le duc d’Orléans, de sa noblesse à éviter le piège que lui tendit l’astucieuse scélératesse du premier président de Mesmes et du mariage de son fils avec Mlle de Toiras. On y voyait fort aussi Mme de Noailles, femme du dernier frère du duc d’Ayen, aujourd’hui duc de Noailles, et dont la mère est La Ferté. Mais j’aurai l’occasion de parler d’elle plus longuement comme de la femme du plus beau génie poétique qu’ait vu son temps, et qui a renouvelé, et l’on peut dire agrandi, le miracle de la célèbre Sévigné. On sait que ce que j’en dis est équité pure, étant assez au su de chacun en quels termes j’en suis venu avec le duc de Noailles, neveu du cardinal et mari de Mlle d’Aubigné, nièce de Mme de Maintenon, et je me suis assez étendu en son lieu sur ses astucieuses menées contre moi jusqu’à se faire avec Canillac, avocat des conseillers d’État contre les gens de qualité, son adresse à tromper son oncle le cardinal, à bombarder Daguesseau chancelier, à courtiser Effiat et les Rohan, à prodiguer les grâces pécuniaires énormes de M. le duc d’Orléans au comte d’Armagnac pour lui faire épouser sa fille, après avoir manqué pour elle le fils aîné du duc d’Albret. Mais j’ai trop parlé de tout cela pour y revenir et de ses noirs manèges à l’égard de Law et dans l’affaire des pierreries et lors de la conspiration du duc et de la duchesse du Maine. Bien différent, et à tant de générations d’ailleurs, était Mathieu de Noailles, qui avait épousé celle dont il est question ici et que son talent a rendue fameuse. Elle était la fille de Brancovan, prince régnant de Valachie, qu’ils nomment là-bas Hospodar, et avait autant de beauté que de génie. Sa mère était Musurus qui est le nom d’une famille très noble et très des premières de la Grèce, fort illustrée par diverses ambassades nombreuses et distinguées et par l’amitié d’un de ces Musurus avec le célèbre Érasme. Montesquiou avait été le premier à parler de ses vers. Les duchesses allaient souvent écouter les siens, à Versailles, à Sceaux, à Meudon, et depuis quelques années les femmes de la ville les imitent par une mécanique connue et font venir des comédiens qui les récitent dans le dessein d’en attirer quelqu’une, dont beaucoup iraient chez le Grand Seigneur plutôt que de ne pas les applaudir. Il y avait toujours quelque récitation dans sa maison de Neuilly, et aussi le concours tant des poètes les plus fameux que des plus honnêtes gens et de la meilleure compagnie, et de sa part, à chacun, et devant les objets de sa maison, une foule de propos, dans ce langage si particulier à lui que j’ai dit, dont chacun restait émerveillé.

Mais toute médaille a son revers. Cet homme d’un mérite si hors de pair, où le brillant ne nuisait pas au profond, cet homme, qui a pu être dit délicieux, qui se faisait écouter pendant des heures avec amusement pour les autres comme pour lui-même, car il riait fort de ce qu’il disait comme s’il avait été à la fois l’auteur et le parleur, et avec profit pour eux, cet homme avait un vice : il n’avait pas moins soif d’ennemis que d’amis. Insatiable des derniers, il était implacable aux autres, si l’on peut ainsi dire, car à quelques années de distance, c’était les mêmes dont il avait cessé d’être engoué. Il lui fallait toujours quelqu’un, sous le prétexte de la plus futile pique, à détester, à poursuivre, à persécuter, par où il était la terreur de Versailles car il ne se contraignait en rien et de sa voix, qu’il avait fort haute, lançait devant qui ne lui revenait pas les propos les plus griefs, les plus spirituels, les plus injustes, comme quand il cria fort distinctement devant Diane de Peydan de Brou, veuve estimée du marquis de Saint-Paul, qu’il était aussi fâcheux pour le paganisme que pour le catholicisme qu’elle s’appelât à la fois Diane et Saint-Paul. C’était de ces rapprochements de mots dont personne ne se fût avisé et qui faisaient trembler. Ayant passé sa jeunesse dans le plus grand monde, son âge mûr parmi les poètes, revenu également des uns et des autres, il ne craignait personne et vivait dans une solitude qu’il rendait de plus en plus stricte par chaque ancien ami qu’il en chassait. Il était fort de ceux de Mme Straus, fille et veuve des célèbres musiciens Halévy et Bizet, femme d’Émile Straus, avocat à la cour des Aides, et de qui les admirables répliques sont dans la mémoire de tous. Sa figure était restée charmante et aurait suffi sans son esprit à attirer tous ceux qui se pressaient autour d’elle. C’est elle qui une fois, dans la chapelle de Versailles où elle avait son carreau, comme M. de Noyon dont le langage était toujours si outré et si éloigné du naturel demandait s’il ne lui semblait pas que la musique qu’on entendait était octogonale, lui répondit : « Ah ! monsieur, j’allais le dire ! » comme à quelqu’un qui a prononcé avant tous une chose qui vient naturellement à l’esprit.

On ferait un volume si l’on rapportait tout ce qui a été dit par elle et qui vaut de n’être pas oublié. Sa santé avait toujours été délicate. Elle en avait profité de bonne heure pour se dispenser des Marly, des Meudon n’allait faire sa cour au Roi que fort rarement, où elle était toujours reçue seule et avec une grande considération. Les fruits et les eaux dont elle avait fait en tous temps un usage qui surprenait, sans liqueurs, ni chocolat, lui avaient noyé l’estomac, dont Fagon n’avait pas voulu s’apercevoir depuis qu’il diminuait. Il appelait charlatans ceux qui donnent des remèdes ou n’avaient pas été reçus dans les Facultés, à cause de quoi il chassa un Suisse qui aurait pu la guérir. À la fin, comme son estomac s’était déshabitué des nourritures trop fortes, son corps du sommeil et des longues promenades, elle tourna cette fatigue en distinction. Mme la duchesse de Bourgogne la venait voir et ne voulait pas être conduite au delà de la première pièce. Elle recevait les duchesses, assise, qui la visitaient tout de même tant c’était un délice de l’écouter. Montesquiou ne s’en faisait pas faute ; il était fort aussi dans la familiarité de Mme Standish, sa cousine, qui vint à ce parvulo de Saint-Cloud, étant l’amie la plus anciennement admise en tout et dans la plus grande proximité avec la reine d’Angleterre, la plus distinguée par elle, où toutes les femmes ne lui cédèrent point le pas comme cela aurait dû être et ne fut pas par l’incroyable ignorance de M. le duc d’Orléans, qui la crut peu de chose parce qu’elle s’appelait Standish, alors qu’elle était fille d’Escars, de la maison de Pérusse, petite-fille de Brissac, et une des plus grandes dames du royaume comme aussi l’une des plus belles, et avait toujours vécu dans la société la plus trayée dont elle était le suprême élixir.