Comme papa et maman dorment, j’ai l’impression d’être seule au monde.
Ça me fait un peu peur, mais je ressens en même temps une grande joie. C’est drôle. Quand j’entends remuer dans la chambre des parents, je suis triste, la fête est finie. Et puis je vois dans le jardin un tas de choses nouvelles pour moi. Le jardin de papa est si soigné et peigné qu’on croirait qu’il ne peut rien s’y passer.
Pourtant on en voit des choses quand papa dort ! Juste avant que le soleil se lève, il y a un grand remue-ménage dans le jardin. C’est l’heure où les animaux de nuit se couchent, où les animaux de jour se lèvent. Mais justement, il y a un moment où ils sont tous là. Ils se croisent, parfois ils se cognent parce que c’est à la fois la nuit et le jour.
La chouette se dépêche de rentrer avant que le soleil ne l’éblouisse, et elle frôle le merle qui sort des lilas. Le hérisson se roule en boule au creux des bruyères au moment où l’écureuil passe la tête par le trou du vieux chêne pour voir le temps qu’il fait.
Dimanche Il n’y a plus de doute maintenant : Kamicha est tout à fait sauvage. Quand je les ai vus, Claude et lui, ce matin sur la pelouse, je suis sortie et je me suis dirigée vers eux. Claude m’a fait fête. Elle est venue se frotter à mes jambes en ronronnant. Mais Kamicha avait disparu d’un bond dans les groseilliers. C’est curieux tout de même ! Il voit bien que sa maman n’a pas peur de moi. Alors pourquoi se sauve-t-il ? Et sa maman, pourquoi ne fait-elle rien pour le retenir ? Elle pourrait lui expliquer que je suis une amie. Non. On dirait qu’elle a complètement oublié Kamicha dès que je suis là. Elle a vraiment deux vies qui ne se touchent pas, sa vie de l’autre côté du mur et sa vie avec nous dans le jardin de papa et la maison de maman.
Mercredi J’ai voulu apprivoiser Kamicha. J’ai placé une assiette de lait au milieu de l’allée, et je suis rentrée dans la maison où j’ai observé par une fenêtre ce qui allait se passer.
Claude est arrivée la première, bien entendu. Elle s’est posée devant l’assiette, les pattes de devant bien sagement serrées l’une contre l’autre, et elle a commencé à laper. Au bout d’une minute, j’ai vu l’œil au beurre blanc de Kamicha apparaître entre deux touffes d’herbe. Il observait sa mère en ayant l’air de se demander ce qu’elle pouvait bien faire. Puis il s’est avancé, mais tout aplati par terre, et il a rampé lentement, lentement, vers Claude. Dépêche-toi, petit Kamicha, sinon quand tu arriveras l’assiette sera vide ! Enfin, il y est. Mais non, pas encore ! Le voilà qui tourne autour de l’assiette, toujours en rampant. Comme il est farouche ! Un vrai chat sauvage. Il tend le cou vers l’assiette, un cou long, long, un vrai cou de girafe, tout ça pour rester le plus loin possible de l’assiette. Il tend le cou, il baisse le nez, et brusquement il éternue. Il vient de toucher le lait avec son nez. Il ne s’y attendait pas.
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