Arlequin s’efforce de lui mettre couleurs en tête. Il y réussit un peu d’ailleurs. C’est depuis cette rencontre fameuse de Pouldreuzic qu’on voit le marché de blanc envahi par des serviettes mauves, des taies d’oreiller bleues, des nappes vertes et des draps roses.

Après avoir étendu son linge au soleil, Colombine revient à la blanchisserie. Arlequin qui porte la corbeille vide lui propose de repeindre la façade de sa maison. Colombine accepte. Aussitôt Arlequin se met au travail. Il démonte sa roulotte, et, avec les pièces et les morceaux, il édifie un échafaudage sur le devant de la blanchisserie. C’est comme si la roulotte démontée prenait possession de la maison de Colombine. Arlequin se juche prestement sur son échafaudage. Avec son collant multicolore et sa crête de cheveux rouges, il ressemble à un oiseau exotique sur son perchoir. Et comme pour accentuer la ressemblance, il chante et il siffle avec entrain. De temps en temps, la tête de Colombine sort d’une fenêtre, et ils échangent des plaisanteries, des sourires et des chansons.

 

Très vite le travail d’Arlequin prend figure. La façade blanche de la maison disparaît sous une palette multicolore. Il y a là toutes les couleurs de l’arc-en-ciel plus quelques autres, mais ni noir, ni blanc, ni gris. Mais il y a surtout deux inventions d’Arlequin qui prouveraient, s’il en était besoin, qu’il est vraiment le plus entreprenant et le plus effronté de tous les peintres en bâtiment. D’abord il a figuré sur le mur une Colombine grandeur nature portant sur sa tête sa corbeille de linge. Mais ce n’est pas tout. Cette Colombine, au lieu de la représenter dans ses vêtements blancs habituels, Arlequin lui a fait une robe de petits losanges multicolores, tout pareils à ceux de son propre collant. Et il y a encore autre chose. Certes il a repeint en lettres noires sur fond blanc le mot BLANCHISSERIE, mais il a ajouté à la suite en lettres de toutes les couleurs : TEINTURERIE ! Il a travaillé si vite que tout est terminé quand le soleil se couche, bien que la peinture soit encore loin d’être sèche.

 

Le soleil se couche et Pierrot se lève. On voit le soupirail de la boulangerie s’allumer et rougeoyer de chauds reflets. Une lune énorme flotte comme un ballon laiteux dans le ciel phosphorescent. Bientôt Pierrot sort de son fournil. Il ne voit d’abord que la lune. Il en est tout rempli de bonheur. Il court vers elle avec de grands gestes d’adoration. Il lui sourit, et la lune lui rend son sourire. En vérité ils sont comme frère et sœur, avec leur visage rond et leurs vêtements vaporeux. Mais à force de danser et de tourner, Pierrot se prend les pieds dans les pots de peinture qui jonchent le sol. Il se heurte à l’échafaudage dressé sur la maison de Colombine.