Elle ne rapportait aucun indice qui la pût renseigner sur la personnalité ou la figure de cet inconnu, sur l’ameublement de la chambre, l’emplacement de la maison, les rues qu’elle suivit au retour.
Elle rentra en courant, aperçut la lumière habituelle dans le bureau de son mari, défit sa robe froissée et déchirée, et passa la nuit sur un fauteuil, stupéfaite, bouleversée, honteuse de l’aventure, mais plus honteuse encore de s’avouer à elle-même que tout n’avait pas été horreur et ignominie durant cette heure abominable. Elle se souvenait de certaines minutes... Mais elle ne voulait pas se souvenir. Elle serrait ses poings contre ses joues brûlantes et se faisait mal pour oublier l’étrange et nouvelle sensation que sa chair apaisée lui rappelait sans relâche. Était-ce croyable ?
Deux semaines de suite, Natalie Helmans ne quitta pas sa chambre. Elle demeurait là, refusant toute visite, perdue dans un rêve qu’elle ne comprenait pas bien et que, d’ailleurs, elle ne cherchait pas à comprendre, un rêve doux, calme et bienfaisant. Elle s’efforçait à peine de découvrir, parmi tous les hommes qui lui faisaient la cour, celui qui avait eu l’audace de l’enlever et l’infamie de l’attacher comme une proie dont on abuse à son gré. Les images de trois ou quatre d’entre eux, plus hardis et qui lui plaisaient davantage, passaient devant ses yeux. Mais elle ne tenait pas à savoir.
Un jour, elle fut invitée à nouveau par ses deux amies. Pourquoi eut-elle refusé, puisque son chauffeur la conduirait et la ramènerait ? Mais, au sortir du théâtre, quand la voiture traversa la place de la Concorde, il se produisit le même événement : on tourna vers la Seine, et les volets tombèrent. Elle alluma. Ce n’était pas son auto, mais une auto exactement pareille à la sienne.
Dix minutes plus tard, elle descendit dans une cour obscure, au bas d’un perron, et on l’entraîna vers la même chambre. Son compagnon n’eut pas besoin de l’attacher. Tout alanguie, et vaincue d’avance, elle s’abandonna.
Il en fut ainsi chaque semaine, durant un mois, sans que Natalie tachât de dissiper les ténèbres où se dissimulait l’aventure et de questionner son chauffeur dont la trahison ne faisait pas de doute. Rien ne lui importait que les joies de sa chair et les sensations voluptueuses éprouvées durant ces heures impatiemment attendues. Elle ne vivait que pour cet amant inconnu aux bras de qui elle se laissait aller avec une ardeur passionnée. Entrevues silencieuses, où elle ne songeait qu’à se donner et à se donner encore. Lui non plus, elle ne l’interrogeait point. Qui était-ce ? Il se démasquerait au moment choisi par lui, et de manière que l’aventure fût aussi belle que possible. Il était le maître et l’amant. Elle le paraît de magnificence, et lui appartenait comme elle n’imaginait pas qu’on pût appartenir à un homme.
Une nuit – car leurs rendez-vous se prolongeaient de plus en plus – il lui prit son anneau de mariage. Natalie le laissa faire, mais elle vit là comme une indication, un ordre de divorce, et elle en conclut que, la semaine suivante, il ne la laisserait pas rentrer chez elle et la garderait auprès de lui.
Elle accepta cette éventualité et s’y prépara. Le soir venu, elle résolut loyalement d’avertir son mari et le pria de la rejoindre dans son boudoir.
Petit de taille, gauche de gestes et d’attitude, il avait un visage dur et peu sympathique.
Natalie éprouva un vif plaisir à communiquer ses projets de divorce à cet homme qu’elle avait toujours détesté. Il parut indifférent et dit :
— Vous aimez quelqu’un ?
— Oui.
— Quelqu’un qui est votre amant ?
— Oui, affirma-t-elle, d’un air de provocation, et en montrant sa main où manquait l’anneau d’or.
Il haussa les épaules.
— Soit, fit-il. Je vous rendrai libre le plus tôt que cela se pourra.
Tout était dit entre eux, et Natalie se dirigea vers la porte. Cependant, il l’arrêta d’un mot, et, comme elle s’était retournée, il demeura hésitant. À la fin, il prononça :
— Vous ne partirez pas avant de savoir combien je me sens responsable du passé. Pardonnez-moi d’avoir abîmé les plus belles années de votre vie.
À son tour, elle haussa les épaules.
— Tout cela n’a aucune importance. Mon passé est plein de mon bonheur actuel.
— Êtes-vous sûre de l’avenir ? demanda-t-il. Vous connaissez bien cet homme ?
Elle sourit.
— Je le connais plus que si je le connaissais depuis des années.
— C’est-à-dire que vous le connaissez surtout comme amant.
— Cela suffit, dit-elle, avec véhémence.
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