Alors écoutez-moi ; et il reprit son discours. Bernenstein lui adressait de temps en temps un signe d’intelligence.
« Vous le trouverez à la grille et vous l’amènerez ici tout droit. Il ne doit pas aller ailleurs, vous me comprenez ?
– Parfaitement, colonel, répliqua Bernenstein en souriant.
– Le Roi sera dans cette pièce… le Roi… vous savez qui est le Roi ?
– Parfaitement, colonel.
– Et quand l’entrevue sera terminée et que nous irons déjeuner…
– Oui, colonel, je sais qui sera le Roi alors.
– Bien. Mais nous ne lui ferons aucun mal à moins que…
– Ce ne soit nécessaire.
– Précisément. »
Sapt se détourna en poussant un léger soupir. Bernenstein était un élève fort intelligent, mais toutes ces explications avaient épuisé le colonel. Il frappa doucement à la porte. La voix de la Reine le pria d’entrer. De nouveau, Bernenstein se trouva seul dans le corridor, réfléchissant à tout ce qu’il venait d’entendre et au rôle qu’il aurait à jouer. Il releva la tête fièrement et non sans cause. Le service demandé paraissait si important et l’honneur si grand, qu’il aurait volontiers donné sa vie pour faire ce qu’on attendait de lui. Ce serait une mort plus belle que celle de ses rêves de soldat.
À une heure, Sapt sortit.
« Allez vous coucher jusqu’à six heures, dit-il à Bernenstein.
– Je n’ai pas envie de dormir.
– Non, mais vous en aurez envie à huit heures, si vous ne dormez pas maintenant.
– La Reine va-t-elle sortir, colonel ?
– Dans une minute, lieutenant.
– Je serais heureux de lui baiser la main.
– S’il vous convient d’attendre un quart d’heure ? répliqua Sapt avec un sourire.
– Vous aviez dit une minute, monsieur. Et la Reine aussi, » répondit le connétable.
Néanmoins, le quart d’heure s’écoula avant que Rodolphe ouvrît la porte et que la Reine parût sur le seuil. Elle était très pâle et l’on voyait qu’elle avait pleuré, mais il y avait du bonheur dans ses yeux et son maintien était ferme. Aussitôt qu’il l’aperçut, Bernenstein ploya le genou, prit sa main et la porta à ses lèvres.
« Jusqu’à la mort, Madame, dit-il d’une voix tremblante.
– Je le savais, monsieur, » répondit-elle gracieusement. Puis les regardant tous trois : « Messieurs, reprit-elle, mes serviteurs et chers amis, sur vous et sur Fritz, blessé à Wintenberg, reposent mon honneur et ma vie, car je ne vivrai pas si ma lettre arrive jusqu’au Roi.
– Le Roi ne la verra pas, Madame, » répondit le colonel Sapt.
Il lui prit la main et la caressa avec une gaucherie douce. Elle la tendit de nouveau au jeune Bernenstein en signe de faveur. Alors, tous deux saluèrent militairement, et elle passa, suivie de Rodolphe qui l’accompagna jusqu’au bout du corridor. Là, ils s’arrêtèrent un instant. Les autres se détournèrent et ne la virent pas saisir la main de Rassendyll et la couvrir de baisers. Il essaya de la retirer, car il ne jugeait pas convenable qu’elle lui baisât la main, mais il semblait qu’elle ne pût s’en détacher. Enfin, les yeux toujours fixés sur ceux de Rodolphe, elle rentra chez elle à reculons et il ferma la porte derrière elle.
« Maintenant, aux affaires sérieuses, » dit Sapt, et Rodolphe sourit. Il rentra chez le colonel, qui se rendit chez le Roi pour demander au médecin de service si Sa Majesté dormait bien. Rassuré sur ce point, il passa chez le serviteur de la chambre et, sans égard pour son sommeil, commanda le déjeuner de Sa Majesté et du comte de Luzau-Rischenheim pour neuf heures précises, dans la pièce qui donne sur l’avenue conduisant à l’entrée du nouveau château. Cela fait, il retourna dans la chambre où était Rodolphe, porta une chaise dans le corridor, s’y assit le revolver à la main et s’endormit. Le jeune Bernenstein, subitement indisposé, s’était couché et le connétable le remplaçait. Telle serait la légende, s’il en était besoin. Ainsi s’écoulèrent les heures de deux à six, ce matin-là, au château de Zenda. À six heures, le connétable s’éveilla et frappa à la porte. Rodolphe Rassendyll l’ouvrit.
« Bien dormi ? demanda Sapt.
– Pas une seconde, répliqua Rodolphe gaiement.
– Je vous aurais cru plus énergique.
– Ce n’est pas le manque d’énergie qui m’a tenu éveillé, » répondit Rodolphe.
Sapt haussa les épaules d’un air de pitié et regarda autour de lui. Les rideaux de la fenêtre étaient à moitié tirés, la table rapprochée du mur et le fauteuil placé dans l’ombre, tout près des rideaux.
« Il y a amplement de la place pour vous derrière, dit Rodolphe, et quand Rischenheim sera assis en face de moi, vous pourrez mettre le canon de votre pistolet près de sa tête, rien qu’en étendant la main.
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