Caressant comme une fée, il essayait d’apprivoiser par de douces paroles l’âme qu’il s’était soumise. Aussi railleur que séduisant, aussi souple qu’une femme, aussi cruel qu’un tigre, son amitié était plus redoutable que sa haine ; car il ne savait pas faire une caresse sans égratigner. Une nuit entre autres, il essaya la puissance de tous ses sortiléges et les couronna par un dernier effort. Il vint, il s’assit sur le bord du lit, comme une jeune fille pleine d’amour, qui d’abord se tait, mais dont les yeux brillent, et à laquelle son secret finit par échapper. — Ceci, dit-il, est le prospectus d’un scaphandre au moyen duquel on pourra se promener sur la Seine à pied sec. Cet autre volume est le rapport de l’Institut sur un vêtement propre à nous faire traverser les flammes sans nous brûler. Ne proposeras-tu donc rien qui puisse préserver le mariage des malheurs du froid et du chaud ? Mais, écoute ? Voici L’ART DE CONSERVER LES SUBSTANCES ALIMENTAIRES, L’ART D’EMPÉCHER LES CHEMINÉES DE FUMER, L’ART DE FAIRE DE BONS MORTIERS, L’ART DE METTRE SA CRAVATE, L’ART DE DÉCOUPER LES VIANDES.

Il nomma en une minute un nombre si prodigieux de livres, que l’auteur en eut comme un éblouissement.

— Ces myriades de livres ont été dévorés, disait-il, et cependant tout le monde ne bâtit pas et ne mange pas, tout le monde n’a pas de cravate et ne se chauffe pas, tandis que tout le monde se marie un peu !... Mais tiens, vois ?...

Sa main fit alors un geste, et sembla découvrir dans le lointain un océan où tous les livres du siècle se remuaient comme par des mouvements de vagues. Les in-18 ricochaient ; les in-8º qu’on jetait rendaient un son grave, allaient au fond et ne remontaient que bien péniblement, empêchés par des in-12 et des in-32 qui foisonnaient et se résolvaient en mousse légère. Les lames furieuses étaient chargées de journalistes, de protes, de papetiers, d’apprentis, de commis d’imprimeurs, de qui l’on ne voyait que les têtes pêle-mêle avec les livres. Des milliers de voix criaient comme celles des écoliers au bain. Allaient et venaient dans leurs canots quelques hommes occupés à pêcher les livres et à les apporter au rivage devant un grand homme dédaigneux, vêtu de noir, sec et froid : c’était les libraires et le public. Du doigt le Démon montra un esquif nouvellement pavoisé, cinglant à pleines voiles et portant une affiche en guise de pavillon ; puis, poussant un rire sardonique, il lut d’une voix perçante : — PHYSIOLOGIE DU MARIAGE.

L’auteur devint amoureux, le diable le laissa tranquille, car il aurait eu affaire à trop forte partie s’il était revenu dans un logis habité par une femme. Quelques années se passèrent sans autres tourments que ceux de l’amour, et l’auteur put se croire guéri d’une infirmité par une autre. Mais un soir il se trouva dans un salon de Paris, où l’un des hommes qui faisaient partie du cercle décrit devant la cheminée par quelques personnes prit la parole et raconta l’anecdote suivante d’une voix sépulcrale.

— Un fait eut lieu à Gand au moment où j’y étais. Attaquée d’une maladie mortelle, une dame, veuve depuis dix ans, gisait sur son lit. Son dernier soupir était attendu par trois héritiers collatéraux qui ne la quittaient pas, de peur qu’elle ne fît un testament au profit du Béguinage de la ville. La malade gardait le silence, paraissait assoupie, et la mort semblait s’emparer lentement de son visage muet et livide. Voyez-vous au milieu d’une nuit d’hiver les trois parents silencieusement assis devant le lit ? Une vieille garde-malade est là qui hoche la tête, et le médecin, voyant avec anxiété la maladie arrivée à son dernier période, tient son chapeau d’une main, et de l’autre fait un geste aux parents, comme pour leur dire : « Je n’ai plus de visites à vous faire. » Un silence solennel permettait d’entendre les sifflements sourds d’une pluie de neige qui fouettait sur les volets. De peur que les yeux de la mourante ne fussent blessés par la lumière, le plus jeune des héritiers avait adapté un garde-vue à la bougie placée près du lit, de sorte que le cercle lumineux du flambeau atteignait à peine à l’oreiller funèbre, sur lequel la figure jaunie de la malade se détachait comme un christ mal doré sur une croix d’argent terni. Les lueurs ondoyantes jetées par les flammes bleues d’un pétillant foyer éclairaient donc seules cette chambre sombre, où allait se dénouer un drame. En effet, un tison roula tout à coup du foyer sur le parquet comme pour présager un événement. À ce bruit, la malade se dresse brusquement sur son séant, elle ouvre deux yeux aussi clairs que ceux d’un chat, et tout le monde étonné la contemple. Elle regarde le tison marcher ; et, avant que personne n’eût songé à s’opposer au mouvement inattendu produit par une sorte de délire, elle saute hors de son lit, saisit les pincettes, et rejette le charbon dans la cheminée. La garde, le médecin, les parents, s’élancent, prennent la mourante dans leurs bras, elle est recouchée, elle pose la tête sur le chevet ; et quelques minutes sont à peine écoulées, qu’elle meurt, gardant encore, après sa mort, son regard attaché sur la feuille de parquet à laquelle avait touché le tison. À peine la comtesse Van-Ostroëm eut-elle expiré, que les trois cohéritiers se jetèrent un coup d’œil de méfiance, et, ne pensant déjà plus à leur tante, se montrèrent le mystérieux parquet. Comme c’était des Belges, le calcul fut chez eux aussi prompt que leurs regards. Il fut convenu, par trois mots prononcés à voix basse, qu’aucun d’eux ne quitterait la chambre. Un laquais alla chercher un ouvrier. Ces âmes collatérales palpitèrent vivement quand, réunis autour de ce riche parquet, les trois Belges virent un petit apprenti donnant le premier coup de ciseau.