Je ne voulais pas mouiller mes vêtements et je les ai portés en un paquet. Tenez-moi ferme, ça glisse.

– Au nom du Ciel ! Qu’est-ce qui vous amène ici ? demanda Sapt tout bas, en le tenant par le bras.

– Le service de la Reine. Quand Rischenheim doit-il venir ?

– Demain matin, à huit heures.

– Diable ! c’est plus tôt que je ne pensais. Et le Roi ?

– Est ici et bien décidé à le voir. Impossible de le faire changer d’idée. »

Il y eut un moment de silence. Rassendyll passait sa chemise.

« Donnez-moi la jaquette et le gilet, dit-il. Je me sens diablement humide là-dessous.

– Vous vous sécherez bien vite, grogna Sapt. Le mouvement ne vous manquera pas.

– J’ai perdu mon chapeau.

– Il me semble que vous avez perdu la tête aussi.

– Vous me retrouverez l’un et l’autre, n’est-ce pas, Sapt ?

– En tout cas, je voudrais bien vous trouver une tête mieux équilibrée que la vôtre, gronda le connétable.

– Mes bottes, maintenant, et je suis prêt. » Il ajouta vivement : « Le Roi a-t-il vu Rischenheim, ou reçu de ses nouvelles ?

– Ni l’un ni l’autre, si ce n’est par mon entremise.

– Alors, pourquoi désire-t-il tant le voir ?

– Pour découvrir le secret de donner aux chiens un poil soyeux.

– Êtes-vous sérieux ? Je ne peux pas voir si vous plaisantez.

– Absolument sérieux.

– Tout va bien alors. Porte-t-il sa barbe, maintenant ?

– Oui.

– Le diable l’emporte ! Ne pouvez-vous me conduire quelque part pour causer ?

– Mais enfin, pourquoi êtes-vous ici ?

– Pour rencontrez Rischenheim.

– Pour rencontrer…

– Oui, Sapt. Il a une copie de la lettre de la Reine. »

Sapt tourmenta sa moustache.

« J’ai toujours dit que cela arriverait, » dit-il d’un ton satisfait.

Il était inutile de le dire, mais il eût été plus qu’humain s’il ne l’avait pas pensé.

« Où pouvez-vous me conduire ? demanda Rodolphe avec impatience.

– Dans toute chambre ayant une porte et une serrure, répliqua le vieux Sapt. Je commande ici et quand je dis : on n’entre pas… on reste dehors, voilà tout.

– Pas le Roi.

– Le Roi est couché. Venez. » Et le connétable mit le pied sur la plus basse marche.

« Y a-t-il encore ici quelqu’un debout ? demanda Rodolphe en lui prenant le bras.

– Bernenstein ; mais il nous tournera le dos.

– Votre discipline est toujours bonne, colonel ?

– Assez bonne par le temps qui court, Majesté, » grogna Sapt, comme il atteignait le niveau du pont.

Ils le traversèrent, et entrèrent au château. Il n’y avait dans le corridor que Bernenstein dont le large dos défendait l’entrée des appartements royaux.

« Entrez là, murmura Sapt, en désignant la porte de la chambre d’où il était sorti.

– Parfait, » dit Rodolphe.

La main de Bernenstein se crispa, mais il ne détourna pas les yeux. La discipline régnait au château de Zenda.

Mais juste au moment où Sapt mettait le pied sur le seuil, la porte que gardait Bernenstein s’ouvrit vivement, quoique sans bruit. Aussitôt, l’épée de Bernenstein fut levée. Un juron étouffé de Sapt, un sursaut de Rodolphe, l’épée de Bernenstein retomba. À la porte paraissait la reine Flavie tout en blanc. Son visage devint aussi pâle que sa robe, car son regard était tombé sur Rassendyll. Tous quatre restèrent un instant immobiles, puis Rodolphe, près de Sapt, repoussa le robuste Bernenstein (qui n’avait toujours pas tourné la tête) et, tombant à genoux, il prit la main de la Reine et la baisa. Bernenstein pouvait voir maintenant sans tourner la tête, et si la surprise tuait, il fût mort sur le coup. Les lèvres entr’ouvertes, il chancela et dut s’appuyer au mur, car le Roi était couché et portait sa barbe, et pourtant le Roi était là, le visage rasé, tout habillé et baisait la main de la Reine qui le contemplait avec un mélange de stupéfaction, de crainte et de joie. Un soldat doit être prêt à tout, mais en vérité, l’ahurissement du jeune Bernenstein avait droit à l’indulgence.

Par le fait, il n’y avait rien d’étrange à ce que la Reine désirât voir le vieux Sapt ce soir-là et eût deviné où elle le trouverait probablement, car elle lui avait demandé trois fois s’il avait reçu des nouvelles de Wintenberg et trois fois il lui avait répondu évasivement.

Prompte à prévenir le mal et ayant conscience du défi jeté au hasard par sa lettre, elle avait résolu de savoir si vraiment il y avait des raisons de s’alarmer et avait quitté ses appartements pour venir trouver le connétable. Ce qui la remplissait à la fois d’une terreur et d’une joie presque intolérables, c’était l’apparition de Rodolphe en chair et en os, et non plus en de tristes rêves pleins de désirs déçus ; c’était de sentir ses lèvres sur sa main.

Les amoureux ne se soucient ni du temps, ni du danger, mais Sapt n’oubliait ni l’un ni l’autre et, sans tarder, il leur montra d’un geste impérieux la porte de sa chambre. La Reine obéit et Rodolphe la suivit.

« Ne laissez entrer personne et pas un mot à qui que ce soit, » dit tout bas Sapt à Bernenstein qui resta dehors. Le jeune homme encore assez effaré, sut néanmoins comprendre l’expression des yeux du connétable et y lire qu’il devait sacrifier sa vie plutôt que de laisser ouvrir cette porte ; donc, l’épée haute, il se mit en sentinelle.

Il était onze heures lors de l’arrivée de la Reine. Minuit sonnait à la grosse horloge du château, lorsque Sapt reparut. Il n’avait pas tiré son épée, mais il tenait un revolver. Après avoir fermé la porte, il se mit à parler à Bernenstein à voix basse et à mots pressés. Le jeune homme l’écoutait avec une attention profonde. Au bout de huit ou dix minutes, Sapt s’arrêta, puis ajouta : Vous comprenez maintenant ?

– Oui, c’est merveilleux, répondit le lieutenant oppressé.

– Bah ! fit Sapt ; rien n’est merveilleux ; certaines choses sont singulières. »

Bernenstein peu convaincu, protesta d’un haussement d’épaules.

« Eh bien ? demanda Sapt, en le regardant fixement.

– Je mourrais pour la Reine, monsieur, répondit-il en rapprochant ses talons comme pour la parade.

– Très bien ! dit Sapt.