Ensuite, le bruit de pas qui s’éloignaient en hâte. Je ne discernais pas bien tout cela. L’effort pour comprendre me fatiguait. « Ne finiront-ils donc pas par se tenir tranquilles ? » me demandais-je. Le calme, le silence, voilà ce qu’il me fallait. Il se rétablit enfin. Je refermai les yeux. Je souffrais moins dans le silence ; je pourrais dormir.

Bref, le coup était fait. Ils m’avaient battu comme un imbécile. Je gisais sur le chemin, la tête ensanglantée, et Rupert de Hentzau tenait la lettre de la Reine !

III – De retour à Zenda

Grâce au ciel ou à la bonne chance, ma vie ne dépendit pas d’un serment de Rupert de Hentzau. Les visions de mon cerveau troublé n’étaient que le reflet de la réalité, la lutte, puis la retraite et la fuite de mes agresseurs étaient loin d’être un rêve.

Aujourd’hui vit à Wintenberg, à l’aise et dans le bien-être, un brave garçon qui doit tout cela à ce que sa charrette vint par hasard à passer, avec trois ou quatre robustes compagnons, au moment où Rupert allait renouveler contre moi son assaut meurtrier. À la vue du groupe qui m’entourait, le bon voiturier et ses aides sautèrent à bas de leur véhicule et se jetèrent sur mes agresseurs. Ils voulaient me porter à un hôpital ; je refusai. Aussitôt que je me rendis compte de la situation, je répétai obstinément : « Le Lion d’Or ! Le Lion d’Or ! Vingt couronnes à qui me portera au Lion d’Or. »

Voyant que je savais où j’en étais et où je voulais aller, l’un ramassa mon sac, les autres me hissèrent dans la charrette et l’on partit pour se rendre à l’hôtel où m’attendait Rodolphe Rassendyll. La seule pensée que contînt ma tête fêlée, c’était de le rejoindre le plus tôt possible et de lui dire que j’avais été assez stupide pour me laisser voler la lettre de la Reine.

Il était là, debout sur le seuil de l’hôtel et paraissant m’attendre, quoiqu’il ne fût pas encore l’heure de notre rendez-vous. Lorsqu’on arrêta devant la porte, je vis sa haute et droite stature, ainsi que ses cheveux roux, à la lumière des lampes du vestibule. Par le Ciel ! j’éprouvai ce que doit ressentir un enfant perdu à la vue de sa mère ! Je lui tendis la main au-dessus de la barre de la charrette, en murmurant : « Je l’ai perdue ! »

Il tressaillit et se précipita vers moi. Puis se tournant vivement vers le conducteur :

« Monsieur est mon ami, dit-il. Confiez-le-moi. Je vous parlerai plus tard. »

Il attendit les bras tendus, pendant qu’on me soulevait hors de la charrette et me porta lui-même dans l’intérieur de l’hôtel. J’avais complètement repris mes sens et comprenais tout ce qui se passait. Il y avait une ou deux personnes dans le vestibule, mais M. Rassendyll ne prit pas garde à elles. Il me porta vivement au premier étage, dans un salon. Là, il me déposa dans un fauteuil et resta debout devant moi. Il souriait quoique ses yeux révélassent son inquiétude. Je répétai :

« Je l’ai perdue, » en le regardant d’un air désolé.

– Peu importe ! répliqua-t-il. Voulez-vous attendre pour tout m’expliquer, ou pouvez-vous parler ?

– Parler, oui, mais donnez-moi de l’eau-de-vie. »

Il m’en donna un peu mêlée à beaucoup d’eau, et je trouvai moyen de lui tout raconter. Quoique faible, j’avais l’esprit présent et je contai mon histoire en termes brefs, pressés, mais suffisamment clairs.

Il ne laissa rien paraître, tant que je ne parlai pas de la lettre. Alors son visage changea.

« Une lettre aussi ! s’écria-t-il avec un étrange mélange d’appréhension nouvelle et de joie inattendue.

– Oui, une lettre aussi ; elle a écrit une lettre et je l’ai perdue ainsi que le coffret : j’ai perdu les deux, Rodolphe ! Dieu m’assiste ! je les ai perdus tous deux, Rupert a la lettre ! »

Je suppose que le coup reçu m’avait enlevé mon énergie, car à ce moment, je ne fus plus maître de moi. Rodolphe s’approcha et me serra la main.