- Doucement, je vais vous accompagner : vous me faites injure en me quittant ainsi.

ROM…O. - Bah ! je me suis perdu moi-même ; je ne suis plus ici ; ce n'est pas Roméo que tu vois, il est ailleurs.

BENVOLIO. - Dites-moi sérieusement qui vous aimez.

ROM…O. - Sérieusement? Roméo ne peut le dire qu'avec des sanglots.

BENVOLIO. - Avec des sanglots ? Non ! dites-le-moi sérieusement.

ROM…O. - Dis donc à un malade de faire sérieusement son testament ! Ah ! ta demande s'adresse mal à qui est si mal !

Sérieusement, cousin, j'aime une femme.

BENVOLIO. - En le devinant, j'avais touché juste.

ROM…O. - Excellent tireur !... j'ajoute qu'elle est d'une éclatante beauté.

BENVOLIO. - Plus le but est éclatant, beau cousin, plus il est facile à

atteindre.

ROM…O. - Ce trait-là frappe à côté ; car elle est hors d'atteinte des flèches de Cupidon : elle a le caractère de Diane ; armée d'une chasteté à

toute épreuve, elle vit à l'abri de l'arc enfantin de l'Amour ; elle ne se laisse pas assiéger en termes amoureux, elle se dérobe au choc des regards provocants et ferme son giron à l'or qui séduirait une sainte. Oh ! elle est riche en beauté, misérable seulement en ce que ses beaux trésors doivent mourir avec elle !

BENVOLIO. - Elle a donc juré de vivre toujours chaste ?

ROM…O. - Elle l'a juré, et cette réserve produit une perte immense. En affamant une telle beauté par ses rigueurs, elle en déshérite toute la postérité. Elle est trop belle, trop sage, trop sagement belle, car elle mérite le ciel en faisant mon désespoir. Elle a juré de n'aimer jamais, et ce serment me tue en me laissant vivre, puisque c'est un vivant qui te parle.

BENVOLIO. - Suis mon conseil : cesse de penser à elle.

ROM…O. - Oh ! apprends-moi comment je puis cesser de penser.