M. le duc d’Orléans ignorait aussi que H. Standish était fils d’une Noailles, de la branche des marquis d’Arpajon. Il fallut que M. d’Hinnisdal le lui apprît. On eut donc à ce parvulo le scandale fort remarquable du prince Murât, sur un ployant, à côté du roi d’Angleterre. Cela fit un étrange vacarme qui retentit bien loin de Saint-Cloud. Ceux qui avaient à cœur le bien de l’État en sentirent les bases sapées ; le Roi, si peu versé dans l’histoire des naissances et des rangs, mais comprenant la flétrissure infligée à sa couronne par la faiblesse d’avoir anéanti la plus haute dignité du royaume, attaqua de conversation là-dessus le comte A. de La Rochefoucauld, qui l’était plus que personne et qui, commandé de répondre par son maître, qui était aussi son ami, ne craignit pas de le faire en termes si nets et si tranchants qu’il fut entendu de tout le salon où se jouait pourtant à gros bruit un fort lansquenet. Il déclara que, fort attaché à la grandeur de sa maison, il ne croyait pas pourtant que cet attachement l’aveuglât et lui fît rien dérober à quiconque, quand il trouvait qu’il était – pour ne pas dire plus – un aussi grand seigneur que le prince Murât ; que pourtant il avait toujours cédé le pas au duc de Gramont et continuerait à faire de même. Sur quoi le Roi fit faire défense au prince Murât de ne prendre en nulle circonstance plus que la qualité d’Altesse et le traversement du parquet. Le seul qui eût pu y prétendre était Achille Murât, parce qu’il a des prérogatives souveraines dans la Mingrélie qui est un État avoisinant ceux du czar. Mais il était aussi simple qu’il était brave, et sa mère, si connue pour ses écrits et dont il avait hérité l’esprit charmant, avait bien vite compris que le solide et le réel de sa situation était moins chez ces Moscovites que dans la maison bien plus que princière qui était la sienne, car elle était la fille du duc de Rohan-Chabot.
Le prince J. Murât ploya un moment sous l’orage, le temps de passer ce fâcheux détroit, mais il n’en fut pas davantage et on sait que maintenant, même à ses cousins, les lieutenants-généraux ne font point difficulté, sans aucune raison qui se puisse approfondir, de donner le Pour et le Monseigneur, et le Parlement, quand il va les complimenter, envoie ses huissiers les baguettes levées, à quoi Monsieur le Prince avait eu tant de peine d’arriver, malgré le rang de prince du sang. Ainsi tout décline, tout s’avilit, tout est rongé dès le principe, dans un État où le fer rouge n’est pas porté d’abord sur les prétentions pour qu’elles ne puissent plus renaître.
Le roi d’Angleterre était accompagné de milord Derby qui jouissait ici, comme dans son pays, de beaucoup de considération. Il n’avait pas au premier abord cet air de grandeur et de rêverie qui frappait tant chez B. Lytton, mort depuis, ni le singulier visage et qui ne se pouvait oublier de milord Dufferin. Mais il plaisait peut-être plus encore qu’eux par une façon d’amabilité que n’ont point les Français et par quoi ils sont conquis. Louvois l’avait voulu presque malgré lui auprès du Roi à cause de ses capacités et de sa connaissance approfondie des affaires de France.
Le roi d’Angleterre évita de qualifier M. le duc d’Orléans en lui parlant, mais voulut qu’il eût un fauteuil, à quoi il ne prétendait pas, mais qu’il eut garde de refuser. Les princesses du sang mangèrent au grand couvert par une grâce qui fit crier très fort mais ne porta pas d’autre fruit. Le souper fut servi par Olivier, premier maître d’hôtel du Roi. Son nom était Dabescat ; il était respectueux, aimé de tous, et si connu à la cour d’Angleterre que plusieurs des seigneurs qui accompagnaient le Roi le virent avec plus de plaisir que les chevaliers de Saint-Louis récemment promus par le Régent et dont la figure était nouvelle. Il gardait une grande fidélité à la mémoire du feu Roi et allait chaque année à son service à Saint-Denis, où, à la honte des courtisans oublieux, il se trouvait presque toujours seul avec moi. Je me suis arrêté un instant sur lui, parce que par la connaissance parfaite qu’il avait de son état, par sa bonté, par sa liaison avec les plus grands sans se familiariser, ni bassesse, il n’avait pas laissé de prendre de l’importance à Saint-Cloud et d’y faire un personnage singulier.
Le Régent fit à Mme Standish la remarque fort juste qu’elle ne portait pas ses perles comme les autres dames, mais d’une façon qu’avait imitée la reine d’Angleterre. Guiche se trouvait là, qui y avait été mené comme au licou par la peur de s’attirer pour toujours le Régent et n’était pas fort aise d’y être. Il se plaisait bien plus à la Sorbonne et dans les Académies dont il était recherché plus que personne. Mais enfin le Régent l’avait fait prendre, il sentit ce qu’il devait au respect de la naissance, sinon de la personne, au bien de l’État, peut-être à sa propre sûreté, ce qu’il y aurait de trop marqué à ne pas venir, ne pas y avoir de milieu entre se perdre et refuser, et il sauta le bâton. À ce mot de perles, je le cherchai des yeux. Les siens, très ressemblants à ceux de sa mère, étaient admirables, avec un regard qui, bien que personne n’aimât autant que lui à se divertir, semblait percer au travers de sa prunelle, dès que son esprit était tendu à quelque objet sérieux.
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