Et dans cette immobilité presque absolue, le ventre seul vivait, ondoyant, pervers, prometteur, lubrique, avide, inassouvi…

Germaine s’était rassise, pensive. D’involontaires comparaisons s’imposaient à elle et l’humiliaient. Son corps indécis s’évoquait à côté de ce corps impeccable, et sa poitrine d’enfant, et ses épaules pointues, et ses bras trop minces et ses jambes trop fines. Et aussi la science raffinée des gestes lui rappelait son ignorance dans la lutte d’amour, sa maladresse, sa passivité.

Elle souffrait. Elle souffrait surtout de ce que son mari pût, comme elle, constater son désavantage. Ne l’aimerait-il pas moins ? Elle eut l’idée de l’examiner. Ce fut un coup terrible. Jacques, penché en avant, regardait, les paupières fixes, les joues rouges. Et elle vit, sur ses tempes, les veines grossies.

Elle frissonna. Elle la reconnaissait si bien cette preuve irrécusable de désir, chez lui ! Chaque fois que se manifestait ce symptôme, elle se faisait toute petite, dans l’attente peureuse de l’imminente agression. Et maintenant ce désir s’éveillait pour une autre ! Auprès d’elle, Jacques désirait ! Certitude abominable, il désirait une autre femme, il désirait le baiser d’autres lèvres, le contact d’une autre chair, la tiédeur d’autres seins, le frémissement d’autres hanches ! Et c’étaient les lèvres et la chair et les seins et les hanches de cette créature magnifique qui se pâmait en face d’eux, qui s’offrait, toute nue, toute prête.

Sa raison s’égarait. Elle courut sur la juive, la bouscula, la chassa vers la sortie, en criant :

— Allez-vous en, allez-vous en, je ne veux pas qu’il vous voie…

Et elle la mit dehors. Et le guide et la vieille femme se retirèrent aussi. Et elle ferma la porte violemment.

Jacques, effrayé, ne comprenait pas. Elle le saisit au cou, l’attira contre elle, et bégaya d’une voix haletante :

— Prends-moi, Jacques, il faut que tu me prennes…

Il tenta de se dégager. Mais elle suffoquait, en sanglots :

— Oh ! mon Jacques, je sais tout… tu la désirais cette femme… Dès le début, elle t’a séduit… ne dis pas non… lui aurais-tu permis de se dévêtir, sans cela ? Et puis j’ai vu tes veines, là, gonflées… et ton air quand tu as envie de moi… Il faut que tu me prennes, Jacques, je suis si malheureuse… ton désir m’appartient… je le veux…

Il protesta :

— Ici, dans cette chambre, c’est impossible.

— Tu l’y as bien désirée, cette fille, gémit-elle, tu peux bien m’y désirer… à moins que tu ne m’aimes plus… Ah ! Jacques, dis-moi que tu m’aimes, que tu me trouves plus belle… prouve-le moi, je t’en prie.

Elle entrouvrit son corsage. Elle enleva ses jupes. Et peu à peu se dénudait son corps jeune, son corps à peine éclos, son corps frais et gracieux d’adolescente.

Il la prit. Elle se donna avec un emportement farouche, avec des râles et des crispations, comme pour le convaincre qu’elle disposait, elle aussi, des ivresses les plus compliquées.

Silencieusement elle se rhabilla. Lui, de mauvaise humeur, allait et venait. Germaine n’osait parler, honteuse de sa jalousie, triste sans en savoir la cause.

Ils descendirent. Au bas de l’escalier, les femmes attendaient. Jacques versa la somme convenue. Mais la vieille réclama. Et le guide dut expliquer en balbutiant :

— La mère dit que c’est plus cher quand… quand on s’enferme… après…

Exaspéré Jacques leur jeta une pièce d’or. Puis il sortit. En passant devant la juive, Germaine la dévisagea d’un regard insolent, le regard d’une femme qui l’emporte sur sa rivale.

On rentra. Hadji précédait, muni de sa lanterne. Jacques suivait, et Germaine.

Elle marchait sans un mot. C’était fini de son bonheur.