À coup sûr, si l’on empruntait souvent ce chemin en chaise de poste, le calcul pourrait être habile,
pour un chirurgien, de s’installer au sommet de la colline. Mais quant à cette chaumière, monsieur, je peux vous assurer que,
malgré son air pimpant à cette distance, c’est un logement aussi médiocre que n’importe quel autre dans la paroisse ; une moitié en est occupée par mon berger, et l’autre
par trois vieilles femmes. »
Tout en parlant, il prit les coupures de journaux et ajouta, après les avoir considérées :
« Je crois avoir une explication, monsieur. Votre erreur porte bien sur le lieu. Il existe deux Willingden dans cette région,
et vos annonces se rapportent sans doute à l’autre, Great Willingden ou Willingden Abbots, à sept miles de l’autre côté de
Battle. Bien plus bas dans le Weald. Et nous, monsieur, précisa-t-il non sans fierté, nous ne sommes pas dans le Weald.
— Vous n’êtes pas en bas du Weald, j’en suis sûr, répliqua le voyageur d’un ton plaisant. Il nous a fallu une demi-heure pour gravir votre colline.
Eh bien, je suppose que vous avez raison et que j’ai commis une bévue effroyablement stupide. Il a suffi d’un instant. Ces
annonces n’ont attiré mon regard que lors de notre dernière demi-heure à Londres, dans la hâte et la confusion qui accompagnent
toujours un bref séjour en ville. Vous le savez, on ne règle jamais aucune affaire tant que la voiture n’est pas à la porte.
Je me suis donc contenté d’un bref examen et en voyant que nous allions passer à quelques miles d’un Willingden, je n’ai pas
cherché plus loin… Mon amie (il s’adressait à sa femme), je suis fâché de vous avoir entraînée dans ce mauvais pas, mais cessez
de vous inquiéter pour ma jambe. Je n’y sens aucune douleur quand je suis immobile. Dès que ces braves gens seront parvenus
à remettre la voiture d’aplomb et les chevaux en place, le mieux que nous puissions faire sera de revenir en arrière jusqu’à
la grand-route et de nous diriger vers Hailsham, et de là, vers notre maison sans risquer davantage. De Hailsham, deux heures
suffiront et, une fois chez nous, nous aurons le remède à notre portée, vous le savez. Un peu de notre air marin si vivifiant me remettra
bientôt sur pied. Croyez-m’en, mon amie, la mer est exactement ce qu’il me faut. L’air salin et la baignade feront merveille.
Mes impressions me le disent déjà. »
D’une façon tout à fait cordiale, Mr. Heywood s’opposa à ce projet, priant les voyageurs de n’y pas songer tant que la cheville
n’aurait pas été examinée et tant qu’ils ne se seraient pas reposés, et il insista fort généreusement pour que sa maison fût
utilisée à cette double fin.
« Nous disposons toujours en abondance des remèdes ordinaires pour les entorses et les contusions. Et je réponds du plaisir
que ma femme et mes filles prendront à vous rendre service autant qu’il sera en leur pouvoir. »
Les quelques élancements dont le voyageur souffrit lorsqu’il tenta de déplacer son pied lui firent voir d’un autre œil les
avantages d’un secours immédiat. Il consulta son épouse en quelques mots : « Eh bien, mon amie, je crois que cela vaudra mieux
pour nous », et il se tourna de nouveau vers Mr. Heywood.
« Avant d’accepter votre hospitalité, monsieur, et afin de dissiper toute impression défavorable qu’aurait pu engendrer cette
expédition fantasque où vous me voyez, permettez-moi de vous dire qui nous sommes. Je me nomme Parker, Mr. Parker, de Sanditon,
et cette dame est mon épouse, Mrs. Parker. Nous revenons de Londres. Peut-être mon nom est-il inconnu à cette distance de
la côte, bien que je ne sois nullement le premier de ma famille à posséder des terres dans la paroisse de Sanditon. Mais Sanditon
même… tout le monde a entendu parler de Sanditon. Pour une station balnéaire à ses débuts, c’est certainement la favorite de toutes celles que l’on trouve sur la côte du Sussex :
elle a les faveurs de la nature et du côté des hommes elle peut se promettre de beaux succès.
— Oui, j’ai entendu parler de Sanditon, rétorqua Mr. Heywood. Tous les cinq ans, on parle d’un nouvel endroit apparu au bord
de la mer et qui devient à la mode. Je m’étonne que la moitié de ces villes puissent se remplir de visiteurs ! Où trouve-t-on
les gens qui ont le temps et l’argent nécessaires ? Ce n’est pas une bonne chose pour un pays : le prix des victuailles monte
et les pauvres deviennent des bons à rien, comme vous devez vous en rendre compte, monsieur.
— Pas du tout, monsieur, pas du tout, s’écria vivement Mr. Parker. Au contraire, je vous assure. C’est une idée répandue mais
fausse. Peut-être vaut-elle pour de grandes, de trop grandes villes comme Brighton, Worthing ou Eastbourne, mais certes pas
pour un petit village comme Sanditon, que sa taille protège des maux de la civilisation ; l’industrie des pauvres en est stimulée,
le confort et les progrès de toutes sortes se diffusent parmi eux grâce au développement de l’endroit, grâce aux bâtiments,
aux pépinières, à la demande générale et au concours assuré de la meilleure société, des familles sérieuses, stables, discrètes,
parfaitement respectables et honnêtes, qui sont partout une bénédiction. Non, monsieur, je vous assure, Sanditon n’est pas
une ville où…
— Je ne m’en prends à aucune de ces villes en particulier, répondit Mr. Heywood. Je pense seulement qu’elles sont trop nombreuses
sur notre côte.
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