VIII
La vie humble aux travaux ennuyeux et faciles Est une oeuvre de choix qui veut beaucoup d'amour.
Rester gai quand le jour, triste, succède au jour, Etre fort, et s'user en circonstances viles, N'entendre, n'écouter aux bruits des grandes villes Que l'appel, à mon Dieu, des cloches dans la tour, Et faire un de ces bruits soi-même, cela pour L'accomplissement vil de tâches puériles, Dormir chez les pécheurs étant un pénitent, N'aimer que le silence et converser pourtant, Le temps si grand dans la patience si grande, Le scrupule naïf aux repentirs têtus,
Et tous ces soins autour de ces pauvres vertus !
- Fi, dit l'Ange Gardien, de l'orgueil qui marchande !
IX
Sagesse d'un Louis Racine, je t'envie !
O n'avoir pas suivi les leçons de Rollin, N'être pas né dans le grand siècle à son déclin, Quand le soleil couchant, si beau, dorait la vie, Quand Maintenon jetait sur la France ravie L'ombre douce et la paix de ses coiffes de lin, Et royale abritait la veuve et l'orphelin, Quand l'étude de la prière était suivie, Quand poète et docteur, simplement, bonnement, Communiaient avec des ferveurs de novices, Humbles servaient la Messe et chantaient aux offices Et, le printemps venu, prenaient un soin charmant D'aller dans les Auteuils cueillir lilas et roses En louant Dieu, comme Garo, de toutes choses !
X
Non. Il fut gallican, ce siècle, et janséniste !
C'est vers le Moyen Age énorme et délicat Qu'il faudrait que mon coeur en panne naviguât, Loin de nos jours d'esprit charnel et de chair triste.
Roi, politicien, moine, artisan, chimiste, Architecte, soldat, médecin, avocat,
Quel temps ! Oui, que mon coeur naufragé rembarquât Pour toute cette force ardente, souple, artiste !
Et là que j'eusse part - quelconque, chez les rois Ou bien ailleurs, n'importe, - à la chose vitale, Et que je fusse un saint, actes bons, pensers droits, Haute théologie et solide morale,
Guidé par la folie unique de la Croix
Sur tes ailes de pierre, à folle Cathédrale !
XI
Petits amis qui sûtes nous prouver
Par A plus B que deux et deux font quatre, Mais qui depuis voulez parachever
Une victoire où l'on se laissait battre, Et couronner vos conquêtes d'un coup
Par ce soufflet à la mémoire humaine :
« Dieu ne vous a révélé rien du tout,
Car nous disons qu'il n'est que l'ombre vaine, Que le profil et que l'allongement,
Sur tous les murs que la peur édifie,
De votre pur et simple mouvement,
Et nous dictons cette philosophie. »
- Frères trop chers, laissez-nous rire un peu, Nous les fervents d'une logique rance,
Qui justement n'avons de foi qu'en Dieu Et mettons notre espoir dans l'Espérance, Laissez-nous rire un peu, pleurer aussi, Pleurer sur vous, rire du vieux blasphème, Rire du vieux Satan stupide ainsi,
Pleurer sur cet Adam dupe quand même !
Frères de nous qui payons vos orgueils, Tous fils du même Amour, ah ! la science, Allons donc, allez donc, c'est nos cercueils Naïfs ou non, c'est notre méfiance
Ou notre confiance aux seuls Récits,
C'est notre oreille ouverte toute grande Ou tristement fermée au Mot précis !
Frères, lâchez la science gourmande
Qui veut voler sur les ceps défendus
Le fruit sanglant qu'il ne faut pas connaître.
Lâchez son bras qui vous tient attendus Pour des enfers que Dieu n'a pas fait naître, Mais qui sont l'oeuvre affreuse du péché, Car nous, les fils attentifs de l'Histoire, Nous tenons pour l'honneur jamais taché De la Tradition, supplice et gloire !
Nous sommes sûrs des Aïeux nous disant
Qu'ils ont vu Dieu sous telle ou telle forme, Et prédisant aux crimes d'à présent
La peine immense ou le pardon énorme.
Puisqu'ils avaient vu Dieu présent toujours, Puisqu'ils ne mentaient pas, puisque nos crimes Vont effrayants, puisque vos yeux sont courts, Et puisqu'il est des repentirs sublimes, Ils ont dit tout. Savoir le reste est bien, Que deux et deux fassent quatre, à merveille !
Riens innocents, mais des riens moins que rien, La dernière heure étant là qui surveille Tout autre soin dans l'homme en vérité !
Gardez que trop chercher ne vous séduise Loin d'une sage et forte humilité...
Le seul savant, c'est encore Moïse.
XII
Or, vous voici promus, petits amis,
Depuis les temps de ma lettre première, Promus, disais-je, aux fiers emplois promis A votre thèse, en ces jours de lumière.
Vous voici rois de France ! A votre tour !
(Rois à plusieurs d'une France postiche, Mais rois de fait et non sans quelque amour D'un trône lourd avec un budget riche.) A l'oeuvre, amis petits ! Nous avons droit De vous y voir, payant de notre poche,
Et d'être un peu réjouis à l'endroit
De votre état sans peur et sans reproche.
Sans peur ? Du maître. O le maître, mais c'est L'Ignorant-chiffre et le Suffrage-nombre, Total, le peuple, un « âne » fort « qui s'est Cabré » pour vous espoir clair, puis fait sombre, Cabré comme une chèvre, c'est le mot.
Et votre bras, saignant jusqu'à l'aisselle, S'efforce en vain : fort comme Béhémot
Le monstre tire... et votre peur est telle Quand l'âne brait, que le voilà parti
Qui par les dents vous boute cent ruades En forme de reproche bien senti...
Courez après, frottant vos reins malades !
O peuple, nous t'aimons immensément :
N'es-tu donc pas la pauvre âme ignorante En proie à tout ce qui sait et qui ment ?
N'es-tu donc pas l'immensité souffrante ?
La charité nous fait chercher tes maux, La foi nous guide à travers les ténèbres.
On t'a rendu semblable aux animaux,
Moins leur candeur, et plein d'instincts funèbres.
L'orgueil t'a pris en ce quatre-vingt-neuf, Nabuchodonosor, et te fait paître,
Ane obstiné, mouton buté, dur boeuf,
Broutant pouvoir, famille, soldat, prêtre !
O paysan cassé sur tes sillons,
Pâle ouvrier qu'esquinte la machine,
Membres sacrés de Jésus-Christ, allons, Relevez-vous, honorez votre échine,
Portez l'amour qu'il faut à vos bras forts, Vos pieds vaillants sont les plus beaux du monde, Respectez-les, fuyez ces chemins tors,
Fermez l'oreille à ce conseil immonde,
Redevenez les Français d'autrefois,
Fils de l'Eglise, et dignes de vos pères !
O s'ils savaient ceux-ci sur vos pavois, Leurs os sueraient de honte aux cimetières.
- Vous, nos tyrans minuscules d'un jour, (L'énormité des actes rend les princes
Surtout de souche impure, et malgré cour Et splendeur et le faste, encor plus minces), Laissez le règne et rentrez dans le rang.
Aussi bien l'heure est proche où la tourmente Vous va donner des loisirs, et tout blanc L'avenir flotte avec sa Fleur charmante Sur la Bastille absurde où vous teniez
La France aux fers d'un blasphème et d'un schisme, Et la chronique en de cléments Téniers
Déjà vous peint allant au catéchisme.
XIII
Prince mort en soldat à cause de la France, Ame certes élue,
Fier jeune homme si pur tombé plein d'espérance, Je t'aime et te salue !
Ce monde est si mauvais, notre pauvre patrie Va sous tant de ténèbres,
Vaisseau désemparé dont l'équipage crie Avec des voix funèbres,
Ce siècle est un tel ciel tragique où les naufrages Semblent écrits d'avance...
Ma jeunesse, élevée aux doctrines sauvages, Détesta ton enfance,
Et plus tard, coeur pirate épris des seules côtes Où la révolte naisse,
Mon âge d'homme, noir d'orages et de fautes, Abhorrait ta jeunesse.
Maintenant j'aime Dieu dont l'amour et la foudre M'ont fait une âme neuve,
Et maintenant que mon orgueil réduit en poudre, Humble, accepte l'épreuve,
J'admire ton destin, j'adore, tout en larmes Pour les pleurs de ta mère,
Dieu qui te fit mourir, beau prince, sous les armes, Comme un héros d'Homère.
Et je dis, réservant d'ailleurs mon voeu suprême Au lys de Louis Seize :
Napoléon qui fus digne du diadème,
Gloire à ta mort française !
Et priez bien pour nous, pour cette France ancienne, Aujourd'hui vraiment « Sire »,
Dieu qui vous couronna, sur la terre païenne, Bon chrétien, du martyre !
XIV
Vous reviendrez bientôt, les bras pleins de pardons Selon votre coutume,
O Pères excellents qu'aujourd'hui nous perdons Pour comble d'amertume.
Vous reviendrez, vieillards exquis, avec l'honneur, Et sa règle chérie,
Et que de pleurs joyeux, et quels cris de bonheur Dans toute la patrie !
Vous reviendrez, après ces glorieux exils, Après des moissons d'âmes,
Après avoir prié pour ceux-ci, fussent-ils Encore plus infâmes,
Après avoir couvert les îles et la mer
De votre ombre si douce
Et réjoui le ciel et consterné l'enfer, Béni qui vous repousse,
Béni qui vous dépouille au cri de liberté, Béni l'impie en armes,
Et l'enfant qu'il vous prend des bras, - et racheté Nos crimes par vos larmes !
Proscrits des jours, vainqueurs des temps, non point adieu, Vous êtes l'espérance.
A tantôt, Pères saints, qui nous vaudrez de Dieu Le salut pour la France !
XV
On n'offense que Dieu qui seul pardonne.
On contriste son frère, on l'afflige, on le blesse, On fait gronder sa haine ou pleurer sa faiblesse, Et c'est un crime affreux qui va troubler la paix Des simples, et donner au monde sa pâture, Scandale, coeurs perdus, gros mots et rire épais, Mais
Le plus souvent par un effet de la nature Des choses, ce péché trouve son châtiment Même ici-bas, féroce et long, communément.
Mais l'Amour tout-puissant donne à la créature Le sens de son malheur, qui mène au repentir Par une route lente et haute, mais très sûre.
Alors un grand désir, un seul, vient investir Le pénitent, après les premières alarmes, Et c'est d'humilier son front devant les larmes De naguère, sans rien qui pourrait amortir Le coup droit pour l'orgueil, et de rendre les armes Comme un soldat vaincu, - triste, de bonne foi.
O ma soeur, qui m'avez puni, pardonnez-moi !
XVI
Ecoutez la chanson bien douce
Qui ne pleure que pour vous plaire.
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