Quand il y a soixante jolies femmes dans un salon, le sentiment de la beauté se perd, on ne sait plus rien de la beauté. Votre femme devient quelque chose de fort ordinaire. La petite ruse de son sourire perfectionné ne se comprend plus parmi les expressions grandioses, auprès de femmes à regards hautains et hardis. Elle est effacée, elle n’est pas invitée à danser. Elle essaie de se grimer pour jouer le contentement, et comme elle n’est pas contente, elle entend dire : « Madame Adolphe a bien mauvaise mine. » Les femmes lui demandent hypocritement si elle souffre ; pourquoi ne pas danser. Elles ont un répertoire de malices couvertes de bonhomie, plaquées de bienveillance à faire damner un saint, à rendre un singe sérieux et à donner froid à un démon.
Vous, innocent, qui jouez, allez et venez, et qui ne voyez pas une des mille piqûres d’épingle par lesquelles on a tatoué l’amour-propre de votre femme, vous arrivez à elle en lui disant à l’oreille : — Qu’as-tu ?
— Demandez ma voiture.
Ce ma est l’accomplissement du mariage.
Pendant deux ans on a dit la voiture de monsieur, la voiture, notre voiture, et enfin ma voiture.
Vous avez une partie engagée, une revanche à donner, de l’argent à regagner.
Ici l’on vous concède, Adolphe, que vous êtes assez fort pour dire oui, disparaître et ne pas demander la voiture.
Vous avez un ami, vous l’envoyez danser avec votre femme, car vous en êtes à un système de concessions qui vous perdra : vous entrevoyez déjà l’utilité d’un ami.
Mais vous finissez par demander la voiture. Votre femme y monte avec une rage sourde, elle se flanque dans son coin, s’emmitoufle dans son capuchon, se croise les bras dans sa pelisse, se met en boule comme une chatte, et ne dit mot.
O maris ! sachez-le, vous pouvez en ce moment tout réparer, tout raccommoder, et jamais l’impétuosité des amants qui se sont caressés par de flamboyants regards pendant toute la soirée n’y manque ! Oui, vous pouvez la ramener triomphante, elle n’a plus que vous, il vous reste une chance, celle de violer votre femme. Ah ! bah ! vous lui dites votre imbécile, niais et indifférent :
— Qu’as-tu ?
AXIOME.
Un mari doit toujours savoir ce qu’a sa femme, car elle sait toujours ce qu’elle n’a pas.
— Froid, dit-elle.
— La soirée a été superbe. — Ouh ! ouh ! rien de distingué ! l’on a la manie, aujourd’hui, d’inviter tout Paris dans un trou. Il y avait des femmes jusque sur l’escalier ; les toilettes s’abîment horriblement, la mienne est perdue.
— On s’est amusé.
— Vous autres, vous jouez, et tout est dit. Une fois mariés, vous vous occupez de vos femmes comme les lions s’occupent de peinture.
— Je ne te reconnais plus, tu étais si gaie, si heureuse, si pimpante en arrivant !
— Ah ! vous ne nous comprenez jamais. Je vous ai prié de partir, et vous me laissez là, comme si les femmes faisaient jamais quelque chose sans raison. Vous avez de l’esprit, mais dans certains moments vous êtes vraiment singulier, je ne sais à quoi vous pensez...
Une fois sur ce terrain, la querelle s’envenime. Quand vous donnez la main à votre femme pour descendre de voiture, vous tenez une femme de bois ; elle vous dit un merci par lequel elle vous met sur la même ligne que son domestique.
Vous n’avez pas plus compris votre femme avant qu’après le bal, vous la suivez avec peine, ne monte pas l’escalier, elle vole. Il y a brouille complète.
La femme de chambre est enveloppée dans la disgrâce ; elle est reçue à coups de non et oui secs comme des biscottes de Bruxelles, et qu’elle avale en vous regardant de travers.
— Monsieur n’en fait jamais d’autres ! dit-elle en grommelant.
Vous seul avez pu changer l’humeur de madame. Madame se couche, elle a une revanche à prendre ; vous ne l’avez pas comprise, elle ne vous comprend point.
Elle se range dans son coin de la façon la plus déplaisante et la plus hostile ; elle est enveloppée dans sa chemise, dans sa camisole, dans son bonnet de nuit, comme un ballot d’horlogerie qui part pour les Grandes-Indes. Elle ne vous dit ni bonsoir, ni bonjour, ni mon ami, ni Adolphe ; vous n’existez pas, vous êtes un sac de farine.
Votre Caroline, si agaçante cinq heures auparavant dans cette même chambre où elle frétillait comme une anguille, est du plomb en saumon. Vous seriez le Tropique en personne, à cheval sur l’Équateur, vous ne fondriez pas les glaciers de cette petite Suisse personnifiée qui paraît dormir, et qui vous glacerait de la tête aux pieds, au besoin. Vous lui demanderiez cent fois ce qu’elle a, la Suisse vous répond par un conclusum, comme le vorort ou comme la conférence de Londres.
Elle n’a rien, elle est fatiguée, elle dort.
Plus vous insistez, plus elle est bastionnée d’ignorance, garnie de chevaux de frise. Quand vous vous impatientez, Caroline a commencé des rêves ! Vous grognez, vous êtes perdu.
AXIOME.
Les femmes, sachant toujours bien expliquer leurs grandeurs, c’est leurs petitesses qu’elles nous laissent à deviner.
Caroline daignera vous dire peut-être aussi qu’elle se sent déjà très-indisposée ; mais elle rit dans ses coiffes quand vous dormez, et profère des malédictions sur votre corps endormi.
LA LOGIQUE DES FEMMES.
Vous croyez avoir épousé une créature douée de raison, vous vous êtes lourdement trompé, mon ami.
AXIOME.
Les êtres sensibles ne sont pas des êtres sensés.
Le sentiment n’est pas le raisonnement, la raison n’est pas le plaisir, et le plaisir n’est, certes, pas une raison.
— Oh ! monsieur !
Dites : — Ah ! Oui, ah ! Vous lancerez ce ah ! du plus profond de votre caverne thoracique en sortant furieux de chez vous, ou en rentrant dans votre cabinet, abasourdi.
Pourquoi ? comment ? qui vous a vaincu, tué, renversé ? La logique de votre femme, qui n’est pas la logique d’Aristote,
Ni celle de Ramus,
Ni celle de Kant,
Ni celle de Condillac,
Ni celle de Robespierre,
Ni celle de Napoléon ; Mais qui tient de toutes les logiques, et qu’il faut appeler la logique de toutes les femmes, la logique des femmes anglaises comme celle des Italiennes, des Normandes et des Bretonnes (oh ! celles-ci sont invaincues), des Parisiennes, enfin des femmes de la lune, s’il y a des femmes dans ce pays nocturne avec lequel les femmes de la terre s’entendent évidemment, anges qu’elles sont !
La discussion s’est engagée après le déjeuner. Les discussions ne peuvent jamais avoir lieu qu’en ce moment dans les ménages.
Un homme, quand il le voudrait, ne saurait discuter au lit avec sa femme : elle a trop d’avantages contre lui, et peut trop facilement le réduire au silence.
En quittant le lit conjugal où il se trouve une jolie femme, on a faim, quand on est jeune. Le déjeuner est un repas assez gai, la gaîté n’est pas raisonneuse. Bref, vous n’entamez l’affaire qu’après avoir pris votre café à la crème ou votre thé.
Vous avez mis dans votre tête d’envoyer, par exemple, votre enfant au collége.
Les pères sont tous hypocrites, et ne veulent jamais avouer que leur sang les gêne beaucoup quand il court sur deux jambes, porte sur tout ses mains hardies, et frétille comme un têtard dans la maison.
Votre enfant jappe, miaule et piaule ; il casse, brise ou salit les meubles, et les meubles sont chers ; il fait sabre de tout, il égare vos papiers, il emploie à ses cocottes le journal que vous n’avez pas encore lu.
La mère lui dit : — Prends ! à tout ce qui est à vous ; mais elle dit : — Prends garde ! à tout ce qui est à elle.
La rusée bat monnaie avec vos affaires pour avoir sa tranquillité. Sa mauvaise foi de bonne mère est à l’abri derrière son enfant, l’enfant est son complice. Tous deux s’entendent contre vous comme Robert Macaire et Bertrand contre un actionnaire. L’enfant est une hache avec laquelle on fourrage tout chez vous.
L’enfant va triomphalement ou sournoisement à la maraude dans votre garde-robe ; il reparaît caparaçonné de caleçons sales, il met au jour des choses condamnées aux gémonies de la toilette. Il apporte à une amie que vous cultivez, à l’élégante madame de Fischtaminel, des ceintures à comprimer le ventre, des bouts de bâtons à cirer les moustaches, de vieux gilets déteints aux entournures, des chaussettes légèrement noircies aux talons et jaunies dans les bouts. Comment faire observer que ces maculatures sont un effet du cuir ?
Votre femme rit en regardant votre amie, et vous n’osez pas vous fâcher, vous riez aussi, mais quel rire ! les malheureux le connaissent.
Cet enfant vous cause, en outre, des peurs chaudes quand vos rasoirs ne sont plus à leur place. Si vous vous fâchez, le petit drôle sourit et vous montre deux rangées de perles ; si vous le grondez, il pleure. Accourt la mère ! Et quelle mère ! une mère qui va vous haïr si vous ne cédez pas.
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