Malgré l’éloquence de quelques regards mutuels, il fut étonné de la réserve dans laquelle la Zambinella se tint avec lui. Elle avait bien commencé la première à lui presser le pied et à l’agacer avec la malice d’une femme libre et amoureuse ; mais soudain elle s’était enveloppée dans une modestie de jeune fille, après avoir entendu raconter par Sarrasine un trait qui peignit l’excessive violence de son caractère. Quand le souper devint une orgie, les convives se mirent à chanter, inspirés par le peralta et le pedro ximenès. Ce furent des duos ravissants, des airs de la Calabre, des seguidilles espagnoles, des canzonettes napolitaines. L’ivresse était dans tous les yeux, dans la musique, dans les cœurs et dans les voix. Il déborda tout à coup une vivacité enchanteresse, un abandon cordial, une bonhomie italienne dont rien ne peut donner l’idée à ceux qui ne connaissent que les assemblées de Paris, les raouts de Londres ou les cercles de Vienne. Les plaisanteries et les mots d’amour se croisaient, comme des balles dans une bataille, à travers les rires, les impiétés, les invocations à la sainte Vierge ou al Bambino. L’un se coucha sur un sofa, et se mit à dormir. Une jeune fille écoutait une déclaration sans savoir qu’elle répandait du xérès sur la nappe. Au milieu de ce désordre, la Zambinella, comme frappée de terreur, resta pensive. Elle refusa de boire, mangea peut-être un peu trop ; mais la gourmandise est, dit-on, une grâce chez les femmes. En admirant la pudeur de sa maîtresse, Sarrasine fit de sérieuses réflexions pour l’avenir. — Elle veut sans doute être épousée, se dit-il. Alors il s’abandonna aux délices de ce mariage. Sa vie entière ne lui semblait pas assez longue pour épuiser la source de bonheur qu’il trouvait au fond de son âme. Vitagliani, son voisin, lui versa si souvent à boire que, vers les trois heures du matin, sans être complétement ivre, Sarrasine se trouva sans force contre son délire. Dans un moment de fougue, il emporta cette femme en se sauvant dans une espèce de boudoir qui communiquait au salon, et sur la porte duquel il avait plus d’une fois tourné les yeux. L’Italienne était armée d’un poignard. — Si tu approches, dit-elle, je serai forcée de te plonger cette arme dans le cœur. Va ! tu me mépriserais. J’ai conçu trop de respect pour ton caractère pour me livrer ainsi. Je ne veux pas déchoir du sentiment que tu m’accordes. — Ah ! ah ! dit Sarrasine, c’est un mauvais moyen pour éteindre une passion que de l’exciter. Es-tu donc déjà corrompue à ce point que, vieille de cœur, tu agirais comme une jeune courtisane, qui aiguise les émotions dont elle fait commerce ? — Mais c’est aujourd’hui vendredi, répondit-elle effrayée de la violence du Français. Sarrasine, qui n’était pas dévot, se prit à rire. La Zambinella bondit comme un jeune chevreuil et s’élança dans la salle du festin. Quand Sarrasine y apparut courant après elle, il fut accueilli par un rire infernal. Il vit la Zambinella évanouie sur un sofa. Elle était pâle et comme épuisée par l’effort extraordinaire qu’elle venait de faire. Quoique Sarrasine sût peu d’italien, il entendit sa maîtresse disant à voix basse à Vitagliani : — Mais il me tuera ! Cette scène étrange rendit le sculpteur tout confus.
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