« En se mariant, dira-t-elle, une femme ne fait pas vœu d’abdiquer sa raison. Les femmes sont-elles donc réellement esclaves ? Les lois humaines ont pu enchaîner le corps, mais la pensée !... ah ! Dieu l’a placée trop près de lui pour que les tyrans pussent y porter les mains. »

Ces idées procèdent nécessairement ou d’une instruction trop libérale que vous lui aurez laissé prendre, ou de réflexions que vous lui aurez permis de faire. Une Méditation tout entière a été consacrée à l’instruction en ménage.

Puis votre femme commence à dire : « Ma chambre, mon lit, mon appartement. » À beaucoup de vos questions, elle répondra : — « Mais, mon ami, cela ne vous regarde pas ! » Ou : — « Les hommes ont leur part dans la direction d’une maison, et les femmes ont la leur. » Ou bien, ridiculisant les hommes qui se mêlent du ménage, elle prétendra que « les hommes n’entendent rien à certaines choses. »

Le nombre des choses auxquelles vous n’entendez rien augmentera tous les jours.

Un beau matin vous verrez, dans votre petite église, deux autels là où vous n’en cultiviez qu’un seul. L’autel de votre femme et le vôtre seront devenus distincts, et cette distinction ira croissant, toujours en vertu du système de la dignité de la femme.

Viendront alors les idées suivantes, que l’on vous inculquera, malgré vous, par la vertu d’une force vive, fort ancienne et peu connue. La force de la vapeur, celle des chevaux, des hommes ou de l’eau sont de bonnes inventions ; mais la nature a pourvu la femme d’une force morale à laquelle ces dernières ne sont pas comparables : nous la nommerons force de la crécelle. Cette puissance consiste dans une perpétuité de son, dans un retour si exact des mêmes paroles, dans une rotation si complète des mêmes idées, qu’à force de les entendre vous les admettrez pour être délivré de la discussion. Ainsi, la puissance de la crécelle vous prouvera :

Que vous êtes bien heureux d’avoir une femme d’un tel mérite ;

Qu’on vous a fait trop d’honneur en vous épousant ;

Que souvent les femmes voient plus juste que les hommes ;

Que vous devriez prendre en tout l’avis de votre femme, et presque toujours le suivre ;

Que vous devez respecter la mère de vos enfants, l’honorer, avoir confiance en elle ;

Que la meilleure manière de n’être pas trompé est de s’en remettre à la délicatesse d’une femme, parce que, suivant certaines vieilles idées que nous avons eu la faiblesse de laisser s’accréditer, il est impossible à un homme d’empêcher sa femme de le minotauriser ;

Qu’une femme légitime est la meilleure amie d’un homme ;

Qu’une femme est maîtresse chez elle, et reine dans son salon, etc.

Ceux qui, à ces conquêtes de la dignité de la femme sur le pouvoir de l’homme, veulent opposer une ferme résistance, tombent dans la catégorie des prédestinés.

D’abord, s’élèvent des querelles qui, aux yeux de leurs femmes, leur donnent un air de tyrannie. La tyrannie d’un mari est toujours une terrible excuse à l’inconséquence d’une femme. Puis, dans ces légères discussions, elles savent prouver à leurs familles, aux nôtres, à tout le monde, à nous-mêmes, que nous avons tort. Si, pour obtenir la paix, ou par amour, vous reconnaissez les droits prétendus de la femme, vous laissez à la vôtre un avantage dont elle profitera éternellement. Un mari, comme un gouvernement, ne doit jamais avouer de faute. Là, votre pouvoir serait débordé par le système occulte de la dignité féminine ; là, tout serait perdu ; dès ce moment elle marcherait de concession en concession jusqu’à vous chasser de son lit.

La femme étant fine, spirituelle, malicieuse, ayant tout le temps de penser à une ironie elle vous tournerait en ridicule pendant le choc momentané de vos opinions. Le jour où elle vous aura ridiculisé verra la fin de votre bonheur. Votre pouvoir expirera. Une femme qui a ri de son mari ne peut plus l’aimer. Un homme doit être pour la femme qui aime, un être plein de force, de grandeur, et toujours imposant. Une famille ne saurait exister sans le despotisme. Nations pensez-y !

Aussi, la conduite difficile qu’un homme doit tenir en présence d’événements si graves, cette haute politique du mariage est-elle précisément l’objet des Seconde et Troisième Parties de notre livre. Ce bréviaire du machiavélisme marital vous apprendra la manière de vous grandir dans cet esprit léger, dans cette âme de dentelle, disait Napoléon. Vous saurez comment un homme peut montrer une âme d’acier, peut accepter cette petite guerre domestique, et ne jamais céder l’empire de la volonté sans compromettre son bonheur. En effet, si vous abdiquiez, votre femme vous mésestimerait par cela seul qu’elle vous trouverait sans rigueur ; vous ne seriez plus un homme pour elle. Mais nous ne sommes pas encore arrivé au moment de développer les théories et les principes par lesquels un mari pourra concilier l’élégance des manières avec l’acerbité des mesures ; qu’il nous suffise pour le moment de deviner l’importance de l’avenir, et poursuivons.

À cette époque fatale, vous la verrez établissant avec adresse le droit de sortir seule.

Vous étiez naguère son dieu, son idole. Elle est maintenant parvenue à ce degré de dévotion qui permet d’apercevoir des trous à la robe des saints.

— Oh ! mon Dieu, mon ami, disait madame de la Vallière à son mari, comme vous portez mal votre épée ! M. de Richelieu a une manière de la faire tenir droit à son côté que vous devriez tâcher d’imiter ; c’est de bien meilleur goût. — Ma chère, on ne peut pas me dire plus spirituellement qu’il y a cinq mois que nous sommes mariés !... » répliqua le duc dont la réponse fit fortune sous le règne de Louis XV.

Elle étudiera votre caractère pour trouver des armes contre vous. Cette étude, en horreur à l’amour, se découvrira par les mille petits piéges qu’elle vous tendra pour se faire, à dessein, rudoyer, gronder par vous ; car lorsqu’une femme n’a pas d’excuses pour minotauriser son mari elle tâche d’en créer.

Elle se mettra peut-être à table sans vous attendre.

Si elle passe en voiture au milieu d’une ville, elle vous indiquera certains objets que vous n’aperceviez pas ; elle chantera devant vous sans avoir peur ; elle vous coupera la parole, ne vous répondra quelquefois pas, et vous prouvera de vingt manières différentes qu’elle jouit près de vous de toutes ses facultés et de son bon sens.

Elle cherchera à abolir entièrement votre influence dans l’administration de la maison, et tentera de devenir seule maîtresse de votre fortune. D’abord, cette lutte sera une distraction pour son âme vide ou trop fortement remuée ; ensuite elle trouvera dans votre opposition un nouveau motif de ridicule. Les expressions consacrées ne lui manqueront pas, et en France nous cédons si vite au sourire ironique d’autrui !...

De temps à autre, apparaîtront des migraines et des mouvements de nerfs ; mais ces symptômes donneront lieu à toute une Méditation.

Dans le monde, elle parlera de vous sans rougir, et vous regardera avec assurance.

Elle commencera à blâmer vos moindres actes, parce qu’ils seront en contradiction avec ses idées ou ses intentions secrètes.

Elle n’aura plus autant de soin de ce qui vous touche, elle ne saura seulement pas si vous avez tout ce qu’il vous faut. Vous ne serez plus le terme de ses comparaisons.

À l’imitation de Louis XIV qui apportait à ses maîtresses les bouquets de fleurs d’oranger que le premier jardinier de Versailles lui mettait tous les matins sur sa table, M.