Laissez-moi tâter votre cheville. C’est bien, elle est bien remise. Le jeu de vos tendons est un tout petit peu atteint, c’est à peine perceptible. Eh bien, maintenant, que j’explique pourquoi je suis là. Je vous ai parlé dans ma lettre des deux grandes familles que j’espérais vous garantir, les Antillais et le pensionnat. »

Là-dessus, Mr. Parker rapprocha encore sa chaise de sa sœur et lui prit de nouveau la main avec une immense affection en répondant :

« Oui, oui, comme vous avez été active et bonne !

— Les Antillais, continua-t-elle, qui me paraissent les plus souhaitables des deux, comme les meilleurs parmi les meilleurs, s’avèrent être une Mrs. Griffiths et sa famille. Je ne les connais que par ouï-dire. Vous avez dû m’entendre parler de Miss Capper, la grande amie de ma très grande amie Fanny Noyce. Eh bien, Miss Capper est très intime avec une certaine Mrs. Darling, qui est en correspondance permanente avec cette Mrs. Griffiths. Ce n’est qu’une petite chaîne, vous voyez, entre nous, et il n’y manque pas un maillon. Mrs. Griffiths voulait aller au bord de la mer dans l’intérêt de ses enfants, elle avait opté pour la côte du Sussex mais n’avait pas encore choisi l’endroit précis ; elle voulait quelque chose de discret et a écrit à son amie Mrs. Darling pour lui demander son opinion. Miss Capper se trouvait justement chez Mrs. Darling lorsque la lettre de Mrs. Griffiths est arrivée et elle fut consultée sur la question. Le jour même, elle a écrit à Fanny Noyce et lui en a parlé ; et Fanny, qui nous est toute dévouée, a aussitôt pris la plume pour m’informer de cette circonstance, sans mentionner les noms, qui n’ont été dévoilés que depuis peu. Il n’y avait pour moi qu’une chose à faire. J’ai répondu à la lettre de Fanny par le même courrier et j’ai insisté pour qu’elle recommande Sanditon. Fanny craignait que vous n’ayez pas de maison assez grande pour recevoir une telle famille. Mais j’ai l’impression de rallonger mon histoire indéfiniment. Vous voyez comment toute l’affaire fut menée. J’ai eu la joie d’entendre peu après par la même liaison si simple que Sanditon avait bel et bien été recommandé par Mrs. Darling et que les Antillais étaient fort disposés à s’y rendre. Voilà où nous en étions lorsque je vous ai écrit. Mais il y a deux jours, oui, avant-hier, Fanny Noyce m’a de nouveau écrit pour me dire que Miss Capper lui avait appris que, d’après une lettre de Mrs. Darling, Mrs. Griffiths s’était montrée, dans une lettre à Mrs. Darling, plus hésitante à propos de Sanditon. Suis-je bien claire ? Je m’en voudrais de ne pas l’être : tout, mais pas ça !

— Oh, parfaitement, parfaitement. Eh bien ?

— La raison de cette hésitation est qu’elle ne connaît personne ici et qu’elle n’a aucun moyen de s’assurer d’un bon logement en arrivant ; elle est particulièrement soigneuse et scrupuleuse sur ce point, à cause d’une certaine Miss Lambe, une jeune demoiselle, probablement une nièce, qui est sous sa responsabilité, plutôt que pour ses filles. Miss Lambe a une immense fortune, elle est plus riche que tous les autres, et d’une santé très fragile. On voit très clairement par tout cela quel genre de femme doit être Mrs. Griffiths : aussi désemparée et indolente qu’on peut l’être sous l’action combinée de la richesse et de la chaleur du climat. Mais nous ne naissons pas tous avec la même énergie. Que fallait-il faire ? J’ai eu quelques instants d’hésitation, devais-je vous écrire à vous-même ou à Mrs. Whitby pour leur retenir une maison, mais aucune de ces solutions ne me plaisait. J’ai horreur d’employer les autres quand je peux agir moi-même, et ma conscience me disait que c’était une occasion où j’étais la personne requise. Voilà une famille de malheureux invalides à qui je pouvais rendre un service essentiel. J’ai consulté Susan. La même pensée lui était venue. Arthur n’a fait aucune difficulté. Notre projet fut aussitôt arrangé, nous sommes partis hier matin à six heures, nous avons quitté Chichester à la même heure aujourd’hui, et nous voici.

— Excellent ! Excellent ! s’écria Mr. Parker.