Son postillon est un petit moucheron vêtu de gris, pas à moitié si gros que le petit ver rond retiré avec la pointe d'une aiguille du doigt d'une jeune fille. Son chariot est une coquille de noisette vide travaillée par l'écureuil, ouvrier en bois, ou par le vieux ver, de temps immémorial associé des fées. C'est dans cet équipage qu'elle galope toutes les nuits au travers du cerveau des amants, et ils rêvent d'amour; sur les genoux des hommes de cour, et ils rêvent aussitôt de révérences; sur les doigts des gens de loi, et sur-le-champ ils rêvent d'épices; sur les lèvres des dames, et à l'instant elles rêvent de baisers: mais souvent Mab irritée les punit par des boutons d'avoir empesté leur haleine en mangeant des confitures24. Quelquefois elle galope sur le nez d'un courtisan, et il rêve qu'il flaire une place à solliciter. Quelquefois elle vient, avec la queue d'un pourceau de dîme, chatouiller le nez d'un prébendaire endormi, et il rêve d'un second bénéfice. Tantôt elle dirige son char sur le cou d'un soldat, et il rêve d'ennemis qu'il pourfend, de brèches, d'embuscades, de coutelas d'Espagne, de rasades profondes de cinq brasses: alors elle bat le tambour à son oreille; il s'éveille en sursaut, et dans sa frayeur il jure une ou deux invocations, puis se rendort. C'est cette même Mab qui pendant la nuit mêle la crinière des chevaux et la frise en sales tampons de crins ensorcelés, qui, une fois débrouillés, présagent de grands malheurs. C'est la sorcière qui pèse sur le sein des jeunes filles étendues dans leur lit, pour leur apprendre à supporter et en faire des femmes fortes25. C'est elle qui...
Note 23: (retour)
She is the fairies midwife, ce qui ne signifie point la sage-femme des fées, mais la sage-femme entre les fées. On ne voit nulle part que l'emploi de la reine Mab, la fée des songes, fût d'accoucher les fées; mais c'était elle qui enlevait à leur mère, au moment de leur naissance, les enfants nés pendant la nuit pour y substituer un enfant étranger.
Note 24: (retour)
Sweet meats, espèce de confitures parfumées, connues alors sous le nom de kissing comfits, et dont les femmes faisaient un grand usage
Note 25: (retour)
This is the hag, when maids lie on their backs,
That presses them, and learn them first to bear,
Making them women of good carriage.
La phrase était impossible à rendre exactement.
ROMÉO.—Paix, paix, Mercutio, paix; ce sont des riens que tu nous dis là.
MERCUTIO.—Tu as raison, car je parle de songes, enfants d'un cerveau oisif, produit de quelques vaines chimères, d'une substance aussi légère que l'air, et plus inconstante que le vent, qui, caressant le sein glacé du nord, s'irrite soudain, et, par une bouffée contraire, tourne sa face vers le midi qui verse la rosée.
BENVOLIO.—Ce vent dont vous nous parlez nous rejette loin de nous-mêmes. Le souper est fini et nous arriverons trop tard.
ROMÉO.—Trop tôt, au contraire, j'en ai peur. Un pressentiment funeste semble me dire qu'au milieu des réjouissances de cette nuit quelque événement encore suspendu dans les astres va commencer son cours terrible, et amener, par le traître coup d'une mort prématurée, le terme de cette vie méprisée que je renferme en mon sein. Mais, que celui qui gouverne ma course dirige ma voile! Allons, joyeux seigneurs.
BENVOLIO.—Battez, tambours.
(Ils sortent.)
SCÈNE V
Une salle de la maison de Capulet, garnie de musiciens.
Entrent des DOMESTIQUES.
PREMIER DOMESTIQUE.—Où est Potpan, qu'il ne m'aide pas à desservir? Lui, manier le tranchoir! jouer du tranchoir!
SECOND DOMESTIQUE.—Quand le bon air d'une maison est remis dans les mains d'un ou deux hommes, et des mains sales encore, cela fait mal au coeur26.
Note 26: (retour)
Tis a foul thing. A foul thing signifie une chose malpropre et une chose fâcheuse, coupable, etc.
PREMIER DOMESTIQUE.—Emporte les pliants, dérange le buffet, aie l'oeil à la vaisselle. Mon cher, mets de côté pour moi un morceau de massepain27; et si tu veux me faire plaisir, tu diras au portier de laisser entrer Suzanne Grindstone et Nell.—Antoine! Potpan!
Note 27: (retour)
Les massepains étaient alors d'énormes gâteaux, dont nos macarons, dit l'un des commentateurs de Shakspeare ne sont qu'un diminutif dégénéré.
SECOND DOMESTIQUE.—Oui, mon garçon, nous voilà.
PREMIER DOMESTIQUE.—On a besoin de vous, on vous appelle, on vous demande, on vous cherche dans la grande salle.
SECOND DOMESTIQUE.—Nous ne pouvons pas être ici et là en même temps. Allons, gai, mes amis; soyons vifs un moment, et que celui qui vivra le dernier emporte tout.
(Ils se retirent.)
(Entrent Capulet, les convives et les masques.)
CAPULET.—Cavaliers, soyez les bienvenus. Voilà des dames à qui les cors ne font pas mal au pied, et qui vous donneront bien un tour de danse.—Ah, ah! mesdames, laquelle de vous refusera de danser maintenant? Celle qui fera la dégoûtée, je protesterai qu'elle a des cors aux pieds. Est-ce là vous serrer de près?—Cavaliers, soyez les bienvenus. J'ai vu le temps où je portais un masque aussi, et où je pouvais conter mes histoires tout bas à l'oreille d'une belle dame, et de manière à ne pas lui déplaire. Ce temps est passé; il est passé, passé.—Vous êtes les bienvenus, cavaliers.—Allons, musiciens, commencez. En cercle, en cercle, faites place; et vous, jeunes filles, sautez. (Les instruments jouent et l'on danse.) Holà! valets, encore des lumières, relevez les tables contre le mur; éteignez le feu, la salle devient trop chaude.—Allons, mon cher, voilà un divertissement imprévu qui ne prend pas mal. Asseyez-vous, asseyez-vous, bon cousin Capulet; car vous et moi nous avons passé nos jours de danse. Combien y a-t-il de temps que vous et moi nous avons porté un masque pour la dernière fois?
SECOND CAPULET.—Par Notre-Dame, il y a trente ans.
CAPULET.—Comment donc, mon cher? il n'y a pas tant, il n'y a pas tant. C'était à la noce de Lucentio: il y aura, vienne la Pentecôte quand elle voudra, quelque vingt-cinq ans; nous y allâmes en masque.
SECOND CAPULET.—Il y a davantage, davantage: son fils est plus âgé que cela; son fils a trente ans.
CAPULET.—Vous me direz cela, à moi? Il y a deux ans que son fils était encore mineur.
ROMÉO.—Quelle est cette dame dont s'est enrichie la main de ce cavalier?
UN DOMESTIQUE.—Je ne la connais pas, monsieur.
ROMÉO.—Oh! c'est d'elle que la flamme de ces flambeaux doit apprendre à briller. Sa beauté près de ce visage semblable à la nuit ressemble à un joyau attaché à l'oreille d'un Éthiopien: beauté trop brillante pour les usages de la vie, trop précieuse pour la terre! Telle une blanche colombe parmi les corbeaux, telle paraît cette dame auprès de ses compagnes. Quand la danse aura cessé, j'observerai où elle se tient; et je rendrai heureuse ma main téméraire en touchant la sienne. Mon coeur a-t-il aimé jusqu'à ce moment? Protestez du contraire, mes yeux, car jusqu'à cette nuit je n'avais jamais vu la véritable beauté.
TYBALT.—A sa voix, cet homme doit être un Montaigu. Garçon, donne-moi ma rapière. Comment, ce misérable osera venir ici, caché sous un masque grotesque, pour dénigrer et ridiculiser notre fête! Par la tige et l'honneur de ma race, je ne crois pas pécher en lui donnant le coup de la mort.
CAPULET.—Qu'est-ce que c'est, mon neveu? Pourquoi tempêtez-vous ainsi?
TYBALT.—Mon oncle, cet homme est un Montaigu, notre ennemi; un traître qui est venu ici ce soir, en haine de nous, pour se moquer de notre fête.
CAPULET.—Est-ce le jeune Roméo?
TYBALT.—C'est lui-même, ce traître de Roméo.
CAPULET.—Modère-toi, mon cher neveu; laisse-le en paix, il a l'air d'un noble cavalier; et, pour dire la vérité, tout Vérone le vante comme un jeune homme vertueux et d'une conduite honorable.
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