C’est nuit. Silence... Le chien jappe.

Je me couche. Pourtant le songe à mon cœur frappe.
Oui, c’est délicieux, cela, d’être ainsi libre
Et de vivre en berger presque. Un souvenir vibre
En moi... là-bas, au temps de l’enfance, ma vie
Coulait ainsi, loin des sentiers, blanche et ravie!

Petit Hameau

Or voici que verdoie un hameau sur les côtes
Plein de houx, orgueilleux de ses misères hautes.
Des bergers s’étonnant contemplent dans la plaine,
Et mon cheval qui sue à la hauteur se traîne.
Pour y vivre l’Octobre et ses paix pastorales
Je vous apporte, ô Pan, mes lyres vespérales.
Les bœufs sont vite entrés. Ils meuglent dans l’étable,
Et la soupe qui fume a réjoui ma table.
Que vous êtes heureux, hommes bons des campagnes,
Loin du faubourg qui pue et des clameurs de bagnes.
Je vous bénis. Que la joie habite à vos portes,
En campagne, ô ces soirs de primes feuilles mortes!

Château rural

J’eus ce rêve. Elle a vingt ans, je n’en ai pas moins;
Nous habiterons ces chers coins
Qu’embaumeront ses soins.
Ce sera là tout près, oui, rien qu’au bas du val;
Nous aurons triple carnaval:
Maison, coq et cheval.
Elle a les yeux de ciel, tout donc y sera bleu:
Pignon, châssis, seuil, porte, heu!
Dedans peut-être un peu.
Elle a les cheveux blonds, nous glanerons épis,
Soleils, printemps, beaux jours, foins, lys
Et l’amour sans dépits.
Sans doute, elle m’aura, m’ayant vu si peu gai
– Ne fût-ce que pour me narguer –
Un ange délégué!
Brusque je m’éveillai. Mon coq au jour qui gagne
Pleurait là-bas dans la campagne
Son poulailler d’Espagne.

Aubade rouge

L’aube éclabousse les monts de sang
Tout drapés de fine brume,
Et l’on entend meugler frémissant
Un bœuf au naseau qui fume.
Voici l’heure de la boucherie.
Le tenant par son licol,
Les gars pour la prochaine tuerie
Ont mis le mouchoir au col.
La hache s’abat avec tel han,
Qu’ils pausent contre habitude.
Procumbit bos. Tel un éléphant
Croule en une solitude.
Le sang gicle. Il laboure des cornes
Le sol teint rouge hideux.
Et Phébus chante aux beuglements mornes
Du bœuf qu’on rupture à deux.

Pan moderne

Pour patrimoine il a sept chèvres;
Quand l’air de l’aube en ses poumons
Vibre, on le voit passer par monts
Comme un bon dieu la flûte aux lèvres.
Or plus droit qu’if, il a les plèvres
En lui des éternels limons;
Son œil subjugue les démons
Et les ours le fuient comme lièvres.
Il est des chevriers l’orgueil,
Comme un vénérable chevreuil
Son front a bravé le tonnerre.
Il mourra comme il a vécu,
Probe et chaste, sans un écu.
Je bois à Fritz le centenaire!

Virgilienne

Octobre étend son soir de blanc repos
Comme une ombre de mère morte.
Les chevriers, du son de leurs pipeaux,
Semblent railler la brise forte.
Mais l’un s’est tu. L’instrument, de ses lèvres,
Soudain se dégage à mes pas;
Celui-là sait mon amour pour ses chèvres;
Que j’aime à causer aux soirs bas.
Je le respecte... il est vieux, c’est assez;
Puis, c’est mon trésor bucolique.
Ce centenaire a tout peuplé de ses
Conseils mon cœur mélancolique.
Nous veillons tels parfois tard à nuit brune
Aux intermèdes prompts et doux
De pipeau qui chevrote au clair de lune
Sa vieille sérénade aux houx!

Thème sentimental

Je t’ai vue un soir me sourire
Dans la planète des Bergers:
Tu descendais à pas légers
Du seuil d’un château de porphyre.
Et ton œil de diamant rare
Éblouissait le règne astral.
Femme, depuis, par mont ou val,
Femme, beau marbre de Carrare,
Ta voix me hante en sons chargés
De mystère et fait mon martyre,
Car toujours je te vois sourire
Dans la planète des Bergers.

Bergère

Vous que j’aimai sous les grands houx,
Aux soirs de bohème champêtre,
Bergère, à la mode champêtre,
De ces soirs vous souvenez-vous?
Vous étiez l’astre à ma fenêtre
Et l’étoile d’or dans les houx.
Aux soirs de bohème champêtre
Vous que j’aimai sous les grands houx,
Bergère, à la mode champêtre,
Où donc maintenant êtes-vous?
– Vous êtes l’ombre à ma fenêtre
Et la tristesse dans les houx.

Automne

Comme la lande est riche aux heures empourprées,
Quand les cadrans du ciel ont sonné les vesprées!
Quels longs effeuillements d’angélus par les chênes!
Quels suaves appels des chapelles prochaines!
Là-bas, groupes meuglants de grands bœufs
[aux yeux glauques
Vont menés par des gars aux bruyants soliloques.
La poussière déferle en avalanches grises
Pleines du chaud relent des vignes et des brises.
Un silence a plu dans les solitudes proches:
Des Sylphes ont cueilli le parfum mort des cloches.
Quelle mélancolie! Octobre, octobre en voie!
Watteau! que je vous aime, Autran, ô Millevoye!

Refoulons la sente
Refoulons la sente
Presque renaissante
À notre ombre passante.
Confabulons là
Avec tout cela
Qui fut de la villa.
Parmi les voix tues
Des vieilles statues
Çà et là abattues.
Dans le parc défunt
Où rôde un parfum
De soir blanc en soir brun...

Maints soirs nous errons dans le val
Maints soirs nous errons dans le val
Que vont drapant les heures grises.
Des pleurs perlent ses yeux d’alises
Quand elle ouït les Cydalises
De ce dieu que fut de Nerval.
Ah! voudrait-elle en long vol d’or
Les rejoindre dans des domaines
Plus vastes que les cours romaines
Où par d’éternelles semaines
La coupe de Volupté dort,
Ou bien donc ouvrir son printemps
Aux fureurs des fatals cyclones
Qui croulent comme des colonnes
Parmi les chastes Babylones
Du cœur des Belles de vingt ans.
Ah! chère, que ton cœur est beau!
Laisses-y choir des blancs jours lestes
Fuis la ville, ignore ses pestes.
Tu ne seras près des Célestes
Que le plus loin de son tombeau.

Le bœuf spectral

Le grand bœuf roux aux cornes glauques
Hante là-bas la paix des champs,
Et va meuglant dans les couchants
Horriblement ses râles rauques.
Et tous ont tu leurs gais colloques
Sous l’orme au soir avec leurs chants.
Le grand bœuf roux aux cornes glauques
Hante là-bas la paix des champs.
Gare, gare aux desseins méchants!
Belles en blanc, vachers en loques,
Prenez à votre cou vos socques!
À travers prés, buissons tranchants,
Fuyez le bœuf aux cornes glauques.

Rêve de Watteau

Quand les pastours, aux soirs des crépuscules roux
Menant leurs grands boucs noirs aux râles d’or
[des flûtes,
Vers le hameau natal, de par delà les buttes,
S’en revenaient, le long des champs piqués de houx;
Bohèmes écoliers, âmes vierges de luttes,
Pleines de blanc naguère et de jours sans courroux,
En rupture d’étude, aux bois jonchés de brous
Nous allions, gouailleurs, prêtant l’oreille aux chutes
Des ruisseaux, dans le val que longeait en jappant
Le petit chien berger des calmes fils de Pan
Dont le pipeau qui pleure appelle, tout au loin.
Puis, las, nous nous couchions, frissonnants
[jusqu’aux mœlles,
Et parfois, radieux, dans nos palais de foin,
Nous déjeunions d’aurore et nous soupions d’étoiles...

Qu’elle est triste en Octobre
avec sa voix pourprée
Qu’elle est triste en Octobre avec sa voix pourprée
La Vesprée!
Ses funéraires los enamourent les choses
Trop moroses.
En chambre rose et blanche une vierge repose
Blanche et rose.
Et le hameau se tait. Les bergers qui reviennent
Se souviennent
Dans la marche des monts parmi le ranz des sources
De ses courses
D’autrefois avec eux. Archange bucolique
Ô relique
D’enfance à jamais douce! Un d’entre eux là ne parle.
C’est Fritz. Car le
Vieux chevrier, le roi des chèvres vagabondes
Près des ondes,
L’aima. Qu’il la déplore! Il était son égide
Bloc rigide
Contre lequel les Temps avaient usé leur lime.
Le sublime
Vieillard pleurait sa mort comme une fleur de neige.
Un cortège
S’est formé. Deux bras lourds l’amènent en chapelle.
Une pelle
Dans le souterrain creuse un exil de la vie
Qu’ont suivie
Tous mes pas douloureux. Elle gît là en terre,
Solitaire.
Je l’entends dans mon rêve. Elle pleure en les cloches
Aux approches
Du soir. J’ai gardé d’elle un souvenir de frère,
Lutte chère
Avec l’autre d’antan. Chez moi, douleur n’est fraîche,
Elle est sèche
De ce feu qui l’embrase en ses rouges fournaises
Dans les braises.
Douleur où j’ai tant soif que je boirais les mondes
Et leurs ondes.
Douleur où je péris comme un lys sur console
Sans parole...
Qu’elle est triste en Octobre avec sa voix pourprée
La Vesprée!...

LES PIEDS SUR LES CHENETS

«Amours d’élite»

Vasque

À ma très chère, ultime amie,
Édith…
La vasque somnolente aux chansons de la lune
Vocalise d’une voix d’eau d’or,
Et le feuillage jaune au doux bruissement d’une
Brise triste emmi l’ombre aux chansons de la lune
Soupire et rit dans la nuit qui dort.
Or les aimés s’en vont pleureurs au blanc de lune,
Le faune jase à la nuit qui dort,
Et leur vertige est tel qu’ils voudraient mourir d’une
Mort de Cygne, noyés au glauque de la lune
Enlacés dans la Vasque d’eau d’or.

Caprice blanc

L’hiver, de son pinceau givré, barbouille aux vitres
Des pastels de jardins de roses en glaçons.
Le froid pique de vif et relègue aux maisons
Milady, canaris et les jockos bélîtres.
Mais la petite Miss en berline s’en va,
Dans son vitchoura blanc, une ombre de fourrures,
Bravant l’intempérie et les âcres froidures,
Et plus d’un, à la voir cheminer, la rêva.
Ses deux chevaux sont blancs et sa voiture aussi,
Menés de front par un cockney, flegme sur siège.
Leurs sabots font des trous ronds et creux dans la neige;
Tout le ciel s’enfarine en un soir obscurci.
Elle a passé, tournant sa prunelle câline
Vers moi. Pour compléter alors l’immaculé
De ce décor en blanc, bouquet dissimulé,
Je lui jetai mon cœur au fond de sa berline.

Hiver sentimental

Loin des vitres! clairs yeux dont je bois les liqueurs,
Et ne vous souillez pas à contempler les plèbes.
Des gels norvégiens métallisent les glèbes,
Que le froid des hivers nous réchauffe les cœurs!
Tels des guerriers pleurant les ruines de Thèbes,
Ma mie, ainsi toujours courtisons nos rancœurs,
Et, dédaignant la vie aux chants sophistiqueurs,
Laissons le bon Trépas nous conduire aux Érèbes.
Tu nous visiteras comme un spectre de givre;
Nous ne serons pas vieux, mais déjà las de vivre,
Mort! que ne nous prends-tu par telle après-midi,
Languides au divan, bercés par sa guitare,
Dont les motifs rêveurs, en un rythme assourdi,
Scandent nos ennuis lourds sur la valse tartare!

Le Mai d’amour

Voici que verdit le printemps
Où l’heure au cœur sonne vingt ans,
Larivarite et la la ri;
Voici que j’ai touché l’époque
Où l’on est las d’habits en loque,
Au gentil sieur il faudra ça
Ça
La la ri
Jeunes filles de bel humour,
Donnez-nous le mai de l’amour,
Larivarite et la la ri.
Soyez blonde ou brune ou châtaine,
Ayez les yeux couleur lointaine
Larivarite et la la ri;
Des astres bleus, des perles roses,
Mais surtout, pas de voix moroses,
Belles de liesse, il faudra ça
Ça
La la ri
Il faudra battre un cœur de joie
Tout plein de gaîté qui rougeoie,
Larivarite et la la ri.
Moi, j’ai rêvé de celle-là
Au cœur triste dans le gala
Larivarite et la la ri;
Comme l’oiseau d’automne au bois
Ou le rythme du vieux hautbois,
Un cœur triste, il me faudra ça
Ça
La la ri
Triste comme une main d’adieu
Et pur comme les yeux de Dieu,
Larivarite et la la ri.
Voici que vient l’amour de mai,
Vivez-le vite, le cœur gai,
Larivarite et la la ri;
Ils tombent tôt les jours méchants,
Vous cesserez aussi vos chants;
Dans le cercueil il faudra ça
Ça
La la ri
Belles de vingt ans au cœur d’or,
L’amour, sachez-le, tôt s’endort,
Larivarite et la la ri.

Placet pour des cheveux

Reine, acquiescez-vous qu’une boucle déferle
Des lames des cheveux aux lames du ciseau,
Pour que j’y puisse humer un peu de chant d’oiseau,
Un peu de soir d’amour né de vos yeux de perle?
Au bosquet de mon cœur, en des trilles de merle,
Votre âme a fait chanter sa flûte de roseau.
Reine, acquiescez-vous qu’une boucle déferle
Des lames des cheveux aux lames du ciseau?
Fleur soyeuse aux parfums de rose, lis ou berle,
Je vous la remettrai, secrète comme un sceau,
Fût-ce en Éden, au jour que nous prendrons vaisseau
Sur la mer idéale où l’ouragan se ferle.
Reine, acquiescez-vous qu’une boucle déferle?

Lied fantasque

Casqués de leurs shakos de riz,
Vieux de la vieille au mousquet noir,
Les hauts toits, dans l’hivernal soir,
Montent la consigne à Paris.
Les spectres sur le promenoir
S’ébattent en défilés gris.
Restons en intime pourpris,
Comme cela, sans dire ou voir...
Pose immobile la guitare,
Gretchen, ne distrais le bizarre
Rêveur sous l’ivresse qui plie.
Je voudrais cueillir une à une
Dans tes prunelles clair-de-lune
Les roses de ta Westphalie.

Gretchen la pâle

Elle est de la beauté des profils de Rubens
Dont la majesté calme à la sienne s’incline.
Sa voix a le son d’or de mainte mandoline
Aux balcons de Venise avec des chants lambins.
Ses cheveux, en des flots lumineux d’eaux de bains,
Déferlent sur sa chair vierge de manteline;
Son pas, soupir lacté de fraîche mousseline,
Simule un vespéral marcher de chérubins.
Elle est comme de l’or d’une blondeur étrange.
Vient-elle de l’Éden? de l’Érèbe? Est-ce un Ange
Que ce mystérieux chef-d’œuvre du limon?
La voilà se dressant, torse, comme un jeune arbre.
Souple Anadyomène... Ah! gare à ce démon!
C’est le Paros qui tue avec ses bras de marbre!

Frisson d’hiver

Les becs de gaz sont presque clos:
Chauffe mon cœur dont les sanglots
S’épanchent dans ton cœur par flots,
Gretchen!
Comme il te dit de mornes choses,
Ce clavecin de mes névroses,
Rythmant le deuil hâtif des roses,
Gretchen!
Prends-moi le front, prends-moi les mains,
Toi, mon trésor de rêves maints
Sur les juvéniles chemins,
Gretchen!
Quand le givre qui s’éternise
Hivernalement s’harmonise
Aux vieilles glaces de Venise,
Gretchen!
Et que nos deux gros chats persans
Montrent des yeux reconnaissants
Près de l’âtre aux feux bruissants,
Gretchen!
Et qu’au frisson de la veillée,
S’élance en tendresse affolée
Vers toi mon âme inconsolée,
Gretchen!
Chauffe mon cœur, dont les sanglots
S’épanchent dans ton cœur par flots.
Les becs de gaz sont presque clos...
Gretchen!

Châteaux en Espagne

Je rêve de marcher comme un conquistador,
Haussant mon labarum triomphal de victoire,
Plein de fierté farouche et de valeur notoire,
Vers des assauts de ville aux tours de bronze et d’or.
Comme un royal oiseau, vautour, aigle ou condor,
Je rêve de planer au divin territoire,
De brûler au soleil mes deux ailes de gloire
À vouloir dérober le céleste Trésor.
Je ne suis hospodar, ni grand oiseau de proie;
À peine si je puis dans mon cœur qui guerroie
Soutenir le combat des vieux Anges impurs;
Et mes rêves altiers fondent comme des cierges
Devant cette Ilion éternelle aux cent murs,
La ville de l’Arnour imprenable des Vierges!

Rêve d’artiste

Parfois j’ai le désir d’une sœur bonne et tendre,
D’une sœur angélique au sourire discret:
Sœur qui m’enseignera doucement le secret
De prier comme il faut, d’espérer et d’attendre.
J’ai ce désir très pur d’une sœur éternelle,
D’une sœur d’amitié dans le règne de l’Art,
Qui me saura veillant à ma lampe très tard
Et qui me couvrira des cieux de sa prunelle;
Qui me prendra les mains quelquefois dans les siennes
Et me chuchotera d’immaculés conseils,
Avec le charme ailé des voix musiciennes;
Et pour qui je ferai, si j’aborde à la gloire,
Fleurir tout un jardin de lys et de soleils
Dans l’azur d’un poème offert à sa mémoire.

À une femme détestée

Car dans ces jours de haine et ces temps de combats
Je fus de ces souffrants que leur langueur isole
Sans qu’ils aient pu trouver la Femme qui console
Et vous remplit le cœur rien qu’à parler tout bas.
Georges RODENBACH
Combien je vous déteste et combien je vous fuis:
Vous êtes pourtant belle et très noble d’allure,
Les Séraphins ont fait votre ample chevelure
Et vos regards couleur du charme brun des nuits.
Depuis que vous m’avez froissé, jamais depuis,
N’ai-je pu tempérer cette intime brûlure:
Vous m’avez fait souffrir, volage créature,
Pendant qu’en moi grondait le volcan des ennuis.
Moi, sans amour jamais qu’un amour d’Art, Madame,
Et vous, indifférente et qui n’avez pas d’âme,
Vieillissons tous les deux pour ne jamais nous voir.
Je ne dois pas courber mon front devant vos charmes;
Seulement, seulement, expliquez-moi ce soir,
Cette tristesse au cœur qui me cause des larmes.

Le Vent, le vent triste de l’Automne

Beauté des femmes, leur faiblesse et ces mains pâles
Qui font souvent le bien, et peuvent tout le mal.
Paul VERLAINE
Avec le cri qui sort d’une gorge d’enfant,
Le vent de par les bois, funèbre et triomphant,
Le vent va, le vent court dans l’écorce qu’il fend
Mêlant son bruit lointain au bruit d’un olifant.
Puis voici qu’il s’apaise, endormant ses furies
Comme au temps où jouant dans les nuits attendries
Son violon berçait nos roses rêveries,
Choses qui parfumiez les ramures fleuries!
Comme lui, comme lui qui fatal s’élevant
Et gronde et rage et qui se tait aussi souvent,
Ô femme, ton amour est parallèle au Vent:
Avant de nous entrer dans l’âme, il nous effleure;
Une fois pénétré pour nous briser, vient l’heure
Où sur l’épars débris de nos cœurs d’homme, il pleure!

Beauté cruelle

Certe, il ne faut avoir qu’un amour en ce monde,
Un amour, rien qu’un seul, tout fantasque soit-il;
Et moi qui le recherche ainsi, noble et subtil,
Voilà qu’il m’est à l’âme une entaille profonde.
Elle est hautaine et belle, et moi timide et laid:
Je ne puis l’approcher qu’en des vapeurs de rêve.
Malheureux! Plus je vais, et plus elle s’élève
Et dédaigne mon cœur pour un œil qui lui plaît.
Voyez comme, pourtant, notre sort est étrange!
Si nous eussions tous deux fait de figure échange,
Comme elle m’eût aimé d’un amour sans pareil!
Et je l’eusse suivie en vrai fou de Tolède,
Aux pays de la brume, aux landes du soleil,
Si le Ciel m’eût fait beau, et qu’il l’eût faite laide!

Roses d’octobre

Pour ne pas voir choir les roses d’automne
Cloître ton cœur mort en mon cœur tué.
Vers les soirs souffrants mon deuil s’est rué
Parallèlement au mois monotone.
Le carmin pâli de la fleur détonne
Dans le bois dolent de roux ponctué.
Pour ne pas voir choir les roses d’automne
Cloître ton cœur mort en mon cœur tué.
Là-bas, les cyprès ont l’aspect atone:
À leur ombre on est vite habitué.
Sous terre un lit frais s’ouvre situé,
Nous y dormirons tous deux, ma mignonne,
Pour ne pas voir choir les roses d’automne.

Le Robin des bois

Pendant que nous lisions Werther au fond des bois,
Hier s’en vint chanter un robin dans les branches;
Et j’ai saisi vos mains, j’ai saisi vos mains blanches,
Et je vous ai parlé d’amour comme autrefois.
Mais vous êtes restée insensible à ma voix,
Muette au jeune aveu des affections franches;
Quand soudain, vous levant, courant dans les pervenches,
Émue, et m’appelant, vous m’avez crié: «Vois!»
Voici qu’était tombé du frissonnant feuillage
L’oiseau sentimental, frappé dans son jeune âge,
Et qui mourait sitôt, pauvre ami du printemps.
Et vous, vous le pleuriez, regrettant sa romance,
Pendant que je songeais, fixant l’azur immense:
Le Robin et l’Amour sont morts en même temps!

Rythmes du soir

Voici que le dahlia, la tulipe et les roses
Parmi les lourds bassins, les bronzes et les marbres
Des grands parcs où l’Amour folâtre sous les arbres
Chantent dans les soirs bleus; monotones et roses
Chantent dans les soirs bleus la gaîté des parterres,
Où danse un clair de lune aux pieds d’argent obliques,
Où le vent de scherzos quasi mélancoliques
Trouble le rêve lent des oiseaux solitaires,
Voici que le dahlia, la tulipe et les roses,
Et le lys cristallin épris du crépuscule,
Blêmissent tristement au soleil qui recule,
Emportant la douleur des bêtes et des choses;
Voici que le dahlia, comme un amour qui saigne,
Attend d’un clair matin les baisers frais et roses,
Et voici que le lys, la tulipe et les roses
Pleurent les souvenirs dont mon âme se baigne.

Soirs d’automne[*]

Voici que la tulipe et voilà que les roses,
Sous le geste massif des bronzes et des marbres,
Dans le Parc où l’Amour folâtre sous les arbres,
Chantent dans les longs soirs monotones et roses.
Dans les soirs a chanté la gaîté des parterres
Où danse un clair de lune en des poses obliques,
Et de grands souffles vont, lourds et mélancoliques, 
Troubler le rêve blanc des oiseaux solitaires.
Voici que la tulipe et voilà que les roses,
Et les lys cristallins, pourprés de crépuscules,
Rayonnent tristement au soleil qui recule,
Emportant la douleur des bêtes et des choses.
Et mon amour meurtri, comme une chair qui saigne,
Repose sa blessure et calme ses névroses.
Et voici que les lys, la tulipe et les roses
Pleurent les souvenirs où mon âme se baigne.
[*] Deuxième version du poème «Rythmes du soir». Les variantes par rapport au premier sont indiquées en italique.

Rêves enclos

Enfermons-nous mélancoliques
Dans le frisson tiède des chambres,
Où les pots de fleurs des septembres
Parfument comme des reliques.
Tes cheveux rappellent les ambres
Du chef des vierges catholiques
Aux vieux tableaux des basiliques,
Sur les ors charnels de tes membres.
Ton clair rire d’émail éclate
Sur le vif écrin écarlate
Où s’incrusta l’ennui de vivre.
Ah! puisses-tu vers l’espoir calme
Faire surgir comme une palme
Mon cœur cristallisé de givre!

RÉCITALS ÉTRANGES

«Motifs de Pipeau» [1898]

«Les Pieds sur les Chenets» [1898, 1899]

«Lied» [1899]

Vieux Piano

Plein de la voix mêlée autrefois à la sienne,
Et triste, un clavecin d’ébène que domine
Une coupe où se meurt, tendre, une balsamine,
Pleure les doigts défunts de la musicienne.
Catulle MENDÈS
L’âme ne frémit plus chez ce vieil instrument;
Son couvercle baissé lui donne un aspect sombre;
Relégué du salon, il sommeille dans l’ombre,
Ce misanthrope aigri de son isolement.
Je me souviens encor des nocturnes sans nombre
Que me jouait ma mère, et je songe, en pleurant,
À ces soirs d’autrefois, passés dans la pénombre,
Quand Liszt se disait triste et Beethoven mourant.
Ô vieux piano d’ébène, image de ma vie,
Comme toi du bonheur ma pauvre âme est ravie,
Il te manque une artiste, il me faut l’Idéal;
Et pourtant là tu dors, ma seule joie au monde,
Qui donc fera renaître, ô détresse profonde,
De ton clavier funèbre un concert triomphal?

Salons allemands

Je me figure encor ces grands salons muets
Pleins de velours usés et d’aïeules pensives,
De lustres vacillants éblouis des convives
Qui tournaient dans la valse et les vieux menuets.
Je repense aux portraits d’autrefois suspendus
Sur le haut des foyers et qui semblaient nous dire
Dans leur langue de mort: Vivants, pourquoi tant rire?
Et les beaux vers de Goethe aux soirs d’or entendus.
J’évoque les tableaux flamands, et les artistes
Qui songeaient en fumant dans leurs chaises tout tristes
Et dont l’œil se portait vers l’âtre hospitalier.
Mais surtout et je pleure et ne sais que résoudre...
Car voici que j’entends chanter sur l’escalier
Le vieux ténor hongrois aux longs cheveux en poudre.

Les angéliques

Des soirs, j’errais en lande hors du hameau natal,
Perdu parmi l’orgueil serein des grands monts roses,
Et les Anges, à flots de longs timbres moroses,
Ébranlaient les bourdons, au vent occidental.
Comme un berger-poète au cœur sentimental,
J’aspirais leur prière en l’arôme des roses,
Pendant qu’aux ors mourants, mes troupeaux de névroses
Vagabondaient le long des forêts de santal.
Ainsi, de par la vie où j’erre solitaire,
J’ai gardé dans mon âme un coin de vieille terre,
Paysage ébloui des soirs que je revois;
Alors que, dans ta lande intime, tu rappelles,
Mon cœur, ces angélus d’antan, fanés, sans voix:
Tous ces oiseaux de bronze envolés des chapelles!

Five o’clock

Comme Liszt se dit triste au piano voisin!
.........................................................................
Le givre a oiselé de fins vases fantasques,
Bijoux d’orfèvrerie, orgueils de Cellini,
Aux vitres du boudoir dont l’embrouillamini
Désespère nos yeux de ses folles bourrasques.
Comme Haydn est triste au piano voisin!
.........................................................................
Ne sors pas! Voudrais-tu défier les bourrasques,
Battre les trottoirs froids par l’embrouillamini
D’hiver? Reste. J’aurai tes ors de Cellini,
Tes chers doigts constellés de leurs bagues fantasques.
Comme Mozart est triste au piano voisin!
.........................................................................
Le Five o’clock expire en mol ut crescendo.
– Ah! qu’as-tu? tes chers cils s’amalgament de perles.
– C’est que je vois mourir le jeune espoir des merles
Sur l’immobilité glaciale des jets d’eau.
.............................................sol, la, si, do.
– Gretchen, verse le thé aux tasses de Yeddo.

Violon de villanelle

Sous le clair de lune au frais du vallon,
Beaux gars à chefs bruns, belles à chef blond,
Au son du hautbois ou du violon
Dansez la villanelle.
La lande est noyée en des parfums bons.
Attisez la joie au feu des charbons;
Allez-y gaiement, allez-y par bonds,
Dansez la villanelle.
Sur un banc de chêne ils sont là, les vieux,
Vous suivant avec des pleurs dans les yeux,
Lorsqu’en les frôlant vous passez joyeux...
Dansez la villanelle.
Allez-y gaiement! que l’orbe d’argent
Croise sur vos fronts son reflet changeant;
Bien avant dans la nuit, à la Saint-Jean
Dansez la villanelle!

Tarentelle d’automne

Vois-tu près des cohortes bovines
Choir les feuilles dans les ravines,
Dans les ravines?
Vois-tu sur le coteau des années
Choir mes illusions fanées,
Toutes fanées?
Avec quelles rageuses prestesses
Court la bise de nos tristesses,
De mes tristesses!
Vois-tu près des cohortes bovines
Choir les feuilles dans les ravines,
Dans les ravines?
Ma sérénade d’octobre enfle une
Funéraire voix à la lune,
Au clair de lune.
Avec quelles rageuses prestesses
Court la bise de nos tristesses,
De mes tristesses!
Le doguet bondit dans la vallée.
Allons-nous-en par cette allée,
La morne allée!
Ma sérénade d’octobre enfle une
Funéraire voix à la lune,
Au clair de lune.
On dirait que chaque arbre divorce
Avec sa feuille et son écorce,
Sa vieille écorce.
Ah! vois sur la pente des années
Choir mes illusions fanées,
Toutes fanées!

Le Violon brisé

Aux soupirs de l’archet béni,
Il s’est brisé, plein de tristesse,
Le soir que vous jouiez, comtesse,
Un thème de Paganini.
Comme tout choit avec prestesse!
J’avais un amour infini,
Ce soir que vous jouiez, comtesse,
Un thème de Paganini.
L’instrument dort sous l’étroitesse
De son étui de bois verni,
Depuis le soir où, blonde hôtesse,
Vous jouâtes Paganini.
Mon cœur repose avec tristesse
Au trou de notre amour fini.
Il s’est brisé le soir, comtesse,
Que vous jouiez Paganini.

Violon d’adieu

Vous jouiez Mendelssohn ce soir-là; les flammèches
Valsaient dans l’âtre clair, cependant qu’au salon
Un abat-jour mêlait en ondulement long
Ses rêves de lumière au châtain de vos mèches.
Et tristes, comme un bruit frissonnant de fleurs sèches
Éparses dans le vent vespéral du vallon,
Les notes sanglotaient sur votre violon
Et chaque coup d’archet trouait mon cœur de brèches.
Or, devant qu’il se fût fait tard, je vous quittai,
Mais jusqu’à l’aube errant, seul, morose, attristé,
Contant ma jeune peine au lunaire mystère,
Je sentais remonter comme d’amers parfums
Ces musiques d’adieu qui scellaient sous la terre
Et mon rêve d’amour et mes espoirs défunts.

Sonnet d’or

Dans le soir triomphal la froidure agonise
Et les frissons divins du printemps ont surgi;
L’Hiver n’est plus, vivat! car l’Avril bostangi,
Du grand sérail de Flore a repris la maîtrise.
Certe, ouvre ta persienne, et que cet air qui grise,
Se mêlant aux reflets d’un ciel pur et rougi,
Rôde dans le boudoir où notre amour régit
Avec les sons mourants que ton luth improvise.
Allègre, Yvette, allègre, et crois-moi: j’aime mieux
Me griser du chant d’or de ces oiseaux joyeux,
Que d’entendre gémir ton grand clavier d’ivoire.
Allons rêver au parc verdi sous le dégel:
Et là tu me diras si leur Avril de gloire
Ne vaut pas en effet tout Mozart et Haendel.

Pour Ignace Paderewski

Maître, quand j’entendis, de par tes doigts magiques,
Vibrer ce grand Nocturne, à des bruits d’or pareil;
Quand j’entendis, en un sonore et pur éveil,
Monter sa voix, parfum des astrales musiques;
Je crus que, revivant ses rythmes séraphiques
Sous l’éclat merveilleux de quelque bleu soleil,
En toi, ressuscité du funèbre sommeil,
Passait le grand vol blanc du Cygne des phtisiques.
Car tu sus ranimer son puissant piano,
Et ton âme à la sienne en un mystique anneau
S’enchaîne étrangement par des causes secrètes.
Sois fier, Paderewski, du prestige divin
Que le ciel te donna, pour que chez les poètes
Tu fisses frissonner l’âme du grand Chopin!

Chopin

Fais, au blanc frisson de tes doigts,
Gémir encore, ô ma maîtresse!
Cette marche dont la caresse
Jadis extasia les rois.
Sous les lustres aux prismes froids,
Donne à ce cœur sa morne ivresse,
Aux soirs de funèbre paresse
Coulés dans ton boudoir hongrois.
Que ton piano vibre et pleure,
Et que j’oublie avec toi l’heure
Dans un Éden, on ne sait où...
Oh! fais un peu que je comprenne
Cette âme aux sons noirs qui m’entraîne
Et m’a rendu malade et fou!

Mazurka

Rien ne captive autant que ce particulier
Charme de la musique où ma langueur s’adore,
Quand je poursuis, aux soirs, le reflet que mordore
Maint lustre au tapis vert du salon familier.
Que j’aime entendre alors, plein de deuil singulier,
Monter du piano, comme d’une mandore
Le rythme somnolent où ma névrose odore
Son spasme funéraire et cherche à s’oublier!
Gouffre intellectuel, ouvre-toi, large et sombre,
Malgré que toute joie en ta tristesse sombre,
J’y peux trouver encor comme un reste d’oubli,
Si mon âme se perd dans les gammes étranges
De ce motif en deuil que Chopin a poli
Sur un rythme inquiet appris des noirs Archanges.

Le Salon

La poussière s’étend sur tout le mobilier,
Les miroirs de Venise ont défleuri leur charme;
Il y rôde comme un très vieux parfum de Parme,
La funèbre douceur d’un sachet familier.
Plus jamais ne résonne à travers le silence
Le chant du piano dans des rythmes berceurs,
Mendelssohn et Mozart, mariant leurs douceurs,
Ne s’entendent qu’en rêve aux soirs de somnolence.
Mais le poète, errant sous son massif ennui,
Ouvrant chaque fenêtre aux clartés de la nuit,
Et se crispant les mains, hagard et solitaire,
Imagine soudain, hanté par des remords,
Un grand bal solennel tournant dans le mystère,
Où ses yeux ont cru voir danser les parents morts.

PETITE CHAPELLE

«Clavecin Céleste»      à sainte Cécile [1898]

«Clavecin Céleste» [1899]

Prière du soir

Lorsque tout bruit était muet dans la maison,
Et que mes sœurs dormaient dans des poses lassées
Aux fauteuils anciens d’aïeules trépassées,
Et que rien ne troublait le tacite frisson,
Ma mère descendait à pas doux de sa chambre;
Et, s’asseyant devant le clavier noir et blanc,
Ses doigts faisaient surgir de l’ivoire tremblant
La musique mêlée aux lunes de septembre.
Moi, j’écoutais, cœur dans la peine et les regrets,
Laissant errer mes yeux vagues sur le Bruxelles,
Ou, dispersant mon rêve en noires étincelles,
Les levant pour scruter l’énigme des portraits.
Et cependant que tout allait en somnolence
Et que montaient les sons mélancoliquement
Au milieu du tic-tac du vieux Saxe allemand,
Seuls bruits intermittents qui coupaient le silence,
La nuit s’appropriait peu à peu les rideaux
Avec des frissons noirs à toutes les croisées,
Par ces soirs, et malgré les bûches embrasées,
Comme nous nous sentions soudain du froid au dos!
L’horloge chuchotant minuit au deuil des lampes,
Mes sœurs se réveillaient pour regagner leur lit,
Yeux mi-clos, chevelure éparse, front pâli,
Sous l’assoupissement qui leur frôlait les tempes;
Mais au salon empli de lunaires reflets,
Avant de remonter pour le calme nocturne,
C’était comme une attente inerte et taciturne,
Puis, brusque, un cliquetis d’argent de chapelets...
Et pendant que de Liszt les sonates étranges
Lentement achevaient de s’endormir en nous,
La famille faisait la prière à genoux
Sous le lointain écho du clavecin des anges.

Notre-Dame-des-Neiges

Sainte Notre-Dame, en beau manteau d’or,
De sa lande fleurie
Descend chaque soir, quand son Jésus dort,
En sa Ville-Marie.
Sous l’astral flambeau que portent ses anges,
La belle Vierge va
Triomphalement, aux accords étranges
De céleste bîva.
Sainte Notre-Dame a là-haut son trône
Sur notre Mont-Royal;
Et de là, son œil subjugue le Faune
De l’abîme infernal.
Car elle a dicté: «Qu’un ange protège
De son arme de feu
Ma ville d’argent au collier de neige»,
La Dame du Ciel bleu!
Sainte Notre-Dame, oh! tôt nous délivre
De tout joug pour le tien;
Chasse l’étranger! Au pays de givre
Sois-nous force et soutien.
Ce placet fleuri de choses dorées,
Puisses-tu de tes yeux,
Bénigne, le lire aux roses vesprées,
Quand tu nous viens des Cieux!
Sainte Notre-Dame a pleuré longtemps
Parmi ses petits anges;
Tellement, dit-on, qu’en les cieux latents
Se font des bruits étranges.
Et que notre Vierge entraînant l’Éden,
Ô floraison chérie!
Va tôt refleurir en même jardin
Sa France et sa Ville-Marie...

Christ en croix

Je remarquais toujours ce grand Jésus de plâtre
Dressé comme un pardon au seuil du vieux couvent,
Échafaud solennel à geste noir, devant
Lequel je me courbais, saintement idolâtre.
Or, l’autre soir, à l’heure où le cri-cri folâtre,
Par les prés assombris, le regard bleu rêvant,
Récitant Éloa, les cheveux dans le vent,
Comme il sied à l’Éphèbe esthétique et bellâtre,
J’aperçus, adjoignant des débris de parois,
Un gigantesque amas de lourde vieille croix
Et de plâtre écroulé parmi les primevères;
Et je restai là, morne, avec les yeux pensifs,
Et j’entendais en moi des marteaux convulsifs
Renfoncer les clous noirs des intimes Calvaires!

Les Déicides

I
Ils étaient là, les Juifs, les tueurs de prophètes,
Quand le sanglant Messie expirait sur la croix;
Ils étaient là, railleurs et bourreaux à la fois;
Et Sion à son crime entremêlait des fêtes.
Or, voici que soudain, sous le vent des tempêtes,
Se déchira le voile arraché des parois.
Les Maudits prirent fuite: on eût dit que le poids
De leur forfait divin s’écroulait sur leurs têtes.
Depuis, de par la terre, en hordes de damnés,
Comme des chiens errants, ils s’en vont, condamnés
Au remords éternel de leur race flétrie,
Trouvant partout, le long de leur âpre chemin,
Le mépris pour pitié, les ghettos pour patrie,
Pour aumône l’affront lorsqu’ils tendront la main.
II
D’autres sont là, pareils à ces immondes hordes,
Écrasant le Sauveur sous des monts de défis,
Alors qu’Il tend vers eux, du haut des crucifix,
Ses deux grands bras de bronze en sublimes exordes.
Écumant du venin des haineuses discordes
Et crachant un blasphème au Pain que tu leur fis,
Ils passent. Or, ceux-là, mon Dieu, qu’on dit tes fils,
Te hachent à grands coups de symboliques cordes.
Aussi, de par l’horreur des infinis exils,
Lamentables troupeaux, ces sacrilèges vils
S’en iront, fous de honte, aux nuits blasphématoires,
Alors que sur leur front, mystérieux croissant,
Luira, comme un blason de leurs tortures noires,
Le stigmate éternel de quelque hostie en sang.

La réponse du crucifix

En expirant sur l’arbre affreux du Golgotha,
De quel regret ton âme, ô Christ, fut-elle pleine?
Était-ce de laisser Marie et Madeleine
Et les autres, au roc où la Croix se planta?
Quand le funèbre chœur sous Toi se lamenta,
Et que les clous crispaient tes mains; quand, par la plaine,
Ton âme eut dispersé la fleur de son haleine,
Devançant ton essor vers le céleste État,
Quel fut ce grand soupir de tristesse infinie
Qui s’exhala de Toi lorsque, l’œuvre finie,
Tu t’apprêtais enfin à regagner le But?
Me dévoileras-tu cet intime mystère?
– Ce fut de ne pouvoir, jeune homme, le fiel bu,
Serrer contre mon cœur mes bourreaux sur la Terre!

Diptyque

En une très vieille chapelle
Je sais un diptyque flamand
Où Jésus, près de sa maman,
Creuse le sable avec sa pelle.
Non peint par Rubens ou Memling,
Mais digne de leurs galeries;
La Vierge, en blanches draperies,
Au rouet blanc file son lin.
La pelle verdelette peinte
Scintille aux mains grêles de Dieu;
Le soleil brûle un rouge adieu
Là-bas, devers Sion la sainte.
Le jeune enfant devant la hutte
Du charpentier de Nazareth
Entasse un amas qu’on dirait
Être l’assise d’une butte.
Jésus en jouant s’est sali;
Ses doigts sont tachetés de boue,
Et le travail sur chaque joue,
A mis comme un rayon pâli.
Quelle est cette tâche sévère
Que Jésus si précoce apprit?
Posait-il donc en son esprit
Les bases d’un futur Calvaire?

Les Petits Oiseaux

Puisque Rusbrock m’enseigne
À moi, dont le cœur saigne
Sur tout ce qui se baigne
Dans le malheur,
À vous aimer, j’élève
Ma pensée à ce rêve:
De vous faire une grève
Avec mon cœur.
Là donc, oiseaux sauvages,
Contre tous les ravages,
Vous aurez vos rivages
Et vos abris:
Colombes, hirondelles,
Entre mes mains fidèles,
Oiseaux aux clairs coups d’ailes,
Ô colibris!
Sûrs vous pourrez y vivre
Sans peur des soirs de givre,
Où sous l’astre de cuivre,
Morne flambeau!
Souventes fois, cortège
Qu’un vent trop dur assiège,
Vous trouvez sous la neige
Votre tombeau.
Protégés sans relâche,
Ainsi contre un plomb lâche,
Quand je clorai ma tâche,
Membres raidis;
Vous, par l’immense voûte
Me guiderez sans doute,
Connaissant mieux la route
Du Paradis!

Les communiantes

Calmes, elles s’en vont, défilant aux allées
De la chapelle en fleurs, et je les suis des yeux,
Religieusement joignant mes doigts pieux,
Plein de l’ardent regret des ferveurs en allées.
Voici qu’elles se sont toutes agenouillées
Au mystique repas qui leur descend des cieux,
Devant l’autel piqué de flamboiements joyeux
Et d’une floraison de fleurs immaculées.
Leur séraphique ardeur fut si lente à finir
Que tout à l’heure encore, à les voir revenir
De l’agape céleste au divin réfectoire,
Je crus qu’elles allaient vraiment prendre l’essor,
Comme si, se glissant sous leurs voiles de gloire,
Un ange leur avait posé des ailes d’or.

Communion pascale

Douceur, douceur mystique! ô la douceur qui pleut!
Est-ce que dans nos cœurs est tombé le ciel bleu?
Tout le ciel, ce dimanche, à la messe de Pâques
Dissipant le brouillard des tristesses opaques;
Plein d’Archanges, porteurs triomphaux d’encensoirs,
Porteurs d’urnes de paix, porteurs d’urnes d’espoirs;
Aux sons du récital de Cécile la sainte,
Que l’orgue répercute en la pieuse enceinte,
Serait-ce qu’un nouvel Éden s’opère en nous,
Pendant que le Sanctus nous prosterne à genoux?
Et pendant que nos yeux, sous les lueurs rosées,
Deviennent des miroirs d’âmes séraphisées,
Sous le matin joyeux, parmi les vitraux peints
Dont la gloire s’allie au nimbe d’or des saints?
Douceur, d’où nous viens-tu, religieux mystère,
Extase qui nous fais étrangers à la terre?
Ô Foi! N’est-ce pas l’heure adorable où le Christ
Étant ressuscité, selon qu’il est écrit,
Ressuscite pour Lui nos âmes amorties
Sous les petits soleils des pascales Hosties?

Les Moines

Ils défilent au chant étoffé des sandales,
Le chef bas, égrenant de massifs chapelets,
Et le soir qui s’en vient, du sang de ses reflets
Mordore la splendeur funéraire des dalles.
Ils s’effacent soudain, comme en de noirs dédales,
Au fond des corridors pleins de pourpres relais
Où de grands anges peints aux vitraux verdelets
Interdisent l’entrée aux terrestres scandales
Leur visage est funèbre, et dans leurs yeux sereins
Comme les horizons vastes des cieux marins,
Flambe l’austérité des froides habitudes.
La lumière céleste emplit leur large esprit,
Car l’Espoir triomphant creusa les solitudes
De ces silencieux spectres de Jésus-Christ.

La Mort du moine

Voici venir les tristes frères
Vers la cellule où tu te meurs.
Ton esprit est plein de clameurs
Et de musiques funéraires.
Apportez-lui le Viatique.
Saint Bénédict, aidez sa mort!
Bien que faible, faites-le fort
Sous votre sainte égide antique.
Ainsi soit-il au cœur de Dieu!
Clément, dis un riant adieu
Aux liens impurs de cette terre.
Et pars, rentre dans ton Espoir.
Que les bronzes du monastère
Sonnent ton âme au ciel ce soir!

Les Carmélites

Parmi le deuil du cloître elles vont solennelles,
Et leurs pas font courir un frisson sur les dalles,
Cependant que du bruit funèbre des sandales
Monte un peu la rumeur chaste qui chante en elles.
Au séraphique éclat des austères prunelles
Répondent les flambeaux en des gammes modales;
Parmi le froid du cloître elles vont solennelles,
Et leurs pas font des chants de velours sur les dalles.
Une des leurs retourne aux landes éternelles
Trouver enfin l’oubli du monde et des scandales;
Vers sa couche de mort, au fond de leurs dédales,
C’est pourquoi, cette nuit, les nonnes fraternelles
Dans leur cloître longtemps ont marché solennelles.

La Bénédictine

Elle était au couvent depuis trois mois déjà,
Et le désir divin grandissait dans son être,
Lorsqu’un soir, se posant au bord de sa fenêtre,
Un bel oiseau bâtit son nid, puis s’y logea.
Ce fut là qu’il vécut longtemps et qu’il mangea.
Mais, comme elle sentait souvent l’ennui renaître,
La sœur lui mit au cou par caprice une lettre...
L’oiseau ne revint plus, elle s’en affligea.
La vieillesse neigeant sur la Bénédictine
Fit qu’elle rendit l’âme, une nuit argentine,
Les yeux levés au ciel par l’extase agrandis:
Or, comme elle y montait, au chant d’un chœur étrange,
Elle vit, demandant sa place en paradis,
L’oiseau qui remettait la lettre aux mains d’un Ange!

Petit Vitrail

Jésus à barbe blonde, aux yeux de saphir tendre,
Sourit dans un vitrail ancien du défunt chœur
Parmi le vol sacré des chérubins en chœur
Qui se penchent vers Lui pour l’aimer et l’entendre.
Des oiseaux de Sion aux claires ailes calmes
Sont là dans le soleil qui poudroie en délire,
Et c’est doux comme un vers de maître sur la lyre,
De voir ainsi, parmi l’arabesque des palmes,
Dans ce petit vitrail où le soir va descendre,
Sourire, en sa bonté mystique, au fond du chœur,
Le Christ à barbe d’or, aux yeux de saphir tendre.

Amour immaculé

Je sais en une église un vitrail merveilleux
Où quelque artiste illustre, inspiré des archanges,
A peint d’une façon mystique, en robe à franges,
Le front nimbé d’un astre, une Sainte aux yeux bleus.
Le soir, l’esprit hanté de rêves nébuleux
Et du céleste écho de récitals étranges,
Je m’en viens la prier sous les lueurs oranges
De la lune qui luit entre ses blonds cheveux.
Telle sur le vitrail de mon cœur je t’ai peinte,
Ma romanesque aimée, ô pâle et blonde sainte,
Toi, la seule que j’aime et toujours aimerai;
Mais tu restes muette, impassible, et, trop fière,
Tu te plais à me voir, sombre et désespéré,
Errer dans mon amour comme en un cimetière!

Le Récital des Anges

Plein de spleen nostalgique et de rêves étranges,
Un soir, je m’en allai chez la Sainte adorée
Où se donnait, dans la salle de l’empyrée,
Pour la fête du ciel, le récital des anges.
Et nul ne s’opposant à cette libre entrée,
Je vins, le corps vêtu d’une tunique à franges,
Le soir où je m’en fus chez la Sainte adorée,
Plein de spleen nostalgique et de rêves étranges.
Des dames défilaient sous des clartés oranges;
Les célestes laquais portaient haute livrée;
Et ma demande étant par Cécile agréée,
J’écoutai le concert qu’aux divines phalanges
Elle donnait, là-haut, dans des rythmes étranges...

L’Organiste du Paradis

La belle sainte au fond des cieux
Mène l’orchestre archangélique,
Dans la lointaine basilique
Dont la splendeur hante mes yeux.
Depuis que la Vierge biblique
Lui légua ce poste pieux,
La belle Sainte au fond des cieux
Mène l’orchestre archangélique.
Loin du monde diabolique
Puissé-je, un soir mystérieux,
Ouïr dans les divins milieux
Ton clavecin mélancolique,
Ma belle Sainte, au fond des cieux.

Rêve d’une nuit d’hôpital

Cécile était en blanc, comme aux tableaux illustres
Où la Sainte se voit, un nimbe autour du chef.
Ils étaient au fauteuil Dieu, Marie et Joseph;
Et j’entendis cela debout près des balustres.
Soudain au flamboiement mystique des grands lustres,
Éclata l’harmonie étrange, au rythme bref,
Que la harpe brodait de sons en relief...
Musiques de la terre, ah! taisez vos voix rustres!...
Je ne veux plus pécher, je ne veux plus jouir,
Car la sainte m’a dit que pour encor l’ouïr,
Il me fallait vaquer à mon salut sur terre.
Et je veux retourner au prochain récital
Qu’elle me doit donner au pays planétaire,
Quand les anges m’auront sorti de l’hôpital.

Chapelle de la Morte

La chapelle ancienne est fermée,
Et je refoule à pas discrets
Les dalles sonnant les regrets
De toute une ère parfumée.
Et je t’évoque, ô bien-aimée!
Épris de mystiques attraits:
La chapelle assume les traits
De ton âme qu’elle a humée.
Ton corps fleurit dans l’autel seul,
Et la nef triste est le linceul
De gloire qui te vêt entière;
Et dans le vitrail, tes grands yeux
M’illuminent ce cimetière
De doux cierges mystérieux.

Chapelle dans les bois

Nous étions là deux enfants blêmes
Devant les grands autels à franges,
Où Sainte Marie et ses anges
Riaient parmi les chrysanthèmes.
Le soir poudrait dans la nef vide;
Et son rayon à flèche jaune,
Dans sa rigidité d’icône
Effleurait le grand Saint livide.
Nous étions là deux enfants tristes
Buvant la paix du sanctuaire,
Sous la veilleuse mortuaire
Aux vagues reflets d’améthystes.
Nos voix en extase à cette heure
Montaient en rogations blanches,
Comme un angélus des dimanches,
Dans le lointain, qui prie et pleure...
Puis nous partions... Je me rappelle!
Les bois dormaient au clair de lune,
Dans la nuit tiède où tintait une
Voix de la petite chapelle...

Chapelle ruinée

Et je retourne encor frileux, au jet des bruines,
Par les délabrements du parc d’octobre. Au bout
De l’allée où se voit ce grand Jésus debout,
Se massent des soupçons de chapelle en ruines.
Je refoule, parmi viornes, vipérines,
Rêveur, le sol d’antan où gîte le hibou;
L’Érable sous le vent se tord comme un bambou,
Et je sens se briser mon cœur dans ma poitrine.
Cloches des âges morts sonnant à timbres noirs
Et les tristesses d’or, les mornes désespoirs,
Portés par un parfum que le rêve rappelle,
Ah! comme, les genoux figés au vieux portail,
Je pleure ces débris de petite chapelle...
Au mur croulant, fleuri d’un reste de vitrail!

Petit Coin de cure

C’est qu’il a l’air pas mal, sous sa neuve soutane,
Ce cher petit abbé joufflu, rasé tout frais,
Pour qui les vins d’Espagne ont de si doux attraits...
Surtout quand le sommeil les suit sous le platane.
Midi sonne, l’azur dans un or chaud se tanne.
Messire l’abbé donc, ô scandaleux portraits!
S’est endormi tout rond, nez haut, songes abstraits,
Par l’exotique odeur des boudoirs de Sultane.
On vient de la cuisine...