C’est sur lui qu’il la porte. Tenez-le bien pendant que je cherche. »
Des deux côtés, mes mains étaient fermement tenues. La main gauche de Rupert ne quittait pas ma gorge, tandis que sa main droite me tâtait et me fouillait.
Étendu et impuissant, j’éprouvais la plus amère consternation. Rupert trouva mon revolver et le tendit, en raillant à Rischenheim qui, maintenant, se tenait debout près de lui. Quand il sentit la boîte et s’en empara, ses yeux étincelèrent. Il appuya son genou si fort sur ma poitrine que je pouvais à peine respirer ; et, se hasardant à retirer sa main de ma gorge, il fit sauter le couvercle de la boîte.
« Apportez une lumière, » cria-t-il. Un des coquins s’approcha avec une lanterne sourde dont il tourna le foyer sur le coffret. Quand Rupert vit ce qu’il contenait, il éclata de rire et le mit dans sa poche.
« Vite ! vite ! dit Rischenheim. Nous tenons ce que nous voulions, et quelqu’un peut venir d’un instant il l’autre.
Mieux vaut le fouiller encore un peu, » répondit Rupert, et il continua ses recherches. Tout espoir s’évanouit en moi ; car, maintenant, il trouverait certainement la lettre.
Ce fut l’affaire d’un instant. Il arracha le porte-monnaie et, ordonnant avec impatience au porteur de la lanterne de la tenir plus près, il examina le contenu. Je me rappelle bien l’expression de son visage lorsque la lumière en fit ressortir, sur le fond d’obscurité, la pâleur mate et la beauté distinguée, aux lèvres ironiques et aux yeux dédaigneux. Il avait la lettre et une joie méchante brillait dans son regard quand il l’ouvrit. En un clin d’œil, il comprit la valeur de sa proie. Alors, froidement et sans se hâter, il se mit à lire sans faire attention à l’inquiétude de Rischenheim non plus qu’à mes regards furieux. Il prit son temps comme s’il eût été chez lui dans un fauteuil. Ses lèvres souriaient en lisant les derniers mots adressés par la Reine à son ami. Il avait en vérité trouvé plus qu’il n’espérait.
Rischenheim lui posa la main sur l’épaule et répéta d’une voix très agitée :
« Vite, Rupert, vite !
Laissez-moi tranquille, mon garçon. Il y a longtemps que je n’ai rien lu d’aussi amusant, » répliqua Rupert. Et il éclata de rire en disant : « Regardez, regardez » et il montrait le bas de la dernière page de la lettre.
J’étais fou de colère ; ma fureur me donna de nouvelles forces. Le plaisir que sa lecture causait à Rupert le rendait imprudent. Son genou ne pesait plus si lourdement sur ma poitrine et quand il voulut montrer à Rischenheim le passage qui l’amusait si fort, il détourna la tête un instant. La chance me servait. D’un mouvement subit, je déplaçai son genou, et d’un effort désespéré, je dégageai ma main droite et m’efforçai de saisir la lettre. Rupert, craignant de perdre son trésor, fit un bond en arrière, qui l’éloigna de moi. Moi aussi, je sautai sur mes pieds, rejetant au loin le chenapan qui avait saisi ma main gauche. Pendant un instant, je fus debout en face de Rupert, puis je me précipitai vers lui.
Plus prompt que moi, il s’esquiva derrière l’homme qui tenait la lanterne et le lança sur moi.
La lanterne tomba.
J’entendis Rupert qui disait :
« Donnez-moi votre canne. Où est-elle ? Ah ! bien, merci. »
Alors, la voix de Rischenheim s’éleva de nouveau, timide et suppliante.
« Rupert, vous m’avez promis de ne pas le tuer. »
La seule réponse fut un court ricanement.
Je repoussai l’homme qui avait été lancé dans mes bras, je bondis en avant et j’aperçus Rupert.
Sa main s’élevait au-dessus de sa tête, tenant un lourd gourdin. Je ne sais trop ce qui suivit ; j’ai le souvenir confus d’un juron de Rupert, d’un saut que je fis vers lui, d’une lutte pendant laquelle il me sembla que quelqu’un essayait de le retenir ; puis il tomba sur moi ; je sentis, un grand coup sur mon front et ce fut tout.
De nouveau, j’étais étendu sur le dos, ressentant une douleur terrible dans la tête et j’apercevais vaguement, comme dans un cauchemar, plusieurs hommes penchés vers moi et se parlant avec animation.
Cependant, j’eus encore une vision au travers de mon insensibilité. Une belle voix sonore s’écria : « Par le ciel ! je le veux ! » Une autre répondit : « Non ! Non ! » Puis ce fut un : « Qu’est-ce donc ? » Il y eut un bruit de pas précipités, des cris d’hommes en colère ; un coup de feu éclata, un autre y répondit au milieu des jurons et d’une lutte.
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