Elle mit au monde une seconde fille. Après quoi, elle dut s’avouer que toute exhibition devenait impossible. Elle y renonça. S’il y avait au fond d’eux d’autres rêves et d’autres ambitions, ils les abandonnèrent sans regret ni effort.

Et ainsi se termina la vie éphémère de la belle Angélis. Il n’en fut jamais question entre eux, bien qu’ils n’eussent pu dire la raison de leur silence. L’aventure avait commencé tout naturellement ; elle finit sans qu’il leur parût que le dénouement fût un désastre. C’étaient de ces gens très simples qui accueillent avec tranquillité la faveur du destin et qui ne se croient pas disgraciés quand il cesse de leur sourire. Deux photographies de femme nue ornent les murs de leur salon. Le jour où les enfants deviendront des fillettes, on reléguera la belle Angélis au fond d’un tiroir, et personne n’y songera plus.

 

Volupté

Un peu avant la fin du dîner, Natalie Helmans, qui passait la soirée au théâtre, se leva de table et partit sans dire adieu à son mari.

Ce n’était point là le signe d’un malentendu passager, mais l’affirmation toute naturelle d’un état de choses qui remontait aux premiers jours du mariage… on pourrait dire à la première nuit. La rupture avait eu lieu dès l’instant même de l’union nuptiale par la faute de Georges Helmans, qui, trop amoureux de sa femme, s’était montré brutal et maladroit. Blessée moralement et physiquement, Natalie gardait de ces quelques heures une telle impression d’effarement qu’elle n’avait jamais pu pardonner. Les deux époux n’eurent aucune explication. Chacun d’eux vécut désormais l’existence qui lui plut, sans qu’aucun d’eux demandât à l’autre le moindre compte.

Georges Helmans partagea son temps entre des maîtresses, qu’il afficha sans vergogne, et des travaux historiques qui lui valaient quelque estime parmi les érudits. Natalie eut des flirts, mais demeura strictement honnête. Elle éprouvait tant d’aversion pour l’amour que, au dernier moment, prise de peur, toute frémissante, et bien que l’effort fût douloureux pour cette femme jeune, belle et privée de caresses, elle brisait net.

Ce soir-là, son chauffeur ayant congé, elle trouva devant la porte l’automobile de location qu’elle avait commandée et se fit conduire au Théâtre-Français, où l’attendaient deux jeunes femmes de ses amies et leurs maris, qui tous deux la courtisaient. Elle passa une soirée agréable. La pièce était émouvante et voluptueuse. Elle sentait sur ses épaules nues les regards de convoitise de ses deux flirts. Elle s’en alla troublée et, en même temps, par une réaction de son instinct, presque maussade et mécontente.

Vers minuit l’auto la ramena à l’Étoile, où elle habitait. Mais elle fut très surprise de voir, au milieu de la place de la Concorde, que le chauffeur tournait brusquement à gauche et traversait la Seine. Elle voulut l’interpeller : il n’y avait de cornet acoustique. Elle essaya d’ouvrir une glace ; mais d’un coup, avec un seul bruit, quatre volets à lames de bois serrées s’abattirent devant elle et à ses côtés, l’enfermant dans une prison obscure. Natalie, très impressionnable, tomba évanouie.

Quand elle se réveilla, deux hommes la portaient. On monta un étage. Une porte fut ouverte. Dans une chambre, à peine éclairée, se trouvait un grand lit où elle fut couchée et liée par les jambes et par les épaules. La pièce resta vide un moment. Quelqu’un entra, qui éteignit la lampe électrique et s’approcha.

Elle se mit à trembler des pieds à la tête. Doucement, l’homme lui saisit les poignets qu’il couvrit de petits baisers à peine appuyés, qui, peu à peu, lui enveloppèrent les bras d’une caresse tendre et chaude.

Elle ne pouvait bouger. Elle n’en avait ni la possibilité, ni la force, et quelle que fût son épouvante, malgré la révolte de tout son être éperdu, elle n’eut pas un instant l’idée de résister à ce qu’il lui sembla dès l’abord inéluctable.

Une heure après, elle fut ramenée.