Rouletabille n' y tint plus. Il se rappela d' un coup tout ce que cette héroÔque femme avait souffert dans ce combat atroce de chaque jour contre la mort qui rôde. Il prit en frémissant ses petites mains grasses aux doigts trop chargés de bagues :
-madame ! Ne pleurez plus ! On veut vous tuer votre mari. Eh bien, nous serons au moins deux à le défendre, je vous le jure ! ...
-même contre les nihilistes ?
-eh ! Madame, contre tout le monde ! ... j' ai mangé
tout votre caviar : je suis votre hôte ! ... je suis votre ami ! ...
disant cela, il était tout vibrant, tout sincère et si drôle que la générale ne put s' empêcher de sourire au milieu de ses larmes. Elle le fit se rasseoir tout près d' elle.
-le grand maître de la police m' a beaucoup parlé de vous. Et c' est venu tout d' un coup, par hasard, après le dernier attentat et une chose mystérieuse que je vous dirai. Il s' est écrié : " ah ! Il nous faudrait un Rouletabille pour débrouiller cela ! ... " le lendemain, il revenait ici. Il était allé à la cour.
Là-bas, on s' était, paraît-il, beaucoup occupé de vous.
L' empereur désirait vous connaître... voilà comment les choses se sont faites par l' entremise de l' ambassade, à Paris...
-oui, oui... et naturellement, tout le monde l' a su...
c' est gai ! ... les nihilistes m' ont averti aussitôt que je n' arriverais pas en Russie vivant. C' est, du reste, ce qui m' a décidé à y venir. Je suis d' un naturel très contrariant.
-et comment s' est passé le voyage ?
-mais, pas mal... merci ! ... j' ai déniché tout de suite, dans le train, le jeune slave qui était chargé de ma mort et je me suis entendu avec lui...
c' est un charmant garçon : ça s' est très bien arrangé.
Rouletabille mangeait maintenant des plats étranges auxquels il lui e˚t été difficile de donner un nom. Matrena Pétrovna lui posa sa grasse petite main sur le bras :
-vous parlez sérieusement ?
-très sérieusement.
-un petit verre de votka ?
-jamais d' alcool.
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