Le bois est tranché. — « Ma tante a fait un geste !... dit le plus jeune des héritiers. — Non, c’est un effet des ondulations de la lumière !... » répondit le plus âgé qui avait à la fois l’œil sur le trésor et sur la morte. Les parents affligés trouvèrent, précisément à l’endroit où le tison avait roulé, une masse artistement enveloppée d’une couche de plâtre. — « Allez !.. » dit le vieux cohéritier. Le ciseau de l’apprenti fit alors sauter une tête humaine, et je ne sais quel vestige d’habillement leur fit reconnaître le comte que toute la ville croyait mort à Java et dont la perte avait été vivement pleurée par sa femme.

Le narrateur de cette vieille histoire était un grand homme sec, à l’œil fauve, à cheveux bruns, et l’auteur crut apercevoir de vagues ressemblances entre lui et le démon qui, jadis, l’avait tant tourmenté ; mais l’étranger n’avait pas le pied fourchu. Tout à coup le mot adultère sonna aux oreilles de l’auteur ; et alors, cette espèce de cloche réveilla, dans son imagination, les figures les plus lugubres du cortége qui naguère défilait à la suite de ces prestigieuses syllabes.

À compter de cette soirée, les persécutions fantasmagoriques d’un ouvrage qui n’existait pas recommencèrent ; et, à aucune époque de sa vie, l’auteur ne fut assailli d’autant d’idées fallacieuses sur le fatal sujet de ce livre. Mais il résista courageusement à l’esprit, bien que ce dernier rattachât les moindres événements de la vie à cette œuvre inconnue, et que, semblable à un commis de la douane, il plombât tout de son chiffré railleur.

Quelques jours après, l’auteur se trouva dans la compagnie de deux dames. La première avait été une des plus humaines et des plus spirituelles femmes de la cour de Napoléon. Arrivée jadis à une haute position sociale, la restauration l’y surprit, et l’en renversa ; elle s’était faite ermite. La seconde, jeune et belle, jouait en ce moment, à Paris, le rôle d’une femme à la mode. Elles étaient amies, parce que l’une ayant quarante ans et l’autre vingt-deux, leurs prétentions mettaient rarement en présence leur vanité sur le même terrain. L’auteur étant sans conséquence pour l’une des deux dames, et l’autre l’ayant deviné, elles continuèrent en sa présence une conversation assez franche qu’elles avaient commencée sur leur métier de femme.

— Avez-vous remarqué, ma chère, que les femmes n’aiment en général que des sots ? — Que dites-vous donc là, duchesse ? et comment accorderez-vous cette remarque avec l’aversion qu’elles ont pour leurs maris ? — (Mais c’est une tyrannie ! se dit l’auteur. Voilà donc maintenant le diable en cornette ?...) — Non, ma chère, je ne plaisante pas ! reprit la duchesse, et il y a de quoi faire frémir pour soi-même, depuis que j’ai contemplé froidement les personnes que j’ai connues autrefois. L’esprit a toujours un brillant qui nous blesse, l’homme qui en a beaucoup nous effraie peut-être, et s’il est fier, il ne sera pas jaloux, il ne saurait donc nous plaire. Enfin nous aimons peut-être mieux élever un homme jusqu’à nous que de monter jusqu’à lui... Le talent a bien des succès à nous faire partager, mais le sot donne des jouissances ; et nous préférons toujours entendre dire : « Voilà un bien bel homme ! » à voir notre amant choisi pour être de l’Institut. — En voilà bien assez, duchesse ! vous m’avez épouvantée.

Et la jeune coquette, se mettant à faire les portraits des amants dont raffolaient toutes les femmes de sa connaissance, n’y trouva pas un seul homme d’esprit. — Mais, par ma vertu, dit-elle, leurs maris valent mieux..

— Ces gens sont leurs maris ! répondit gravement la duchesse...

— Mais, demanda l’auteur, l’infortune dont est menacé le mari en France est-elle donc inévitable ?

— Oui ! répondit la duchesse en riant. Et l’acharnement de certaines femmes contre celles qui ont l’heureux malheur d’avoir une passion prouve combien la chasteté leur est à charge. Sans la peur du diable, l’une serait Laïs ; l’autre doit sa vertu à la sécheresse de son cœur ; celle-là à la manière sotte dont s’est comporté son premier amant ; celle-là...

L’auteur arrêta le torrent de ces révélations en faisant part aux deux dames du projet d’ouvrage par lequel il était persécuté, elles y sourirent, et promirent beaucoup de conseils. La plus jeune fournit gaiement un des premiers capitaux de l’entreprise, en disant qu’elle se chargeait de prouver mathématiquement que les femmes entièrement vertueuses étaient des êtres de raison.

Rentré chez lui, l’auteur dit alors à son démon : — Arrive ? Je suis prêt. Signons le pacte ! Le démon ne revint plus.

Si l’auteur écrit ici la biographie de son livre, ce n’est par aucune inspiration de fatuité. Il raconte des faits qui pourront servir à l’histoire de la pensée humaine, et qui expliqueront sans doute l’ouvrage même. Il n’est peut-être pas indifférent à certains anatomistes de la pensée de savoir que l’âme est femme. Ainsi, tant que l’auteur s’interdisait de penser au livre qu’il devait faire, le livre se montrait écrit partout. Il en trouvait une page sur le lit d’un malade, une autre sur le canapé d’un boudoir. Les regards des femmes quand elles tournoyaient emportées par une valse, lui jetaient des pensées ; un geste, une parole, fécondaient son cerveau dédaigneux. Le jour où il se dit : — Cet ouvrage, qui m’obsède, se fera !...