entourés de cils très longs et très noirs, et surmontés de sourcils d'ébène nettement dessinés sur un front d'une pâleur mate. Ce contraste donnait à sa tête une grâce singulière. Le regard bleu nageant entre deux sombres franges avait une teinte triste et douce que la fermeté des tons voisins empêchait de devenir féminine. Lorsqu'une émotion vive agitait M. de Volmerange, ses prunelles, ravivées par les teintes chaudes des paupières, semblaient s'illuminer et passaient du saphir à la turquoise. Ce désaccord du ton, tout agréable qu'il fût et qu'un peintre coloriste eût étudié avec amour, était cause que cette belle figure avait quelque chose de fatal, de mystérieux, de surnaturel pour ainsi dire. Certains anges rêveurs et sinistres d'Albert Durer ont ce regard immense comme le ciel, profond comme la mer, ou toutes les mélancolies semblent s'être fondues dans une goutte d'eau d'azur. Bien que la paix de l'âme, la franchise et la bonté respirassent sur cette figure, aucun artiste ayant à peindre le bonheur ne l'aurait prise pour modèle.
M. de Volmerange était grand, et, quoique svelte, annonçait une force plus qu'ordinaire.
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