Consultons Cardot ? Hein, s’appeler madame de Fougères !... ça n’a pas l’air d’être un méchant homme !... Tu me diras un commerçant ?.. mais un commerçant tant qu’il n’est pas retiré vous ne savez pas ce que peut devenir votre fille ! tandis qu’un artiste économe... puis nous aimons les Arts... Enfin !...
Pierre Grassou, pendant que la famille Vervelle le discutait, discutait la famille Vervelle. Il lui fut impossible de demeurer en paix dans son atelier, il se promena sur le Boulevard, il y regardait les femmes rousses qui passaient ! Il se faisait les plus étranges raisonnements : l’or était le plus beau des métaux, la couleur jaune représentait l’or, les Romains aimaient les femmes rousses, et il devint Romain, etc. Après deux ans de mariage, quel homme s’occupe de la couleur de sa femme ? La beauté passe... mais la laideur reste ! L’argent est la moitié du bonheur. Le soir, en se couchant, le peintre trouvait déjà Virginie Vervelle charmante.
Quand les trois Vervelle entrèrent le jour de la seconde séance, l’artiste les accueillit avec un aimable sourire. Le scélérat avait fait sa barbe, il avait mis du linge blanc ; il s’était agréablement disposé les cheveux, il avait choisi un pantalon fort avantageux et des pantoufles rouges à la poulaine. La famille répondit par un sourire aussi flatteur que celui de l’artiste, Virginie devint de la couleur de ses cheveux, baissa les yeux et détourna la tête, en regardant les études. Pierre Grassou trouva ces petites minauderies ravissantes. Virginie avait de la grâce, elle ne tenait heureusement ni du père, ni de la mère ; mais de qui tenait-elle ?
— Ah ! j’y suis, se dit-il toujours, la mère aura eu un regard de son commerce.
Pendant la séance il y eut des escarmouches entre la famille et le peintre qui eut l’audace de trouver le père Vervelle spirituel. Cette flatterie fit entrer la famille au pas de charge dans le cœur de l’artiste, il donna l’un de ses croquis à Virginie, et une esquisse à la mère.
— Pour rien ? dirent-elles.
Pierre Grassou ne put s’empêcher de sourire.
— Il ne faut pas donner ainsi vos tableaux, c’est de l’argent, lui dit Vervelle.
À la troisième séance, le père Vervelle parla d’une belle galerie de tableaux qu’il avait à sa campagne de Ville-d’Avray : des Rubens, des Gérard-Dow, des Mieris, des Terburg, des Rembrandt, un Titien, des Paul Potter, etc.
— Monsieur Vervelle a fait des folies, dit fastueusement madame Vervelle, il a pour cent mille francs de tableaux.
— J’aime les Arts, reprit l’ancien marchand de bouteilles.
Quand le portrait de madame Vervelle fut commencé, celui du mari était presque achevé, l’enthousiasme de la famille ne connaissait alors plus de bornes. Le notaire avait fait le plus grand éloge du peintre : Pierre Grassou était à ses yeux le plus honnête garçon de la terre, un des artistes les plus rangés qui d’ailleurs avait amassé trente-six mille francs ; ses jours de misère étaient passés, il allait par dix mille francs chaque année, il capitalisait les intérêts ; enfin il était incapable de rendre une femme malheureuse. Cette dernière phrase fut d’un poids énorme dans la balance. Les amis des Vervelle n’entendaient plus parler que du célèbre Fougères. Le jour où Fougères entama le portrait de Virginie, il était in petto déjà le gendre de la famille Vervelle. Les trois Vervelle fleurissaient dans cet atelier qu’ils s’habituaient à considérer comme une de leurs résidences : il y avait pour eux un inexplicable attrait dans ce local propre, soigné, gentil, artiste. Abyssus abyssum, le bourgeois attire le bourgeois. Vers la fin de la séance, l’escalier fut agité, la porte fut brutalement ouverte, et entra Joseph Bridau : il était à la tempête, il avait les cheveux au vent ; il montra sa grande figure ravagée, jeta partout les éclairs de son regard, tourna tout autour de l’atelier et revint à Grassou brusquement, en ramassant sa redingote sur la région gastrique, et tâchant, mais en vain, de la boutonner, le bouton s’étant évadé de sa capsule de drap.
— Le bois est cher, dit-il à Grassou.
— Ah !
— Les Anglais sont après moi. Tiens, tu peins ces choses-là ?
— Tais-toi donc !
— Ah ! oui !
La famille Vervelle, superlativement choquée par cette étrange apparition, passa de son rouge ordinaire au rouge-cerise des feux violents.
— Ça rapporte ! reprit Joseph. Y a-t-il aubert en fouillouse ?
— Te faut-il beaucoup ?
— Un billet de cinq cents... J’ai après moi un de ces négociants de la nature des dogues, qui, une fois qu’ils ont mordu, ne lâchent plus qu’il n’aient le morceau. Quelle race !
— Je vais t’écrire un mot pour mon notaire...
— Tu as donc un notaire ?
— Oui.
— Ca m’explique alors pourquoi tu fais encore les joues avec des tons roses, excellents pour des enseignes de parfumeur !
Grassou ne put s’empêcher de rougir, Virginie posait.
— Aborde donc la Nature comme elle est ? dit le grand peintre en continuant. Mademoiselle est rousse. Eh ! bien, est-ce un péché mortel ? Tout est magnifique en peinture. Mets-moi du cinabre sur ta palette, réchauffe-moi ces joues-là, piques-y leurs petites taches brunes, beurre-moi cela ? Veux-tu avoir plus d’esprit que la Nature ?
— Tiens, dit Fougères, prends ma place pendant que je vais écrire.
Vervelle roula jusqu’à la table et s’approcha de l’oreille de Grassou. — Mais ce pacant-là va tout gâter, dit le marchand.
— S’il voulait faire le portrait de votre Virginie, il vaudrait mille fois le mien, répondit Fougères indigné.
En entendant ce mot, le bourgeois opéra doucement sa retraite vers sa femme stupéfaite de l’invasion de la bête féroce, et assez peu rassurée de la voir coopérant au portrait de sa fille.
— Tiens, suis ces indications, dit Bridau en rendant la palette et prenant le billet. Je ne te remercie pas ! je puis retourner au château de d’Arthez à qui je peins une salle à manger et où Léon de Lora fait les dessus de porte, des chefs-d’œuvre.
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