de Vivonne donnait presque tous les jours des fleurs rares à sa femme pendant le premier temps de son mariage. Un soir il trouva le bouquet gisant sur une console, sans avoir été placé comme à l’ordinaire dans un vase plein d’eau. — « Oh ! oh ! dit-il si je ne suis pas un sot, je ne tarderai pas à l’être. »
Vous êtes en voyage pour huit jours et vous ne recevez pas de lettre, ou vous en recevez une dont trois pages sont blanches... Symptôme.
Vous arrivez monté sur un cheval de prix, que vous aimez beaucoup, et, entre deux baisers, votre femme s’inquiète du cheval et de son avoine... Symptôme.
À ces traits, vous pouvez maintenant en ajouter d’autres. Nous tâcherons dans ce livre de toujours peindre à fresque, et de vous laisser les miniatures. Selon les caractères, ces indices, cachés sous les accidents de la vie habituelle, varient à l’infini. Tel découvrira un symptôme dans la manière de mettre un châle, lorsque tel autre aura besoin de recevoir une chiquenaude sur son âne pour deviner l’indifférence de sa compagne.
Un beau matin de printemps, le lendemain d’un bal, ou la veille d’une partie de campagne, cette situation arrive à son dernier période. Votre femme s’ennuie et le bonheur permis n’a plus d’attrait pour elle. Ses sens, son imagination, le caprice de la nature peut-être appellent un amant. Cependant elle n’ose pas encore s’embarquer dans une intrigue dont les conséquences et les détails l’effraient. Vous êtes encore là pour quelque chose ; vous pesez dans la balance, mais bien peu. De son côté, l’amant se présente paré de toutes les grâces de la nouveauté, de tous les charmes du mystère. Le combat qui s’est élevé dans le cœur de votre femme devient devant l’ennemi plus réel et plus périlleux que jadis. Bientôt plus il y a de dangers et de risques à courir, plus elle brûle de se précipiter dans ce délicieux abîme de craintes, de jouissances, d’angoisses, de voluptés. Son imagination s’allume et pétille. Sa vie future se colore à ses yeux de teintes romanesques et mystérieuses. Son âme trouve que l’existence a déjà pris du ton dans cette discussion solennelle pour les femmes. Tout s’agite, tout s’ébranle, tout s’émeut en elle. Elle vit trois fois plus qu’auparavant, et juge de l’avenir par le présent. Le peu de voluptés que vous lui avez prodiguées plaide alors contre vous ; car elle ne s’irrite pas tant des plaisirs dont elle a joui que de ceux dont elle jouira ; l’imagination ne lui présente-t-elle pas le bonheur plus vif, avec cet amant que les lois lui défendent, qu’avec vous ? enfin elle trouve des jouissances dans ses terreurs, et des terreurs dans ses jouissances. Puis, elle aime ce danger imminent, cette épée de Damoclès, suspendue au-dessus de sa tête par vous-même, préférant ainsi les délirantes agonies d’une passion à cette inanité conjugale pire que la mort, à cette indifférence qui est moins un sentiment que l’absence de tout sentiment.
Vous qui avez peut-être à aller faire des accolades au ministère des finances, des bordereaux à la Banque, des reports à la Bourse, ou des discours à la Chambre ; vous, jeune homme, qui avez si ardemment répété avec tant d’autres [autres] dans notre première Méditation le serment de défendre votre bonheur en défendant votre femme, que pouvez-vous opposer à ces désirs si naturels chez elle ?... car pour ces créatures de feu, vivre, c’est sentir ; du moment où elles n’éprouvent rien, elles sont mortes. La loi en vertu de laquelle vous marchez produit en elles ce minotaurisme involontaire. — « C’est, disait d’Alembert, une suite des lois du mouvement ! » Eh ! bien, où sont vos moyens de défense ?... Où ?
Hélas ! si votre femme n’a pas encore tout à fait baisé la pomme du Serpent, le Serpent est devant elle ; vous dormez, nous nous réveillons, et notre livre commence.
Sans examiner combien de maris, parmi les cinq cent mille que cet ouvrage concerne, seront restés avec les prédestinés ; combien se sont mal mariés ; combien auront mal débuté avec leurs femmes ; et sans vouloir chercher si, de cette troupe nombreuse, il y en a peu ou prou qui puissent satisfaire aux conditions voulues pour lutter contre le danger qui s’approche, nous allons alors développer dans la Seconde et la Troisième Partie de cet ouvrage les moyens de combattre le minotaure et de conserver intacte la vertu des femmes. Mais, si la fatalité, le diable, le célibat, l’occasion veulent votre perte, en reconnaissant le fil de toutes les intrigues, en assistant aux batailles que se livrent tous les ménages, peut-être vous consolerez-vous. Beaucoup de gens ont un caractère si heureux, qu’en [eu] leur montrant la place, leur expliquant le pourquoi, le comment, ils se grattent le front, se frottent les mains, frappent du pied, et sont satisfaits.
MÉDITATION IX
ÉPILOGUE
Fidèle à notre promesse, cette Première Partie a déduit les causes générales qui font arriver tous les mariages à la crise que nous venons de décrire ; et, tout en traçant ces prolégomènes conjugaux, nous avons indiqué la manière d’échapper au malheur, en montrant par quelles fautes il est engendré.
Mais ces considérations premières ne seraient-elles pas incomplètes si, après avoir tâché de jeter quelques lumières sur l’inconséquence de nos idées, de nos mœurs et de nos lois, relativement à une question qui embrasse la vie de presque tous les êtres, nous ne cherchions pas à établir par une courte péroraison les causes politiques de cette infirmité sociale ? Après avoir accusé les vices secrets de l’institution, n’est-ce pas aussi un examen philosophique que de rechercher pourquoi, et comment nos mœurs l’ont rendue vicieuse ?
Le système de lois et de mœurs qui régit aujourd’hui les femmes et le mariage en France est le fruit d’anciennes croyances et de traditions qui ne sont plus en rapport avec les principes éternels de raison et de justice développés par la grande révolution de 1789.
Trois grandes commotions ont agité la France : la conquête des Romains, le christianisme et l’invasion des Francs. Chaque événement a laissé de profondes empreintes sur le sol, dans les lois, dans les mœurs et l’esprit de la nation.
La Grèce, ayant un pied en Europe et l’autre en Asie, fut influencée par son climat passionné dans le choix de ses institutions conjugales ; elle les reçut de l’Orient où ses philosophes, ses législateurs et ses poètes allèrent étudier les antiquités voilées de l’Égypte et de la Chaldée. La réclusion absolue des femmes, commandée par l’action du soleil brûlant de l’Asie, domina dans les bois de la Grèce et de l’Ionie.
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